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aimé tendrement d'une Femme qu'on aime & qu'on eftime, porte avec foi une fatisfaction pure & fans mêlange, qui contente notre Amour - propre, & flatte également notre Cœur & notre Efprit.

IL n'eft aucun don que le Ciel ait fait aux Hommes, qui ne leur devienne quelque fois pernicieux. Tel eft le trifte fort de l'Humanité. Les chofes qui paroiffent lui être les plus favorables & même les plus néceffaires, lui font fouvent les plus nuifibles. L'Amour est une Paffion donnée aux Humains pour les rendre heureux en général; elle produit fur plufieurs un effet contraire. Rien n'eft fi trifte que le fort d'un Amant malheureux. On peut confidérer ce fort fous deux points de vue différents. Le premier offre un Amant aimé, mais éloigné de fa Maitreffe, contraint dans l'Amour qu'il a pour elle, craignant de la voir foumife à la puiffance d'un Rival. Le fecond préfente un Amant qui n'eft point aimé, livré à la douleur, à la jaloufie & au défefpoir qu'infpire un Amour méprifé. Ces deux états font à plaindre: l'un l'eft ordinairement beaucoup plus que l'autre,

Le

Le prémier peut fe changer, devenir heureux. Il n'eft point de remède au dernier, que celui d'en fortir.

Si un Âmant haï fait ufage de fa Raifon, il fe guérira avec le tems de fa Paffion. Si elle eft fi forte, que la Raifon ne puiffe agir que foiblement; qu'il cherche, s'il lui eft poffible, dans le dépit & dans fon Amour-propre, un fecours qu'il ne trouve point dans la réfléxion.

CEUX qui prétendent qu'on peut fe guérir tout à coup, & pour ainsi dire dans un jour, d'une Paffion violente n'ont jamais été Amoureux. Quelque malheureufe que foit une Paffion, dès qu'elle a jetté de profondes racines, il faut du tems pour l'arracher entièrement du fond du cœur. Un Amour combattu par la Raifon ou par le dépit, reffemble à un feu qui couve fous la cendre. Il renaît tout à coup, lorsqu'on le croit éteint. Racine a parfaitement dépeint les mouvemens involontaires dont un cœur amoureux & méprifé fe trouve encore agité dans le tems qu'il penfe être déja guéri de fa Paffion. Pyrrhus affure fon Confident que, peu content de haïr Andromaque, il veut la braver & la punir de fon indifférence.

Je

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Je vois ce qui la flatte. Sa beauté la raffure, & malgré mon courroux, L'Orgueilleufe m'attend encor à fes genoux. Fe la verrois aux miens Phoenix d'un œil tranquille.

,

Elle eft veuve d'Hector, & je fuis fils d'Achille:

Trop de haine fépare Andromaque & Pyr

rbus.

QUE répond à cela le Confident de Pyrrhus? Ce qu'on pouvoit répondre de plus fenfé. Il fent bien que fon Maitre eft moins guéri de fon amour, qu'il ne penfe l'être : il lui confeille d'y fonger le moins qu'il lui eft poffi

ble.

Commencez donc, Seigneur, à ne m'en
parler plus.

Allez voir Hermione, & content de lui plaire,
Oubliez à fes piés jufqu'à votre colère.
Vous même à cet Hymen venez la difpofer:
Eft-ce fur un Rival qu'il s'en faut repofer?
Il ne l'aime que trop

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QUELS fruits produisent les confeils de Phoenix? Aucuns. Pyrrhus ne les é

coute

coute pas, & plein dé l'Objet qu'il aime, dans le moment qu'il croit le haïr, fon cœur parle & fe trahit malgré lui.

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Crois-tu, fi je l'épouse,

Qu' Andromaque en fon cœur n'en fera pas jaloufe?

VOILA le Cœur Humain dépeint dans l'exacte vérité; & voilà ce qui fe passe dans l'Ame de ceux qui fe figurent pouvoir être guéris tout à coup d'une violente Paffion. Ils font la dupe d'euxmèmes, & reffemblent à ces Malades qui croient être hors de danger, parce qu'ils ont quelques bons intervalles. Ce moment de fanté apparente eft fouvent fuivi de fimptômes plus dangereux que les prémiers. Il en eft de l'Amour comme des maladies aiguës & violentes. Elles viennent tout-à-coup il faut un certain tems pour les guérir entièrement on doit employer des remèdes qui ne font efficaces, qu'autant qu'ils peuvent agir. Il eft des moyens pour éteindre un Amour malheureux ; mais ces moyens demandent du tems & de la patience. L'abfencé eft le plus grand des - remèdes. Le proverbe vulgaire qui dit:

qu'elle

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qu'elle eft la Mère de l'Oubli, eft auffi fenfé qu'il eft vrai.

LES exercices du Corps, les occupations de l'Efprit diffipent l'imagination, & l'empèchent de fe fixer toûjours fur le même objet. Dès qu'on a pris fur foi de s'éloigner de la Perfonne qu'on veut oublier, il faut éviter avec foin tout ce qui peut nous en rappeller l'idée. La folitude eft dangereufe aux Amans malheureux, parce qu'elle leur donne l'occafion de fe livrer à la réverie. Dans ces momens de mélancolie, l'image de leur Maitreffe vient s'offrir à leur imagination. Je fai qu'un Homme amoureux & malheureux cherche natu- rellement la retraite: tout ce qu'il voit dans le grand Monde lui paroit ennuyeux; mais peu-à-peu il s'accoutume à ces objets; il n'y a que le commencement qui lui coute, & ces mêmes objets dans la fuite font les principales chofes qui contribuent à fon entière guérifon.

LE Commerce des Femmes aimables eft d'un grand fecours à un Amant qui veut oublier fa Maitreffe. Il est impoffible que parmi ces Femmes, il n'en trouve quelqu'une qui fufpende fa mélancolie pendant quelques momens. C'eft

dé.

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