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courroux de mon Père? Car enfin, Dom Sanchez, il ne faut point vous flatter: fi vous ne devenez pas Mufulman, rien ne peut empêcher votre mort & celle d'Elvire. Mes pleurs ne feront qu'aigrir la colère de mon Père. Il croira en vous puniffant me vanger avec lui. Hé bien, répondit Dom Sanchez, fi je vous fuis cher, belle Adelaïde, faites retomber fur moi toute la colère de votre Père. Dites-lui qu'Elvire eft innocente, qu'elle m'a preffé de devenir Mufulman. Faiteslui entrevoir que vous ferez peu fenfible à ma perte, pourvû qu'Elvire vive. Vous ne répondez point, continua Dom Sanchez? Vous êtes inflexible? C'en eft fait: je fuis perdu. Hé bien, mourons: j'aime encore mieux périr avec Elvire, que de lui être infidelle, & que de manquer à mon Dieu. Ce feroit acheter trop cher les jours d'une Epoufe, que de les payer par une action qui me rendroit méprifable devant les Hommes, & criminel devant le Ciel. Adieu, Adelaïde. Je vous pardonne ma mort; & je verrois avec plus de regret les maux que je vous ai caufé involontairement, fi je ne vous regardois pas comme coupable en partie de la mort d'Elvire:

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A

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A ces mots, Dom Sanchez voulut fortir de l'appartement d'Adelaïde pour retourner dans fa prifon. Elle l'arrêta par le bras, & fe faifant un effort pour parler, vous vivrez, lui dit-elle, Dom Sanchez, vous vivrez, & Elvire fera heureufe. C'en eft fait: je fai que l'ef-i fort que je fais, va me couter la vie mais elle m'eft déformais fi à charge, que ceffer de vivre eft pour moi le feut bonheur qu'il me reste à espérer. Dom Sanchez voulut fe jetter aux genoux d'Adelaïde pour la remercier: levez-vous, lui dit-elle; vos difcours ne feroient qu'aigrir ma douleur. Adieu; je vous quitte; vous ferez bientôt heureux. Nel foyez point inquiet d'être encore retenu un jour en prifon: je dois, pour tromper la colère de mon Père, faire femblant d'être auffi animée que lui contre vous.

ADELAIDE ne donna pas le tems à Dom Sanchez de répondre. Elle paffa dans une autre Chambre ; & quelques momens après, on vint prendre fon A mant, & le ramener en prison.

PENDANT que Dom Sanchez étoit raffuré fur le fort d'Elvire, elle étoit dans une inquiétude mortelle d'être inf

traite

truite de celui de ce cher Epoux. Elle craignoit la colère du Dei. Elle fe repréfentoit Dom Sanchez prêt à être conduit à la mort. Cette idée la frapoit à un tel point, qu'elle ne fongeoit pas au danger qu'elle pouvoit courir elle-même. Il fembloit que le péril où elle croyoit que Dom Sanchez étoit expofé, lui avoit fait entièrement oublier celui qui la menaçoit. Elle avoit paffé près d'un jour dans cette trifte fituation, lorfqu'on vint la tirer de l'endroit où elle étoit pour la mener dans un autre. Elle crut qu'on alloit lui donner la mort; & ne doutant pas que fon Epoux n'eut déjà péri, elle dit à ceux qu'elle prenoit pour fes bourreaux: je ne crains point les coups que vous m'allez porter. Frapez; délivrez-moi d'une vie importune. Je vivois pour Dom Sanchez; je le fuis au tombeau. Si j'avois été la maitreffe de mon fort, j'aurois déjà prévenu la cruauté du Dei. Les Gens à qui parloit Elvire l'affurèrent que Dom Sanchez n'étoit pas mort. Vous allez, lui dirent-ils, le voir dans un moment, & c'eft dans fa prifon où nous vous conduifons. Quoi! dit Elvire, Dom Sanchez vit encore, & je pourai

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pourai le voir! Allons, partons. Quel que foit le fort qui m'attende, il me fera doux de l'effuyer auprès de lui.

LORSQUE Dom Sanchez vit arriver Elvire il fut faifi d'une frayeur mortelle. Il crut que le Dei ne les raffembloit tous les deux, que pour les faire mourir enfemble. Ah! cruelle Adelaïde, s'écria-t-il, eft-ce là, ce que vous m'avez promis? Sans doute vous vous étes unie à votre Père, & vous ne m'avez flatté d'une délivrance prochaine, que pour me rendre plus cruels les maux que vous me destinez.

PENDANT que Dom Sanchez fe plaignoit d'Adelaïde, les Gens qui avoient conduit Elvire s'étoient retirés. Pourquoi, dit-elle à fon Epoux, accufez-vous Adelaïde du fort qui nous menace? Peutêtre eft-elle auffi à plaindre que nous. Le Dei dans fa colère ne l'aura point épargnée, & ce fera la prémière victime qu'il aura immolée à fon reffentiment. Ignorez-vous, chère Elvire répondit Dom Sanchez, que les pleurs d'Adelaïde ont fléchi fon Père? Elle avoit obtenu votre grace & la mienne: c'étoit à une condition bien pire que la mort. quelle étoit cette condition, demanda El

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Et

vire ?

vire? Il falloit, reprit Dom Sanchez, vous quitter, il falloit l'époufer. Ha! le tré pas eft pour moi un bien, dès qu'il faut vous être infidelle. Mais je dois l'avouer, la crainte de votre mort ébranloit ma conftance. Si Adelaïde ne m'avoit pas promis de prendre foin de vos jours, j'aurois chéri à regret une fidélité, qui en vous montrant mon amour, vous entrainoit dans mes malheurs. J'avois crû, dit Elvire, que vous connoiffiez mon cœur. Quoi! Dom Sanchez, avez-vous pu penfer que j'euffe confervé une vie que j'aurois dû à votre infidélité? En voulant

me fauver, vous n'auriez fait que hâter ma perte. Mourons: la mort n'eft point un mal dans l'état où nous nous trou vons. Le Dei en nous immolant à fa fureur va nous réunir pour toujours. Vous auriez vécu, & vécu pour une autre; & moi, pour jouir d'une vie remplie d'amertume, j'aurois été la caufe d'une infidélité dont la feule idée me paroit plus affreufe que la mort. Mes jours ne m'étoient chers, qu'autant qu'ils étoient deftinés à faire le bonheur de mon Epoux. Il meurt pour m'être fidelle; je le fuis dans le tombeau; & j'aime-mieux cent fois l'y voir defcendre,

que

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