Page images
PDF
EPUB

cuifants, qu'un Homme fenfé doit employer tous fes foins à fe procurer le commerce des, Perfonnes aimables qu'il eft à portée de pouvoir fréquenter. Par la mauvaise Société, je n'entends point celle de Gens capables d'une mauvaise action. Quel eft l'Homme né avec des fentimens, qui ne fache ce que fon devoir exige fur ce point? Je veux parler de ces Sociétés dures, dans lefquelles on ne rencontre point cette aménité, cette politeffe, cet enjoûment, cette cordialité, cette honête liberté, enfin ces douceurs qui font le bonheur de la vie, & fans lefquelles l'Ame ne goute point une certaine tranquilité qui fait l'effence de la véritable volupté.

POUR connoître tout le prix d'une Société aimable, il faut l'avoir fréquentée. Quand on a été affez heureux pour jouir d'un pareil bonheur, il eft impoffible de pouvoir s'en paffer. Dès qu'il nous eft ravi, nous languiffons, nous nous appercevons fans ceffe qu'il manque quelque chofe d'effentiel à notre fatisfaction. Nous tâchons inutilement d'y fupléer. Rien ne peut récompenfer du défaut de la bonne Société. C'eft, après la vertu & le témoignage d'une bonne con

fcience,

fcience, le plus grand de tous les biens. Elle affaifonne tous les plaifirs; elle les fait valoir; elle les épure; elle en ôte ce qu'ils peuvent avoir de vitieux & de bruyant, fans rien diminuer de leur vivacité. J'ôferai dire une chofe, que ceux qui ont gouté de la bonne & de la mauvaife Société ne trouveront pas extraordinaire. Un Homme aimable ne vit, qu'autant qu'il vit dans une bonne Socié té. Par-tout ailleurs il eft dans un état

de langueur & d'ennui, qui tient de la léthargie.

IL faut diftinguer la bonne Compagnie de la bonne Société. On peut avoir fréquenté pendant trente ans très bonne Compagnie, & n'avoir jamais gouté les douceurs de la Société. Un Hom me fort tous les jours de chez lui, pour aller paffer une grande partie de la journée dans une Affemblée compofée de trente Femmes & de cinquante Hommes. Il voit fes Gens, & il en est vû. Il les faluë, ils lui font la reverence à fon tour. I jouë pendant trois ou quatre heures avec quelques uns d'eux. La partie finie, il retourne chez lui, ou bien il fouppe avec trente Perfonnes. Cet Hom. Tom. I. N

me

me fréquente bonne Compagnie; mais il n'a aucune idée de la bonne Société. Celui au contraire qui vit journellement avec trois ou quatre Femmes fpirituel les, avec quatre ou cinq Hommes aimables, qui fuit la cohue, qui fe contente du commerce de peu de Perfonnes, qui ne fe répand que parmi elles; celui-là connoît ce que c'eft que la bonne Société.

$. II.

De l'Utilité de la bonne Société.

'AI déjà parlé de quelques avantages de la bonne Société. J'ai fait fentir qu'elle formoit le cœur & nouriffoit les fentimens. Je ferai actuellement quelques réfléxions fur les biens que l'efprit peut en retirer,

RIEN n'élève plus notre Ame, que l'ufage de s'appliquer à des chofes utiles. On peut s'amufer agréablement, & cependant utilement. La bonne Société fournit des plaifirs, des amusemens, des jeux fpirituels elle a une converfation engageante, inftructive; & l'on profite fouvent beaucoup plus dans le commer

се

ce de quelques Amis aimables, que dans la folitude ennuyeufe d'un Cabinet.

UN des principaux avantages de la bonne Société, c'eft celui d'empêcher que l'efprit ne s'accoutume aux fotifes & aux impertinences qui font les fujets des entretiens ordinaires. Que de puérilités, que de fadeurs ne dit-on pas tous les jours dans les Cercles & dans les Affemblées? Que de réfléxions ridicules fur le Gouvernement & fur les intérêts des Princes n'y fait-on point? Combien de fentimens romanefques n'y étale-t-on pas? C'est encore bien pis, lorfqu'une Femme & un Petit-Maitre font le recit de leurs vapeurs, de leur migraine, &

de leurs infomnies.

Qui peut fe promettre d'éviter dans une Société, qui n'eft point choifie, la rencontre de certaines Gens, qu'on diroit être faits exprès pour mettre le bon fens à la gêne & à la torture? Ils ne difcontinuent point de parler, & ne difent que des fotifes qu'ils débitent avec emphaze. Si quelqu'un s'avife de vouloir faire ufage de la raifon, ils lui impofent filence, l'interrompent, ne lui donnent pas le tems de parler. Par la N 2 fré

fréquentation de pareilles Gens, il faut, tôt ou tard que le plus beau génie s'avilisfe, fe gâte, & perde beaucoup de fa douceur & de fa jufteffe. Le caractère des Gens que nous fréquentons influë pour la fuite du tems fur le nôtre. Nous gagnons donc autant dans la bonne Société, que nous perdons dans la mauvaife. Nous prenons la douceur, la politeffe d'une Homme aimable, tout comme nous imitons les emportemens, les brutalités d'un Homme ruftre & impoli. L'efprit fe familiarife avec les impreffions dont il eft affecté ordinairement. Ce qui d'abord lui paroiffoit difficile, lui femble dans la fuite naturel; & ce qu'il regardoit comme un mal, lui devient une action indiférente, & quelquefois louable. C'eft aux bons & aux mauvais exemples que l'on doit attribuer les vertus & les crimes de la plus-part dés Hommes. Confultons, examinons le fond de notre cœur, nous verrons que le caractère des Gens que nous avons frequenté a toujours beaucoup influé fur notre conduite.

5. III.

« PreviousContinue »