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enfin, Elvire, il ne faut point s'aveugler, La diffimulation dont nous allons ufer, en eft un; & nous aurons à nous reprocher éternellement l'état où fe trouvera Adelaïde en arrivant en Espagne. Pourquoi l'y conduire, interrompit Elvire? Vous pouvez, fi vous voulez, vous fervir d'elle pour préparer tout pour notre départ ; & lorfque nous partirons, nous la tromperons elle-même en la laiffant ici. Vous me donnez un confeil, repliqua Dom Sanchez, dont je me fervirai très utile-. ment. Dès qu'Adelaïde refte chez fon Père,mes peines s'évanouiffent prefqu'entièrement. Mais, chère Elvire, où vous vérrai-je à l'avenir? L'idée du moment où vous m'allez quitter me fait frémir. Je viendrai dans ce Bois, reprit Elvire tous les jours à la même heure. Je m'y trouverai auffi lorfque le Soleil fera couché. Selon toutes les apparences, Adelaïde m'accompagnera fouvent. je crains fa vue lorfque nous ferons tous deux. Je juge de l'excès où fe porteroit fa jalousie par la connoiffance que j'ai de la violence de fon amour. Nous ne pourons, cher Sanchez, nous empêcher de nous regarder avec trop d'attention; nos yeux nous trahiront, nos geftes, nos mouve15

mens.

mens. Une Amante, telle qu'Adelaïde, eft clairvoyante. Prévenons, s'il fe peut, les malheurs que j'appréhende. Il me vient une idée qui me paroît bonne. Je dirai à Adelaïde que j'ai trouvé dans l'Efclave un de mes Frères appellé Dom Sanchez, que je croyois perdu. Elle m'en aimera davantage me croyant la Sœur de fon Amant, & je pourai fans lui caufer aucun foupçon, parler & agir avec vivacité pour nos affaires.

Doм Sanchez aprouva la penfée qu'avoit Elvire. Il confentit d'attendre vers le coucher du Soleil Adelaïde dans le Bois, & de lui dire tout ce qui pouroit l'engager à perfifter dans fa paffion. Elvire, craignant qu'une trop longue abfence ne donnât quelque foupçon aux autres Femmes, embrafla Dom Sanchez, & fut trouver Adelaide pour lui rendre compte du fuccès de fa négociation, ou plutôt pour tromper fa crédulité.

Dès que la belle Africaine aperçut Elvire, elle changea de couleur. Avez-vous, lui demanda-t-elle d'une voix mal affurée, quelque chofe de gracieux à m'apprendre? Je fouhaite de favoir ce que vous m'allez dire, & je crains de l'entendre. Ha! qu'on eft timide & craintif,

quand

quand on aime autant que moi! Vous obtiendrez, dit Elvire, tout ce que vous fouhaitez. Votre Amant eft prêt à faire ce que vous voudrez. Je vous réponds de fon cœur. J'ai des droits fur lui, ajouta Elvire en rougiffant, affez forts pour pouvoir vous en être caution. Hé! quels font donc ces droits, demanda Adelaïde avec beaucoup de vivacité? Auriezvous plu à l'Efclave? Vous auroit-il dit qu'il vous aime? Vous me couteriez la vie, fi vous étiez ma Rivale. Quand même vous n'aimeriez point mon Amant, je n'en ferois pas moins malheureufe, s'il a voit pris du goût pour vous. Je ne fuis point votre Rivale, repliqua Elvire, qui avoit eu le tems de fe remettre de l'émotion que lui avoient caufé les prémières paroles d'Adelaïde, je fuis la Sœur de votre Amant. La Fortune, par un de fes caprices heureux, me rend en lui un Frère que je croyois mort depuis plufieurs, années,

QUOI! s'écria Adelaïde, mon Amant eft votre Frère! Ha! ma chère, qu'il m'eft doux de pouvoir vous rendre tous deux à votre Patrie, & de brifer vos fers! Quel plaifir pour un cœur comme le mien de contenter tout à la fois l'A

mour

mour & l'Amitié; de donner à ma chère Elvire un Frère, & à mon Amant une Sœur ! Que ne puis-je encore vous ac cabler de nouveaux bienfaits! Que ne puis-je vous donner tous les trésors de mon Père! Mais nous en apporterons affez pour n'envier point les richeffes de Perfonne. Ditez-moi, ma Sœur (car dorénavant je ne vous appellerai plus que de ce nom) peut-être, lorfque votre Frère m'aura vuë, je ne lui plairai point. AiImable comme il eft, accoutumé aux charmes des Européennes, il ne retrouvera pas dans moi leurs graces, leur enjoument. Il ne verra dans mon cœur que de l'amour. En faveur de cet amour, il doit me paffer mes défauts. Vous parlerez en ma faveur, ma chère Sœur. Vous excuferez auprès de lui ce qui pouroit, lui déplaire en moi.

ELVIRE étoit fi émuë des difcours d'Adelaïde, & fi pénetrée d'être obligée de la tromper, qu'il ne falloit pas moins que la néceffité de rendre la liberté à Dom Sanchez, pour la faire continuer d'abufer fon Amie. Si Adelaïde avoit été moins prévenue & moins occupée de l'idée de fon Amant, elle fe feroit fans doute apperçue du trouble d'Elvire. Mais elle

étoit bien éloignée d'y faire la moindre réfléxion. Emportée par fa paffion, l'ef-poir de parler à fon aimable Efclave, ne lui permettoit pas de porter fon attention fur aucun autre objet. Elle attendoit avec l'impatience la plus vive que l'heure d'aller promener fut arrivée. Elle fe mettoit à chaque inftant à fa fenêtre pour voir la hauteur du Soleil. Le moment où il devoit fe coucher paroiffoit à Adelaïde le plus fortuné de fa vie. Ce moment arriva. Adelaïde même le prévint de quelque tems. L'Aftre du jour étoit encore fur l'Orifon, & l'ombre commençoit à peine à s'étendre, qu'Adelaïde conduite par Elvire prit le chemin du Bofquet. En y arrivant, elle apperçut d'affez loin fon Amant attaché à fon occupation ordinaire. Je n'ai plus, dit-elle à Elvire, la force de me foûtenir; mes genoux fe dérobent chez moi; je cède à ma timidité, il me fera impoffible de lui parler. Avant de le voir, j'avois dans l'efprit mille chofes à lui dire. Je ne fai actuellement quels difcours je dois lui tenir. Aidez-moi par pitié, ma Sœur, à fortir de mon embarras. En parlant ainsi, Adelaïde s'avançoit toujours vers Dom Sanchez, qui voyant approcher des

Fem

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