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corder à mes pleurs & à mon desespoir votre grace & celle d'Elvire. Il fait plus... Dom Sanchez ne donna point le tems à Adelaide d'achever ce qu'elle vouloit lui dire. La joye qu'il reffentit de favoir qu'il n'avoit rien à craindre pour fa chère Elvire le tranfportant, il fe jetta aux piés de la belle Africaine. Ah! Madame, lui dit-il, par quel endroit ai-je pu mériter les bontés dont vous me comblez? Le Ciel m'eft témoin, que j'aurois quitté la vie fans regret, fi Elvire, cette Elvire que vous aimez tant, n'avoit pas été envelopée dans le trifte fort qui m'attendoit.. Madame, achevez mon bonheur. Montrez-la moi. Après tant de crainte & tant de frayeur, me fera-t-il permis de la voir? Adelaïde ayant tendu la main à Dom Sanchez pour le relever, lui dit: vous ferez fatisfait en fortant d'ici. Vous reverrez une Sœur fi chère, & vous pourez déformais lui témoigner fans contrainte toute votre amitié. Mais vous ignorez encore à quel prix vous eft accordée votre vie & celle d'Elvire. Ah! quelque chofe, répondit Dom Sanchez, qu'il faille faire pour la confervation des jours d'El vire, il n'eft rien que je n'exécute, rien que je n'accepte. Si je dois en croire,

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repliqua Adelaïde, mon cœur & votre promeffe, ce qu'on exige de vous ne vous paroîtra pas bien fâcheux. On veut que vous acceptiez la main & la foi de cette Adelaïde qui vous adore; mais vous devez, pour plaire à fon Père, devenir Mufulman.

LA propofition de la belle Africaine jetta Dom Sanchez dans une confternation inexprimable. Il refta immobile ; & prévoyant les maux qui alloient tomber fur la tête & fur celle d'Elvire, il n'eut pas la force de pouvoir répondre à Adelaïde. Elle s'aperçut de fon trouMable; & en attribuant la caufe à l'averte fion qu'il avoit de devenir Musulman, de elle lui dit les larmes aux yeux écouait tez-moi, Dom Sanchez. Je fai l'attache

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ment que les Chrétiens ont pour leur 11 Religion; mais cette Religion exigeOut-elle qu'on lui facrifie l'amour, l'amitié, rafa vie, & celle de fes Parens, lorfque, fans la quitter véritablement, il s'agit feulement de feindre pour quelque tems d'en avoir pris une autre? La diffimulation n'eft point un crime, quand elle n'eft employée que pour empêcher le mal & pour parvenir au bien. Soyez Chrétien, Dom Sanchez, dans le fond du cœur, L 2

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foyez-le avec Elvire, foyez-le avec Adelaïde; paroiffez Mufulman avec les autres. Le Dieu des Afriquains n'eft- il donc pas le Dieu des Européens? Le Mai-. tre de l'Univers eft le Père commun de tous les Hommes. Le Chrétien vertueux, le Mufulman qui fait le crime font également fes Enfans. Il hait dans tous les deux le parjure, l'infidélité, & condamne dans tous les deux un faux zêle' qui fait périr des innocens. Si vous vou lez vous perdre par votre obstination pour une loi tyrannique, n'entrainez pas dans votre perte la malheureufe Elvire, & la trop crédule Adelaïde. ingrat, je commence à comprendre que vous ne m'aimâtes jamais. Quoi! il dépend de vous d'être mon Epoux, vous pouvez me poffeder de l'aveu de mon Père, &, je ne fai par quel fcrupule ridicule vous refufez un fort auquel vous n'auriez jamais ôfé prétendre? Ditesmoi, cruel, ai-je eu ces craintes, ce faux zèle, lorfque j'ai voulu vous fuivre chez les Chrétiens? La foi des Mufulmans me touchoit peu. La loi que je comp tois d'embraffer étoit celle de mon Amant. S'il eut été Mufulman, j'aurois refté Musulmane: il étoit Chrétien, je

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Oui,

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devenois Chrétienne. Pour deux cœurs bien épris, c'est la loi de l'Amour qu'il faut fuivre. C'est celle que le Maitre de l'Univers a gravée dans notre Ame. Mais, fi l'Amour ne peut rien fur vous, fi vous êtes infenfible aux prières d'une Amante qui n'a pas balancé à facrifier tout ce qui pouvoit l'empêcher de vous rendre heureux, du moins fongez au malheur de l'infortunée Elvire. Ha! Madame, s'écria Dom Sanchez, fi je vous fus jamais cher, faites que cette Elvire ne fe reffente point du trifte fort que je vais effuyer. Je fuis prêt à mourir. Je livre avec plaifir ma vie à la vengeance de votre Père; mais il doit être fatisfait. Héalas! vous favez qu'Elvire n'eft malheu-reufe, que parce qu'elle a voulu vous plai!re. Pourez-vous vous réfoudre à la voir .périr? Pourquoi, répondit Adelaïde, lui donnez-vous vous-même le coup de la mort? Je connois mon Père: rien ne poura calmer fa colère & fes premiers tranfports, lorfqu'il apprendra votre refus. Il fe croira avec raifon doublement offenfé par un Efclave. C'eft vous, cruel, c'eft vous, qui nous faites defcendre, Elvire & moi, dans le tombeau. Vous ne voulez point par un peu de contrainte,

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par une légère diffimulation finir nos malheurs & les vôtres. Hé bien, vous ferez fatisfait; vous ne pafferez pas pour être Mufulman; mais vous deviendrez le bourreau d'Elvire & le mien..

LES pleurs qu'Adelaïde répandoit en abondance l'empêchèrent de continuer de parler. Dom Sanchez agité de mille penfées différentes, déchiré par la douleur que lui caufoit l'état d'Elvire, étoit abforbé dans lui-même. Comme il ne répondoit point, Adelaïde ayant encore gardé quelque tems le filence, lui dit: vous n'avez donc rien à me dire, & je dois me réfoudre aux maux que vous m'allez caufer? Que ne puis-je, repartit Dom Sanchez, parler; mais je ne faurois vous découvrir un fecret qui met un obstacle invincible à ce que vous exigez. Ha! cit Adelaïde, apprenez-moi ce fecret. Pourquoi vouloir me cacher une chose à Ja quelle peut-être je puis apporter du remède? Pouvez-vous vous défier de cette Adelaïde qui vous adore, qui n'a pas balancé a vous facrifier fon Père & fa grandeur? Que craignez-vous? Parlez. Quel que foit ce fecret que vous n'ôfez m'apprendre, foyez affuré qu'il ne diminuera jamais l'amour que j'ai pour vous.

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