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bién avant Hélène, les Femmes avoient été le fujet & la caufe de plufieurs guerres fanglantes; elles l'ont été de plufieurs autres après le Siége de Troye, & le feront encore à l'avenir.

POUR prouver que l'Ambition a plus de force fur les Coeurs que les autres Paffions, on dit qu'on lui facrifie fon repos & fa tranquilité; mais ne facrifie-t-on pas ce repos & cette tranquilité à d'autres Paffions? Quels travaux ne fuporte pas un Avare pour acquerir de nouvelles richeffes ? Quelles peines ne foufre pas un Amant pour plaire à fa Maitreffe? Quels affronts n'effuye pas un Parafite pour attraper un bon repas? Quelles difficultés ne furmonte point un Vindicatif pour contenter fa haine? L'Ambition, ajoute-t-on, nous fait méprifer la vie. L'amour ne produit-il pas le même effet? L'Avarice ne conduit-elle pas le Marchand au travers des plus grands périls jufques dans le fond des Indes? Celui qui tue fon Ennemi, ne brave-t-il pas les Loix qui le condamnent à la mort? Je le répète, il n'eft aucune Paffion qui par fon effence foit plus forte que les autres. . L'AMBITION, j'entends le defir démefuré des grandeurs & des louanges,

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me paroît de toutes les Paffions la moins fenfée. Les Gens affez malheureux pour attacher le contentement de leur Esprit aux fentimens du Vulgaire, reffemblent à des Fous qui prennent l'ombre pour le corps, & qui courent fans ceffe après une chimère. Peut-on, dès qu'on fait ufage de fa Raison, renoncer entière. ment à fa liberté, pour fe conformer uniquement aux volontés des autres; ceffer d'être libre, pour devenir captif? Les Gens attachés par leur état à la Cour, font les efclaves des Princes & des Miniftres. I.es Ambitieux le font de tout l'Univers. Je ne connois rien de plus trifte que le fort d'un Homme qui n'aime la Vertu, qu'autant qu'elle plait au Vulgaire; qui ne fait pas le bien par l'amour du bien, mais par une vaine oftentation. Un Ambitieux reffemble à un tonneau: on ne fauroit en faire fortir la liqueur qu'il contient, qu'on ne lui donne du vent: avec ce même vent, on obtient ce qu'on veut des Ambitieux: ils ne feront point une bonne action qu'ils croiront devoir refter dans le filence: ils executeront les plus belles chofes, dès le moment qu'ils penferont qu'elles feront louées.

LA

LA Vertu feroit une chose bien médiocre, ou bien peu recommandable, fi elle n'étoit eftimable que par les fentimens du Vulgaire. Elle eft trop noble par elle-même, pour mandier une telle récompenfe. Elle ne cherche point, pour se faire voir, un Théâtre plus grand que le cœur de celui dans lequel elle regne. Le véritable prix des belles actions, c'eft de les avoir faites. La Vertu ne fauroit trouver hors d'elle-même un prix qui puiffe l'honorer.

Dès qu'on confulte fenfément fes véritables intérêts, on bannit auffi-tôt toutes les idées d'Ambition: on fe contente d'une fortune médiocre dans laquelle on vit tranquille, & l'on fuit une vaine gloire qui nous ôte pour toujours le repos. Les louanges qu'on recherche avec tant d'avidité, ne peuvent jamais contenter véritablement; mais la Vertu aimée pour elle-même fatisfait entièrement, & répand dans les cœurs un charme fecret.

LES Ambitieux, pour excufer leur conduite, difent que l'Ambition fert d'aiguillon à la Vertu; qu'elle la pique, la reveille & lui donne un nouveau luftre. La Vertu n'a pas befoin d'un pareil B 2 aiguil

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aiguillon; elle fait le bien fans égard à la gloire. Cet Homme charitable qui affifte les malheureux, n'attend pas, pour répandre fur eux fes largeffes, qu'on puiffe s'en apercevoir. Le Citoyen fidelle fert fon Prince, parce qu'il eft de fon devoir de le fervir, & non pas dans le deffein de faire une fortune brillante.

PLUSIEURS Perfonnes prétendent que l'Ambition corrige quelque-fois les vices. Quant à moi, je crois qu'elle les cache, mais qu'elle ne les détruit point. Elle pouffe les Ambitieux à de grandes actions qui font utiles au Public. Ceux qui les font, ne font pas pour cela plus vertueux. Les actions glorieuses, font des fujets de la Paffion, & non pas de la Vertu. Les défauts d'un Ambitieux qui fait fe contraindre, ne reftent cachés, que jufques à ce qu'il fe foit élevé à un point, où il puiffe les faire paroitre publiquement & impunément.

IL eft une certaine Ambition tempérée, & conduite pour ainfi dire par la Vertu, à laquelle je donne le nom de véritable gloire. Vouloir regner fur les Hommes en les rendant malheureux c'eft avoir de l'Ambition. Aimer à gagner les cœurs & à les rendre heureux,

c'est

c'eft allier à la Vertu l'idée de la véritable gloire.

L'AMBITION porte ordinairement avec elle fon châtiment; elle ne peut jamais être entiérement fatisfaite. Le Courtifan, le Guerrier, l'Eccléfiaftique, l'Homme de Robe ont toûjours dans leurs états quelques nouveaux defirs qu'ils ne peuvent contenter, & qui les tourmentent. Quiconque ne fait pas borner fes defirs, eft le jouet éternel des caprices de fon imagination. Combien peu d'Hommes y a-t-il qui fachent fe contenter de leur fortune? Nous vivons dans un Siécle, où les Grands & les Petits prouvent par leur conduite, qu'ils cherchent dans toutes les occafions à fortir des règles que femble leur pref crire leur état. La Fontaine a eu raifon de dire.

Tout petit Prince a des Ambaffadeurs,
Tout Marquis veut avoir des Pages.

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