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Courtifan, un Homme malheureux, est un Homme qui doit fouffrir; pour un Particulier, c'eft un Homme qu'on doit foulager.

LA vanité des Grands eft directement oppofée à la bonne Société. Ils penfent être feuls parfaits. Ils fe perfuadent que l'efprit & le génie font des apanages de leur naiffance. A A peine accordent-ils au commun des Hommes quelques foibles talens. Un peu de réfléxions les guériroit de leur erreur. Les Corneilles & les Racines, les Def cartes & les Gaffendi, les Montagnes & les Bayles, les Lebrun & les Sueurs, les Pujets & les Girardons, les Lully & les Campras n'étoient ni Princes ni Ducs. Ce que nous avons de meilleur pour l'efprit, pour le cœur, pour les yeux, & pour les oreilles, n'eft point forti du fein de la grandeur. Quant à ce qui regarde le goût, je ne voudrois pas affurer que quelque Grand dans les excès de la débauche n'eut fait un ragoût à l'ombre, ou un falmi au vin de Champagne plus piquant, plus échaufant ; plus capable d'abréger la vie, que tous les plats affaifonnés par les plus habiles Cuiliniers.

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Ce qu'on nomme communément So. ciétés de plaifir chez les Grands, doit ê tre appellé partie de débauches. On y boit avec excès; on n'y garde aucune modération, ni dans les difcours, ni dans les actions. Est-ce là de quoi contenter l'efprit & le cœur? Le premier fe gâte le second se perd. L'Homme du monde le plus aimable change bientôt de caractère & d'humeur au milieu d'une Société auffi dangereufe pour les mœurs.

IL n'eft aucune règle qui n'ait fon exception. Il eft chez les Grands quelques Gens qui s'élevant au deffus des préjugés de leur état, connoiffent que les biens que la Fortune leur a prodigués font infiniment au deffous de ceux que peut leur procurer une Société douce. Ils la cherchent chez quelques Particuliers qu'ils rapprochent d'eux autant qu'il leur eft poffible. Ils fentent que moins il reftera de diftance entre eux, & les Perfonnes dont ils veulent faire leurs Amis, plus ils gouteront de plaifirs dans leur commerce. Ils préviennent tous les inconveniens que le refpect, la timidité, la crainte, pouroient caufer, & donnent à l'amitié ce que les Grands, moins fenfés qu'eux, donnent à une vani

té mal placée, & à une oftentation dont ils font les prémières victimes. La gravité & l'air de grandeur caufent autant de foin à ceux qui veulent les faire entrer dans toutes leurs manières, que de peine aux autres qui font obligés de les effuyer.

J'AI remarqué dans l'Hiftoire que le petit nombre des Princes qu'elle nous propofe pour des modelles de probité & de vertu, a été fenfible aux douceurs de la Société. Vefpafien, Titus, MarcAurelle, Trajan vécurent en fimples Particuliers avec leurs Amis. Ils oublièrent pour eux qu'ils étoient Empereurs; & s'ils s'en reffouvinrent quelques - fois, ce ne fut que lorfqu'il fallut leur faire du bien. Le grand Prince de Condé & quelques Héros modernes ont imité les Anciens que je viens de citer. Nous voyons aujourd'hui un des plus grands Souverains de l'Europe être fenfible aux douceurs de la Société, & en connoître tout le prix. Il gagne des Batailles; il foumet des Provinces confidérables; il fortifie les frontières de fes États; il fait conftruire des Bâtimens fuperbes ; il fonde des Académies; il protège les Arts; il voit, il règle, il conduit tout par luiTome I.

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même ; & ces occupations, quelques grandes qu'elles foient, ne lui font pas renoncer au plaifir d'une converfation fpirituelle, dans la quelle il répand fans fierté & fans oftentation les graces du beau génie & de l'efprit brillant qu'il a reçu du Ciel. Il feroit heureux pour les Grands que l'exemple du Vainqueur de la Siléfie put les inftruire.

§. V.

Des Caractères propres à la Société.

A douceur & la complaifance font les qualités les plus effentielles aux caractères propres à la Société. A ces deux prémières qualités, j'en ajoute une troisième, c'est l'égalité d'humeur, fans la quelle le meilleur caractère ne laisse pas、 d'être défectueux. Il eft fâcheux pour ceux avec qui nous vivons, & qui partagent nos chagrins, que nous faffions retomber fur eux une partie de l'inquiétude que nous reffentons. Nous devons leur tenir compte de la part qu'ils prênnent à ce qui nous regarde, & ne point faire rejaillir fur eux des embarras qu'ils n'effuiroient pas, fi nous leur étions in

diffé

différens. Il faut prendre garde que notre amitié ne foit à charge à nos Amis, & qu'on ne foit plus heureux de ne pas nous connoitre que d'être lié avec nous. Un Auteur moderne nous a donné à ce fujet un excellent confeil.

Surmontez les chagrins où l'efprit s'a
bandonne,

Et ne les faites point rejaillir fur per
Sonne.

CB feroit détruire une des plus grandes utilités de la bonne Société, que de prétendre, qu'on ne peut point dire fon fentiment, & être d'une opinion contraire à celle des autres. Mais il faut la foutenir fans aigreur, fans emportement. Il y a de la fageffe, & même du génie à favoir céder à propos. Quand on voit qu'un Homme, avec qui l'on vit tous les jours, s'échauffe,qu'il veut foutenir une chofe qu'il a avancée légèrement, pourquoi s'attacher à lui faire fentir la faute qu'il fe force de cacher? C'eft vouloir déplaire à fon Ami pour un fujet frivole. C'est même être impoli, & manquer aux bienféances.

UN Homme qui a de l'efprit, n'a pas

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