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goûte jamais de véritables douceurs & ne prend fon effort qu'à regret, lorf qu'il craint le caractère de ceux devant lefquels il doit fe montrer. Mettez dans une Compagnie de quatre ou cinq Perfonnes aimables & enjouées un Homme dont le mauvais cœur foit connu; la contrainte fuccède à la gayeté, le ferieux à la joye. Chacun craint la langue empoisonnée d'une Homme qui cherche à nuire à la réputation des honêtes Gens, qui n'employe le génie qu'il a qu'à dénigrer la vertu, & qu'à donner, s'il lui eft poffible, un ridicule à la probité & au vrai mérite. Il eft impoffible que dans les bonnes Sociétés, même dans celles dont le génie n'eft point porté à la plaifanterie, il ne fe paffe bien de petites chofes, auxquelles un mauvais efprit peut donner aisément un tour malin. Il eft telle badinerie, je dirai plus, telle poliffonnerie aimable & plaifante quand elle refte entre quatre ou cinq Perfonnes, qui paroit fous un autre point de vue, lorfqu'elle eft connue du Public.

Si la malignité gêne & détruit bientôt la bonne Société, la mauvaise plaifanterie ne lui eft guères moins contrai

re.

re. L'incommodité d'effuyer fans ceffe de mauvais quolibets, d'entendre répé ter à chaque inftant un difcours qui fait de la peine, de voir tourner en ridicule les chofes les plus fenfées, eft trop forte pour qu'un galant Homme veuille l'ef fuyer pendant long-tems. Il appréhen de avec raison un mauvais plaifant, com me un fin gourmet craint un vin fade qui foulève le cœur, & laiffe un mauvais goût au palais.

JE ne fais lequel des deux eft le plus condamnable, de plaifanter fans ceffe & mal à propos, ou de ne point entendre la plaifanterie, lorfqu'elle eft polie, & qu'elle n'eft point faite dans le deffein de nous piquer. Les Sots s'offenfent aifément des plaifanteries les plus legères. Ils fe figurent toujours qu'on veut les rendre ridicules. Cette pensée est une fuite de leur peu de mérite. Ils fentent, malgré leur amour propre, qu'ils font faits pour être blámés plutôt que pour être loués, & donnent une in terpretation maligne aux chofes les plus innocentes. Un Homme fage ne doit plaifanter que des Gens qui ont affez d'efprit pour diftinguer la bonne & ho

nête

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nête plaifanterie, de la mauvaise & de la maligne.

ON eft fouvent obligé d'effuyer la pétulance de certaines Gens, dont l'efprit & le corps font dans une perpétuelle agitation. Ils parlent, fans favoir ce qu'ils difent: ils ont un ton de voix perçant. On diroit, à la façon dont ils crient, qu'ils craignent qu'on ne faffe pas affez d'attention aux fotifes qu'ils débitent pendant tout le cours de la journée. Ils danfent, ils chantent, ils fiflent, ils parlent dans le même inf tant. Ils reffemblent à des Personnes piquées par la Tarentule. Ils font cependant bien moins incommodes que ces Médifans, qui n'ouvrent la bouche que pour déchirer tous ceux dont le nom malheureusement fe préfente à leur i magination; il n'eft pas befoin, pour exercer leur langue empoifonnée, qu'ils connoiffent perfonnellement ceux dont ils parlent; il leur fuffit de favoir qu'ils exiftent; ils leur donnent tous les défauts que la malignité de leur cœur leur fuppofe. D'ailleurs ils veulent qu'on dife qu'ils ont de l'efprit; & s'ils ne médifoient point, on les verroit bientôt

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contraints de garder le filence. Il fe-. roit cependant heureux pour eux qu'on pût leur perfuader uné vérité, dont tous les Gens de génie font convaincus, c'est qu'il faut très peu d'efprit pour plaire en médifant, & qu'il en faut beaucoup pour amufer en louant. Pour quiconque fe connoit en génie, un Médifant de profeffion eft un Homme d'un efprit médiocre.

S. IV.

Ce n'est point avec les Grands qu'on jouit des douceurs de la Société.

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jamais fans E refpect n'eft prefque jamais fans la contrainte & la joye fuit la gêne. On trouve rarement dans les Sociétés des Grands les douceurs qu'on rencontre dans celles des Particuliers. Les Princes fe figurent que les autres Hommes font faits pour eux. Ils veulent que ceux avec lefquels ils vivent leur tiennent compte de ne pas leur faire fentir tout le poids de leur autorité toute la grandeur de leur naiffance, tout le pouvoir de leur crédit. Ils penfent qu'on leur doit être fort obligé de ce

qu'ils ne font point auffi incommodes dans la Société qu'ils pouroient l'être. Ils fe croyent totalement difpenfés d'avoir les attentions aimables, les politeffes prévenantes, les foins empreffés & flateurs, qu'on trouve chez les Particuliers qui veulent plaire à ceux avec qui ils vivent.

LES Grands font uniquement occupés de vaftes projets, d'entreprises difficiles, qui ne leur laiffent pas le loifir d'entrer dans le détail des befoins des autres. Ils font beaucoup plus occupés des moyens d'obtenir quelques grandes charges, que des expédiens qui pouroient faire ceffer les maux de ceux dont ils fe difent les Amis & les Protecteurs. Ils préfèrent la gloire de faire abbatre une forêt, de bâtir un Palais, à celle de rendre un cœur content.

NON feulement les Grands, mais en. core tous les Courtifans, font peu propres à former une Société gratieufe. Ils font trop diffipés, trop pleins de leurs projets ambitieux, trop accoutumés à faire de leur avancement leur unique occupation, pour avoir le loifir d'entrer dans les détails qu'exige la Société, Ordinairement pour un Grand, & pour un

Cour

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