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S. III.

·Des Caractères opposés à la bonne Société.

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UOIQUE tous les caractères vitieux foient contraires à la Société, il en eft pourtant quelques uns, qui le font plus les uns que les autres. Je dirai ici un mot de ceux qui me paroiffent les plus incompatibles avec cette douceur & cette aménité qui font l'ame de la bonne Société.

IL y a des Gens d'un caractère fier, hautain, qui ont de l'efprit, & qui ne l'employent qu'à fe louer eux-mêmes, & à rabailler le mérite des autres. Ils ne fauroient fouffrir qu'on approuve quelqu'un les louanges qu'on lui donne, leur paroiffent un vol qu'on leur fait. Ils voudroient qu'on ne fut occupé que d'eux, qu'on ne parlât que de leurs talens, qu'on ne fit mention que de leurs actions, qu'on ne lut que leurs Ouvrages. Ces Gens font infuportables dans la Société. Ils le font même aux Perfonnes les plus modeftes. L'Homme qui a le moins de vanité s'ennuye à la fin d'être toujours obligé de louer un Fat qui N 3 paye

paye par le mépris les éloges perpétuels qu'il exige.

JE ne trouve rien d'auffi déplacé, que de parler de fes richeffes, de fes revenus de fes ameublemens devant des Perfonnes qui font mal partagées des biens de la Fortune. C'eft leur rappeller malà-propos leur état malheureux. C'eft leur rendre la Société défagréable. La folitude leur épargne du moins cette efpèce de reproche d'un mal qu'ils n'ont pas mérité, & auquel ils ne peuvent re médier.

ON rencontre fouvent dans le Monde des Gens dont la fureur eft de décider de tout. Ils ont au certain jargon, qu'ils fe font formé, qui leur eft propre. Ils parlent du mérite de Virgile dans les mêmes termes qu'ils parlent de celui de Tive Live. Ils ignorent que l'un eft un Poëte, & l'autre un Hiftorien. Mais ils favent que quelques Perfonnes, au gout des quelles ils fe rapportent, difent que ces Auteurs font excellens. Ils prononcent avec emphaze: qu'ils font divins, qu'ils ne peuvent être égalés. Si l'on entre dans la difcuffion des legers défauts qui peu vent être dans ces Ecrivains; comme ils les ignorent, ils ne font aucun cas de

ce

ce que l'on peut dire de fenfé à ce fujet. Ils répètent toujours: ces Auteurs font divins: ce font les plus grands Génies que la Nature ait produit. Ceux qui cherchent à les critiquer n'en approchent point. On eft heureux s'ils fe contentent d'une première apoftrophe, & s'ils ne s'emportent point jufqu'à dire des injures, pour foutenir qu'il n'y a point de défaut dans un Livre qu'ils n'ont point lû, & qu'ils ne liront jamais.

IL eft une autre forte de Gens, qui décident avec plus de connoiffance, mais avec autant de préfomption. Ils croyent être les Directeurs du goût, les Juges fouverains de tout ce qui a quelque raport à l'efprit. Ils fe perfuadent d'exceller, non feulement dans les Sciences; mais ils penfent poffeder tous les Arts, quoi qu'ils ne les ayent jamais appris, & qu'ils n'en ayent qu'une foible teinture. Ces Gens s'érigent eux-mêmes en Dictateurs perpétuels de la République des Lettres. Ils n'ont jamais rien écrit, & ils fe regardent comme de grands Auteurs. Ils parlent Grec, & ne favent pas le lire. Ils font Géomètres, & n'entendent pas les Elémens d'Euclide. Rouffeau

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les a parfaitement dépeint dans cette E pigramme charmante.

Chrifologue toujours opine:
Ceft le vrai Grec de Juvenal.
Tout Ouvrage, toute Doctrine
Reffortit à fon tribunal.
Faut-il difputer de Phifique?
Chrifologue eft Phificien.
Foulez-vous parler de Mufique?
Chrifologue eft Muficien.

Que n'eft-il point? Docte Critique,
Grand Poëte, bon Scholaftique
Aftronome, Grammairien.
Est-ce tout? Il eft Politique,
Furifconfulte, Hiftorien,
Platonifte, Cartefien,

Sophifte, Rheteur, Empirique;
Chrifologue eft tout, & n'est rien.

DE tous les caractères, le plus infuportable dans la Société, c'eft celui de ces Perfonnes aigres, qui n'ont jamais rien de gratieux à vous dire; qui ne vous parlent, que pour vous piquer; dont les complimens ont même quelque chofe de defagréable & de fâcheux. La Bruyere a fait de fages réfléxions fur

ces

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ces Gens, qu'on doit regarder comme la pefte de la Société Civile. ,, Parler & ,, offenfer, dit-il, pour certaines Gens, eft précisément la même chofe. Ils font piquants; leur ftile eft mêlé de ,, fiel & d'abfinthe; la raillerie, l'inju re, l'infulte leur découlent des lèvres ,, comme leur falive. Il leur feroit utile d'être nés muets ou ftupides. Ce qu'ils ont de vivacité & d'efprit leur nuit d'avantage, que ne fait à ,, quelques autres leur fotife. Ils ne se contentent pas toujours de repliquer avec aigreur, ils attaquent fouvent avec infolence; ils frappent fur tout ,, ce qui fe trouve fous leur langue

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fur les préfens, fur les abfens, ils heurtent de front & de côté, comme des Beliers. Demande-t-on à des Beliers qu'ils n'ayent pas de cornes? De même n'efpère-t-on pas reformer par ,, cette peinture des caractères fi durs, fi farouches, fi indociles. Ce que l'on peut faire de mieux, d'auffi loin ,, qu'on les découvre, eft de les fuir de toute fa force, & fans regarder derriè re foi".

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LE mauvais cœur n'eft point compatible avec la bonne Société. L'efprit ne N 5

goû,

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