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fez. Jurez-moi par votre amour, par le fouvenir que vous aurez de moi, que yous exécuterez mes dernières volontés. La douleur empêchant Dom Sanchez de retrouver l'ufage de la parole, vous ne répondez point, lui dit Elvire? Hé quoi, après m'avoir aimé auffi tendrement pendant toute ma vie, vous vous démentez lorfque je vais mourir? Ces mots augmentèrent l'accablement de Dom Sanchez. Il fit un effort pour parler, & ne put pouffer que des fanglots. Je vois, dit Elvire, que votre cœur m'accorde ce dont votre douleur ne permet pas que votre bouche m'affure. Voici ce que j'exige, & ce que vous me jurez d'exécuter. Je vous défends, après ma mort, de vous livrer à une trifteffe immodérée. Plaignez-moi, pleurez-moi. Je mourrois avec regret, fi je croyois que vous ne le fiffiez point. Mais modérez votre douleur; & lorfqu'elle fera un peu appaifèe, vous épouferez Adelaïde. Vous le devez, pour finir les maux que vous lui avez caufé, & pour réparer le manque de confiance que j'ai eu pour elle. Adelaïde, vous voyez que Dom Sanchez ne fauroit vous époufer fans vous faire Chrétienne. Vous y étiez déjà réfolue. Cela

ne

ne vous arrêtera point. Il m'est doux en mourant, que la dernière de mes actions foit de rendre Chrétienne une Perfonne qui en avoit déjà toutes les vertus. Donnez-moi votre main. Je fens Je fens que je meurs, & je n'ai que le tems de la mettre dans celle de Dom Sanchez. Ce fut là en effet la dernière chofe que fit Elvire. Elle tomba dans un évanouiffement dont elle ne revint plus,

LA douleur de Dom Sanchez fut inexprimable. Cependant la promeffe qu'il avoit faite à Elvire, & les charmes d'Adelaïde le confolèrent dans la fuite. il refta encore près d'un an à Tunis, flattant toujours le Dei qu'il fe feroit Mahometan. Mais ayant pris toutes les précautions néceffaires pour n'être plus arrêté, il partit avec Adelaïde, qu'il époufa en arrivant en Efpagne, & qu'il aima toujours tendrement, Le Dei fut fi affligé de la fuite de fa Fille, qu'il mourut bien-tôt après.

Fin de la Nouvelle.

RE

REFLEXIONS

Diverfes fur les douceurs de la

Société.

Par Monfieur le Marquis d'Arg.

ON

S. I.

Du choix de la Société.

peut établir comme un principe certain, que c'est des douceurs de la Société que dépendent celles de la vie. Un Homme destiné à vivre avec des Perfonnes d'un caractère dur, incommode, vitieux vitieux, eft cent fois plus malheureux, que s'il étoit dans la folitude la plus affreufe. Du moins pourroit-il dans cette folitude jouïr de la fatisfaction de n'être pas expofé à des maux, qu'il ne fauroit ni éviter, ni prevenir,dès qu'il n'est point affez heureux pour être lié avec des Gens véritablement aimables.

UN Galant-Homme d'un caractère doux & fociable, qui vit dans une Société difgracieufe, peut être comparé à un Européen poli & civilifé, qui fe trou

Ve

ve exilé dans un Pays barbare. Je fuis fermement perfuadé, qu'il y a plufieurs Perfonnes, qui au milieu des plus grandes Villes de l'Europe, font auffi malheureufes, que l'étoit Ovide chez les Pannonniens. Elles trouvent dans les Gens qu'elles fréquentent plus de dureté, plus d'impoliteffe, plus de férocité, que le Poëte Latin n'en rencontra chez les Peuples Barbares où il finit fes jours.

Il eft impoffible, lors que nous fréquentons journellement une Société qui nous déplait, que nous ne perdions notre enjoûment, & notre bonne humeur. Il n'eft point de tempéremment, quelque guai qu'il foit, qui puiffe tenir contre une contrainte perpétuelle. A la fin, la vivacité fait place à l'ennui, & l'ennui fe change en mélancolie. Il arrive même affez fouvent que l'efprit s'aigrit, & diminuë la bonté des fentimens. Les mouvemens du cœur dépendent ordinairement de la fituation où fe trouve l'efprit. Le même Homme qui dans un état heureux & tranquille fe feroit porté avec empreffement à une action louable, la néglige dans un état rempli de troubles & d'inquiétudes.

QUELQUES chagrins que l'on ait, quel

quelque mauvaise fortune que l'on effuye, on trouve contre tous ces accidens un fecours certain dans la douceur d'une aimable Société. Les inquiétudes fe diffipent par les confeils donnés avec amitié; les douleurs s'affoibliffent par les confolations fenfées; les craintes s'évanouïffent par l'appui qu'on nous promet; & le defefpoir ceffe par les efpérances dont on nous flatte. Ces avantages font les fuites de la bonne Société. Elle nous donne des avis falutaires, qui nous empêchent de nous livrer à l'orgueil, à la jaloufie, à la colère; & ces avis font d'autant plus d'effet, qu'ils partent toujours du cœur, & jamais de l'envie de dominer & de gouverner. Rien n'eft plus inutile que des confeils qui paroiffent des ordres, ou des reproches. L'amour-propre fe revolte contre eux. On n'en doit pas cependant efpérer d'autres de certaines Gens, qui ne prennent part à nos affaires, que pour avoir le plaifir de condamner notre conduite, ou de prefcrire ce qu'il leur plait que nous exécutions.

LES biens que nous produit la bonne Société font fi confidérables, les maux auxquels nous expofe la mauvaise font fi

cui

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