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laïde, as-tu pû t'oublier jufqu'au point de te deshonorer toi-même ? Reviens, ma chère Fille, de ton aveuglement. Je fuis trop touché de ta douleur, pour ne point te pardonner le paffé. Je vois qu'on ta féduite; qu'on a abufé de ta facilité. Mais les fuplices les plus rigoureux feront la jufte récompenfe des Malheureux qui font caufe de ta faute. Ha! s'écria Adelaïde, fi Dom Sanchez meurt, il faut donc que je meure. Mes jours font attachés aux fiens. Mon Père, fi jamais je vous fus chère, ne me refufez point de m'unir par la mort à mon Amant. C'est moi qui l'ai féduit; c'eft moi qui porte aujourd'hui le poignard dans fon fein. Je fuis prête à mourir à vos genoux que je tiens embraffés. Arrachez-moi des jours que je détefte, mon Père; vangez-vous; puniffez-moi; votre colère eft jufte; elle ne fait que prévenir le coup que je me donnerai moi-même, fi la pitié vous retient. Si vous craignez de répandre le fang de votre Fille, prêtezmoi votre poignard; ma main va me délivrer des maux que je fouffre. Oh! Dom Sanchez, Oh! Elvire, pardonnezmoi les maux que je vous cause. Hélas!

je

je fuis encore, quel que foit votre deftin, plus à plaindre que vous.

JUSTE Ciel! dit le Dei, à quels malheurs m'avez-vous refervé! Faut-il que le coup qui me tue parte d'une Fille, que, malgré fon crime & fon égarement, j'aime plus que moi-même! Dis-moi, Adelaïde, peux-tu exiger que ton Père, que ton Roi pardonne à un Malheureux, qui a voulu te defhonorer, te faire perdre un rang illuftre que le Ciel t'a donné, & aller montrer ton infamie dans tous les Pays Chrétiens? Ma gloire, reprit Adelaïde, étoit en fûreté. Je partois fon Epouse; & dès le moment que j'arrivois en Espagne, nous étions unis pour tou jours. Sa main étoit pour moi un bien plus précieux qu'une Couronne. Tu te laiffois tromper, repliqua le Dei; tous les enlèvemens n'ont jamais fait que des Parjures. Mais as-tu pu, fans rougir, vouloir faire ton Epoux d'un malheureux Efclave? La naiffance de cet Esclave, répondit Adelaïde, eft très illuftre; & la Fortune qui l'a maltraité dans tant d'autres circonftances, l'a avantagé dans cellelà. Mais fut-il né dans le rang le plus abject, fes vertus auroient mérité cent

fois

fois plus que je ne lui donnois. Hélas! tous les dons que j'ai voulu lui faire onţ caufé fa perte! Sans moi, fans mon amour, il vivroit Efclave aujourd'hui; mais il vivroit; il auroit pû recouvrer fa liberté dans la fuite. C'en eft fait, tout eft perdu pour lui; il va périr. Mais s'il peut après la mort être encore fenfible, il faura que je ne lui ai point survécu, & que j'ai facrifié ma vie aux piés de fon Meurtrier. A ces mots, Adelaïde fe faifit du poignard que fon Père avoit à fa ceinture. Elle le prit fi brusquement, que le Dei eut à peine le tems de le lui ôter, dans le moment qu'elle alloit fe le plonger dans le fein.

LE Dei, faifi de crainte à la vuë du péril qu'avoit couru fa chère Fille, resta dans un étonnement dont il ne pouvoit revenir. Cependant Adelaïde lui difoit en baignant fes genoux de larmes. Oh! mon Père, pourquoi voulez-vous m'empêcher de mourir? Le crime que j'ai fait eft-il donc fi grand, qu'il faille le punir par les plus cruels fuplices? La vie eft pour moi une horreur. Je ne puis refifter aux maux que je fouffre. Mon Père, par pitié, finiffez mes tourmens. En me donnant la mort, vous me donnez

cent

cent fois plus, que lorfque vous m'avez donné la vie.

LE Dei aimoit trop fa Fille, pour pouvoir fuporter l'état où il la voyoit. Lèvetoi, Adelaïde, lui dit-il. Ton Amant ne mourra pas; & je fais encore grace à Elvire. Mais, après l'éclat qu'a fait ton avanture,il faut, en confervant cet Amant, que je l'élève à un rang où il puiffe devenir ton Epoux. Je fens qu'il eft abfolument néceffaire, pour mettre ta gloire & la mienne en fûreté, ou qu'il meure, ou qu'il t'époufe. L'amour que j'ai pour toi, amour peut-être trop aveugle, a furmonté ma jufte colère. La grace de ton Amant t'eft accordée; mais c'est à condition qu'il deviendra Musulman. S'il t'aime, & s'il veut mériter le pardon de fon crime, il ne doit pas balancer à quitter une Religion qu'il ne pouroit conferver, fans te perdre, & fans mourir. Mon Père, dit Adelaïde, dans vos bontés je reconnois votre cœur. Oh! jour le plus heureux de ma vie, où je retrouve la tendreffe du meilleur Père du monde, & où je fauve la vie de mon Amant & de mon Amie!Mais, mon Père, achevez ce que vous avez fi heureusement commencé pour mon bonheur.

Vous connoiffez l'attachement des Chré-. tiens pour leur Religion; permettez que ce foit moi qui apprenne vos volontés à Dom Sanchez. Ordonnez qu'on l'amenne dans mon appartement, & que je puiffe l'entretenir feule. J'y confens, répondit le Dei. Mais fouviens-toi, ma Fille, que s'il étoit affez infenfé pour ne point vouloir devenir Mufulman, tu ne pourois plus t'opposer à fa mort. S'il refufe de chancher de Religion, je jure par l'Alcoran qu'il mourra. Je confens qu'il vive comme ton Epoux; mais, dès qu'il ne peut l'être, je ne puis lui laiffer la vie, fans me couvrir d'une honte éternelle. Adelaïde, contente de ce qu'elle venoit d'obtenir, promit à fon Père tout ce qu'il voulut." Elle ne penfoit pas que fon Amant put mettre quelque chofe en balance avec le bonheur de fauver fa vie, celle de fa Sœur, & d'époufer une Maitreffe qui l'é levoit au plus haut rang.

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LE Dei, étant forti de l'appartement de fa Fille, ordonna qu'on y conduifit Dom Sanchez. Dès qu'Adelaïde l'apperçut, nous fommes, lui dit-elle, beaucoup plus heureux que nous n'aurions ofé l'efpérer. Revenez, Dom Sanchez; de votre crainte. Mon Père vient d'acTome I.

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