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Je vous jure, par cette tendreffe que vous m'avez infpirée, je vous jure par vousmême qui me tenez lieu de tous les biens, aux quels je vous ai préferé, que je ne veux favoir ce que vous voudriez me taire, que pour trouver du remède à vos maux. Rien ne peut en finir le cours repliqua Dom Sanchez. Laiffez, laiffez périr, belle Adelaïde, un Malheureux que la Fortune a pris plaifir d'accabler. Confervez feulement les jours d'Elvire. Vivez heureuse, & je mourrai content. Eh! comment, cruel, dit Adelaïde, voulez-vous que je vive heureufe, fi vous mourez? Connoiffant mon amour, avezvous pu penfer que je vouluffe vivre un inftant après vous ? Oh! Dom Sanchez, par pitié, éclairciffez-moi de votre fort. Faut-il pour vous en prier que je me jette à vos genoux? Adelaïde fondante en larmes voulut en effet embraffer les genoux de Dom Sanchez. Il l'arrêta, & la faifant affoir, puifque vous l'exigez, lui dit-il, il faut vous fatisfaire. Mais je fens que je vais encourir votre haine. Au moins promettez-moi qu'elle ne s'étendra pas fur Elvire. Non, non, ne craignez rien, répondit Adelaïde, pour elle, n'y pour vous. Hé bien, reprit Dom

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Sanchez, quand même l'horreur de man, quer à mon Dieu & à ma Religion ne feroit point un éternel obstacle à ce que veut le Dei votre Père, il en resteroit un autre, qui rendroit impoffible ce qu'il exi ge de moi. Eh! quel eft cet obftacle, repliqua Adelaide? Parlez. Je veux abfo. lument être éclaircie de ce miftère. Vous avez des raifons indépendamment du changement de Religion qui vous em: pêchent d'être à moi? Hé! pourquoi donc, cruel, avez-vous attendu jufqu'à préfent à me les apprendre? Que ne me difiezvous: Adelaïde, je ne puis recevoir votre cœur: fongez à vous défendre d'un amour que je ne faurois rendre heureux: fuyez-moi, oubliez-moi ? Peut-être aurois-je pu me guérir de ma foibleffe. Vous avez fait tout ce qu'il falloit pour augmenter ma paffion. Vous n'avez dond voulu que me tromper...? Mais je veux connoître toute l'étendue de mon malheur. Il faut parler; il faut m'apprendre quel eft cet obftacle; je veux le favoir; dut-il être celui de l'amour d'une Rivale. Les maux que je fouffre ne peuvent être augmentés. Ingrat, fi dans ce moment vous ne rompez le filence, fi vous ne m'apprenez la caufe de mon malheur,

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je

je vais me poignarder à vos yeux, & vous ferez la feule caufe de ma mort, de la vôtre, & de celle de votre Sœur. Vous me forcez, répondit Dom Sanchez, à

rompre le filence. Souvenez-vous au

moins que c'est moi qui fuis le feul cou pable. Elvire.... Hé bien, Elvire ? demanda Adelaïde. Ciel! où fuis-je reduit, dit Dom Sanchez ? Achevez, repliqua Adelaïde. Elvire, reprit Dom Sanchez, eft mon Epoufe. Dieu! s'écria Adelaïde, c'est donc ainfi, Couple ingrat & perfide, que vous abufiez de ma créduli té! Dans quel abîme affreux ils ont vou+ lu me précipiter ! Les lâches, ils me fait foient defcendre du plus haut rang, pour me couvrir d'infamie. Quand je leur rene dois la liberté, ils vouloient fans doute me faire leur Efclave. Mais il eft tems que ma vengeance éclate: vous périrez tous deux. Quel plaifir de voir immo ler à mes yeux cette Elvire qui t'est si chère! Je te rendrai, perfide Dom San+ chez, tous les maux que tu m'as fait fouf frir, & ceux que tu me fais fouffrir enco re. Oui, Elvire mourra, & mourra de ma inain. Mon plus grand plaifir fera la peine que tu fentiras d'être la caufe de fa perte par ton indifcretion.

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ADELAIDE, dit Dom Sanchez, je n'avois que trop prévû votre fureur; mais pourquoi haiffez-vous Elvire? Pourquoi voulez-vous la punir d'une faute dont moi feul je fuis coupable? Elle étoit Maîtreffe de mon cœur avant de vous connoître. Elle n'a point par une perfidie voulu vous enlever l'amour de votre Amant. Hélas! elle a prétendu conferver celui de fon Epoux. Pouvez-vous lui en faire un crime? Loin de vouloir abufer de votre foibleffe, elle vous fervoit fans que vous le fuffiez, & peut-être malgré vous. Nous partions elle & moi feuls pour l'Espagne. Notre fuite vous confervoit à votre Père. L'abfence m'auroit aisément banni de votre cœur. Vous m'auriez oublié. Je t'aurois oublié, répondit Adelaïde? Cruel,peux-tu le croire? Penfe-tu que jamais mon amour pour toi puifle finir? Hélas! dans ce moment je fens que mon courroux s'éteint. Un mouvement fecret me raproche de toi lorfque je voudrois m'en éloigner. Pardonne à ma colère, pardonne à ma tendreffe des menaces que tu devois bien juger ne devoir être fuivies d'aucun effet. Au lieu de te donner des marques de ma haine, je veux te donner de nouvelles

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preuves de mon amour. Il dépend de toi, fi tu veux, de conferver Elvire, & de rendre heureuse Adelaïde. Deviens Mufulman, ou du moins fais femblant de l'être, Quoi qu'Elvire foit ton Epoufe, je puis autfi la devenir. Je ne demande point dans ton cœur la prémière place, je me contenterai de la feconde. Le plaifir de t'aimer, de te voir, de te par ler, fuffira pour me rendre heureufe. Cette Elvire fortunée ne peut-elle done pas fouffrir qu'une Perfonne qui lui fauve la vie, & qui te conferve pour elle, ait quelque droit fur ton cœur? Ha! quelque jaloufe que je fois de ton amour, fi j'étois à la veille de te perdre, je fens que je te céderois à celle qui conferveroit tes jours. Ecoute, je veux t'ouvrir le fond de mon cœur: juge de la différence de mes fentimens à ceux d'Elvire. Si je pouvois te fauver la vie fans être à toi, je fens que je ferois capable de te facrifier le bonheur de mes jours. Je 'mourrai de douleur de n'avoir plus aucune efpérance fur ton cœur. Cependant j'aimerois mieux te voir entre les bras de ma Rivale, que d'exposer ta vie. Hé quoi! Elvire, te conferve, Elvire peut t'aimer; & elle veut te livrer au

cour

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