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cours. Ha! fi vous m'aimez, repliqua Elvire avec un air de dépit, fauvez-moi donc du danger où je fuis de vous perdre pour toujours. Songez, lorfque vous parlerez à Adelaïde, que je fuis Efclave, féparée de vous, prête peut-être à ne plus vous revoir. Combien d'autres malheurs ne crains-je point encore, outre ceux que j'éprouve! Alors vous trouverez chez vous affez de fermeté pour vous contraindre quelques momens,

Hé bien, Elvire,dit Dom Sanchez, je ferai tous mes efforts, pour furmonter ma honte, & pour cacher mon embarras. Mais, par pitié, aidez-moi à calmer. mon trouble. Venez à mon fecours dans ces momens cruels. Hé! n'ai-je pas, repartit Elvire, donné aux difcours que vous avez fait ce matin un fens favorable, & tel que fouhaitoit Adelaïde? Faites feulement de votre côté ce que vous devez faire pour rendre la liberté à votre Epouse, & foyez affuré qu'elle previendra tout ce qui pouroit nuire à vos deffeins. Mon cœur n'eft pas moins ennemi du menfonge que le vôtre; mais il est plus tendre, & il aime plus vive. ment. Finiffons, dit Dom Sanchez, un difcours qui m'accable. Epargnez, Elvire,

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le cœur d'un Epoux prêt à faire tout ce que vous fouhaitez. Je vais preffer notre départ. J'efpére terminer bientôt nos peines. Pour parvenir à notre but, il faudroit qu'Adelaïde parût fouhaiter d'avoir quelques fleurs qui ne se trouvent point dans ce Jardin; cela me donneroit le prétexte d'aller à Tunis, ou à Portofarino, pour m'affurer de quelque Capi taine dont le Bâtiment fit voile pour Efpagne. Rien n'eft fi aifé que ce que vous demandez, dit Elvire; & dès demain Adelaïde vous fera ordonner d'aller à Tunis. Sans doute elle voudra vous parler avant que vous partiez, Songez à vous contraindre, & à tenir la promeffe que vous m'avez faite. Elvire étant obligée de retourner auprès de fa Maitref fe, embraffa fon cher Epoux, & fut apprendre à Adelaïde qu'elle devoit faire ordonner à l'Esclave d'aller à Tunis chercher une forte d'œillets, qui ne se trouvoit pas dans les Jardins. Elle lui apprit enfuite la raison de ce voyage. Voi là qui eft à merveille, dit Adelaïde; mais il faut que je le voye avant qu'il parte. Je veux aller promener demain dans le Bofquet. Elle y alla en effet. Dom Sanchez tint fa parole à Elvire. Il parut afK 5 fez

fez empreffé; & cette feconde entrevuë entre lui & Adelaïde augmenta encore l'amour de cette infortunée Africaine.

DOM Sanchez étant arrivé à Tunis, s'informa adroitement des Bâtimens qui étoient prêts à mettre à la voile, & apprit qu'il y avoit un Vaiffeau Anglois qui partoit pour Barcelone, dont le Capitaine étoit à terre depuis quelques jours, & logeoit chez le Conful de fa Nation. Il trouva le moyen de lui parler fecrettement, & convint avec lui qu'il mouilleroit un certain jour à la diftance d'un demi-mille de la Maifon de Campagne d'Ofman, & qu'il enverroit fa Chaloupe ur le bord du Jardin vers la minuit.

DOм Sanchez, ayant pris toutes les mefures qu'il croyoit néceffaires pour fon départ, retourna rendre compte à Elvire des arrangemens qu'il avoit pris. Ils conclurent tous deux qu'ils diroient à Adelaïde qu'ils partiroient deux jours plus tard qu'ils ne l'avoient réfolu. Elvire devoit joindre Dom Sanchez dans le Bofquet pendant le fommeil d'Adelaïde ; & tout étoit fi bien reglé, qu'il fembloit impoffible que ce deffein put ne pas réuffir. Cependant le Deftin en avoit décidé autrement, & la Fortune reservoit à

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ces Epoux des maux plus cruels que tous ceux qu'ils avoient éprouvé jusqu'alors.

ADELAIDE ayant appris le retour de Dom Sanchez, ne manqua pas d'aller au rendez-vous ordinaire. La joye qu'elle avoit de l'approche de fon départ, rendoit fa tendreffe encore plus vive. Elle donna à son Amant les marques les plus fincères de la paffion la plus forte. Dom Sanchez éclairé des regards d'Elvire, & encouragé par l'efpérance prochaine de la fin de fes maux, parut plus empreflé qu'auparavant. Adelaïde fut perfuadée qu'elle étoit auffi aimée qu'elle aimoit. Elle retourna dans fon appartement le cœur rempli des idées les plus flateuses. La joye qu'elle reffentoit ne lui laissa pas toute la prudence néceffaire dans l'exécution des grandes entreprises. Sa gayeté extraordinaire fit naitre quelques foupçons à l'une de fes Femmes, qui voulant connoître ce qui pouvoit flatter fi fort fa Maitreffe, fe cacha dans un Cabinet voifin de la Chambre où Adelaïde s'entretenoit ordinairement avec Elvire. Elle entendit tout ce qu'elles difoient; & comptant avoir une grande récompenfe du Dei, fi elle lui découvroit un fecret qui l'intéreffoit infiniment, elle lui écrivit la réfolution que fa Fille avoit prife

de

de s'enfuir avec Dom Sanchez & Elvire.

LEDei, ayant reçu la Lettre de cette Femme par un Eunuque qu'elle en avoit chargé, partit lui-même dans l'inftant pour fe rendre à la Maifon de Campagne où étoit Adelaide. La tendreffe qu'il avoit pour elle étoit fi forte, qu'en faifant périr Elvire & Dom Sanchez, il vouloit cependant adoucir le chagrin qu'il fentoit qu'auroit fa chère Fille. Jamais Père n'aima autant fes Enfans, que ce Dei aimoit Adelaïde. Dès qu'il fut arrivé, il ordonna qu'on arrêtat Elvire & Dom Sanchez, & paffa enfuite dans l'appartement de fa Fille, à qui il avoit fait deffendre d'en fortir. Il la trouva verfant un torrent de larmes. Elle n'avoit pas douté, fachant que fon Père avoit fait arrêter Elvire, qu'il ne fut inftruit de la refolution qu'elle avoit prife; & craignant pour les jours de fon Amant, elle étoit prête à tous momens de finir les fiens. Le Dei, voyant l'état de fa chère Fille & fon accablement, ne put s'empêcher d'y être fenfible. Sa colère s'évanouït prefque à la vue d'Adelaide mourante. Ha! ma Fille, lui dit-il, que t'avoit fait ton Père, pour vouloir lui porter les coups les plus cruels? Eft-ce là la confolation que j'attendois de toi dans ma vieilleffe? Ade

laïde,

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