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mes ne fauroient fe paffer les uns des autres. Ils font obligés d'avoir recours à la Société pour prévenir une certaine inquiétude qui vient du vuide qu'ils fentent en eux, & qu'ils ne peuvent remplir eux-mêmes. Les Myfantropes, qui femblent détefter le commerce des Hommes, ne peuvent s'empêcher de chercher quelqu'un avec lequel ils puiffent épancher leur bîle & exhaler leur venin. C'est là une preuve convaincante qu'il n'eft rien que la Nature-Humaine puiffe moins fuporter que la privation de toute Société. Elle eft comme les plantes qui ne peuvent fe paffer d'appui, & elle n'en trouve que dans cette même Société.

TOUTES les chofes que nous pouvons fouhaiter dans la vie ont chacune leur ufage; mais elles n'en ont qu'un. Les richeffes fourniffent aux dépenses; les charges, le crédit, les honeurs nous font refpecter; les Ouvrages d'efprit nous attirent des louanges; les délices nous donnent du plaifir; la fanté nous garantit de la douleur; mais la Société eft bonne à tout. Elle fe fait fentir en quelque état, en quelque lieu que

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nous

nous foyons; elle fert à notre bonheur; quelle que foit notre fituation, jamais elle ne fauroit nous être importune.

LA Nature a gravé elle-même l'amour de la Société dans le cœur des Hommes. Elle leur a donné cet amour comme un lien qui, en les uniffant les uns avec les autres, les porte à s'entraider mutuellement. Ceux qui favent profiter fagement des impreffions de la Nature, ne fe contentent point de cette Société générale qu'elle a formé entre les Hommes, & qui eft d'une étendue infinie. Ils en établissent une qui leur eft particulière, & de laquelle ils retirent des avantages très confidérables. Quelques Hypocondres fe figurent qu'un Homme féparé du refte des Mortels pouroit être vérita blement heureux. Ils font la dupe de leur imagination chagrine. Eux-mêmes qui femblent fuïr le commerce du Monde mourroient bientôt de trifteffe, s'ils étoient privés entièrement de la Société. Un des plus grands Génies de l'Antiquité fortifie par fon autorité cette vérité. ,, Suppofons, dit Cicéron, un Homme ,, tranfporté par quelque Dieu dans une folitude inacceffible, où ce Dieu lui

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fourniffe en abondance tout ce que la Nature peut défirer; mais fans lui laiffer nul moyen, ni nulle espérance de voir jamais aucun autre Homme. Je ,, foutiens qu'il n'y a Perfonne qui puiffe ,, fupporter une telle vie, & qu'une affreufe folitude ne rende infenfible à tous les plaisirs dont il fera environné. Il n'y a donc rien de plus vrai, que ce ,, que Architas de Tarente avoit accou tumé de dire, comme nous l'avons ap,, pris de nos Pères, qui l'avoient appris eux-mêmes des leurs, qu'un Homme ,, qui feroit monté au Ciel, d'où il pouroit contempler à fon aife le fpectacle admirable de l'Univers & de la ,, Nature, & jouir de tout l'éclat & de toute la beauté des Corps Céleftes, feroit auffi peu touché de ce plaifir-là, s'il étoit feul, que ce même plaifir lui feroit doux, s'il avoit quelqu'un avec lequel il put s'entretenir. "

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ON dira peut-être que plufieurs Chartreux & plufieurs Moines de la Trape font parfaitement heureux & fatisfaits, quoiqu'ils ayent renoncé à toute Société. 30 Je réponds à cela que les Moines de la Trape font enfemble pendant toute la journée, travaillent à des Ouvrages com

muns ?

muns, parlent à leurs Supérieurs. Les Chartreux ont une heure dans la journée, & un jour dans la femaine, où il leur eft permis de parler & de commercer entre eux. Cette Société, quelque génante qu'elle foit, eft toujours une Société. La Religion fuplée à ce qui peut la rendre trop dure, & les confolations douces & pieufes que donnent fouvent les Supérieurs récompenfent de la contrainte où l'on eft obligé de vivre avec les au

Malgré ces reffources, lorfque le fecours de la grace n'agit point efficacément, quelques-uns de ces Solitaires perdent le bon fens. Un de nos meilleurs Poëtes à dit dans une de fes ingénieufes Fables:

La raifon d'ordinaire

N'habite pas long-tems chez les Gens sequeftrés.

Ileft bon de parler, & meilleur de fe taire : Mais tous deux font mauvais, alors qu'ils font outrés.

S. VIII.

Des moyens pour trouver une bonne Société.

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L eft naturel qu'il foit plus aifé de trouver une Société qui nous con

vienne dans les grandes Villes que dans les petites. Le grand nombre fournit facilement ce que l'on ne rencontre pas dans un beaucoup moins confidérable. La bonne Société demandant une conformité d'humeur, il arrive quelquesfois que parmi quelques Perfonnes il n'en eft aucune dont le caractère & la façon de penfer nous convienne parfaitement. Cependant on peut remédier à cet inconvénient, en tâchant de fe conformer le plus qu'il eft poffible au génie des Gens qu'on veut fréquenter, & en fupléant foi-même à ce qu'on apperçoit de défectueux en eux, ou à ce qu'on souhaiteroit de trouver. Tout le monde ne peut pas être auffi favant que Mairan, auffi ingénieux que Fontenelle, auffi aimable que Crébillon le Fils. Il feroit malheureux pour un Homme d'efprit de ne pouvoir fe lier qu'avec des Perfonnes qui euffent le mérite de celles que je viens de nommer. Il courroit rifque très fouvent d'être privé de la Société. La complaifance étant l'ame de la bonnet Société, un Homme dont les talens font fupérieurs à ceux des autres, ne doit employer ces mêmes talens, qu'à faire briller

ceux

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