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oui, répondit vivement Elvire, je me flatte que le Deftin va déformais nous être moins contraire. Mais aprenezmoi, cher Sanchez, par quel hazard vous vous trouvez ici. Apartenez-vous au Maître de cette Maifon? Non, repliqua Dom Sanchez, je n'y fuis que depuis fix jours. Je tombai en partage, lors de la diftribution des Efclaves, à un Turc nommé Benazira, qui me conduifit à Portofarino, où il fait fa demeure ordinaire. La veille que je fuis párti pour venir dans cette Maison, il me dit: écoute, Chré tien; tu fais que je t'ai donné des marques de mon amitié; il faut aujourd'hui que tu m'en donnes de la tienne. Ofman m'a fait demander un Homme entendu dans ce qui regarde les Jardins. Il faut que tu partes demain pour aller chez lui: tu y reiteras le tems qu'il aura besoin de toi. Je te ferai conduire par un Ture dans fa Maifon de Campagne. Tâche qu'Ofmán foit content: je prendrai für mon compte les fervices que tu lui rendras. Je fuis donc venu ici, où en arrivant je n'ai point trouvé Ofman; mais un de fes principaux Domeftiques me dit, que je devois avoir foin des fleurs pendant le tems que refteroient dans la Maifon

des

des Femmes qui y étoient. Hé quoi! ignoriez-vous quelle étoit la Maitreffe de ces Femmes, dit Elvire? Je l'ignore encore actuellement, répondit Dom Sanchez; & je crois même, qu'excepté le Chef des Efclaves d'Ofman, aucun des Gens qui font à lui n'en eft inftruit. Si vous l'aviez fu, repliqua Elvire, vous auriez pensé que peut-être votre Epoufe n'étoit pas éloignée. C'eft la Fille du Dei qui eft ici, & c'eft elle qui fans doute terminera vos maux & les miens. Que direz-vous, lorfque vous faurez qu'elle veut elle-même finir votre efclavage? Je ne fai, dit Dom Sanchez, par quel hazard elle veut s'intéreffer à mon fort, ne me connoiffant point pour votre Epoux, & ne m'ayant jamais vû. Mais il faut profiter de tous les expédiens qui s'offriront pour finir notre captivité. Je ne veux point, belle Elvire, altérer notre joye, ni mêler de l'amertume à la douceur de notre réunion. Cependant je dois vous aprendre, afin que vous ne foyez point trompée dans vos projets, que nous ne devons plus compter fur le fecours de vos Parens. Dom Sanchez apprit alors à Elvire le malheur arrivé à fon Père. Il en adoucit le plus qu'il lui fut poffible les eir

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circonftances, dans la crainte de l'affliger. Il en dit pourtant affez pour lui ôter tout espoir de rançon du côté de l'Espagne.

CETTE nouvelle affligea Elvire; mais dans l'état où elle étoit, voyant fon Epoux qui lui parloit, & efpérant de n'en être plus féparée, fon cœur s'ouvrit foiblement à la douleur. Les grandes joyes qui faififfent entièrement l'Efprit, & qui s'emparent avec impétuofité de l'Ame, ne laiffent prefqu'aucune place aux idées chagrinantes qui peuvent furvenir. Dans un cœur rempli de l'Objet préfent, les images éloignées ne font qu'une impreffion légère. Dans un autre tems, Elvire apprenant la perte du bien de fon Père, & le chagrin qu'il avoit effuyé, eut répandu des larmes; dans la fituation où elle fe trouvoit, venant de recouvrer un Epoux qu'elle adoroit,& qu'elle croyoit perdu pour toujours, elle ne fit que de légères réfléxions. Puifque tout efpoir, dit-elle, nous eft ravi du côté de l'Ef pagne, & que notre mauvaise fortune a ainfi influé fur mon malheureux Père, il faudra donc profiter de ce que le hazard & l'Amour nous offrent-ici. Le Ciel, m'est témoin que ce n'eft qu'à l'extrémi té que je viole les droits de l'amitié, &

pour

pour rendre la liberté à mon Epoux. Je fens une peine mortelle d'abufer de la foibleffe d'une Amie qui s'eft confiée à moi. Mais l'idée d'être féparée de vous l'emporte dans mon cœur. Ce que je vous dis, continua Elvire, vous paroit un mistère. Vous ne comprenez rien fans doute, Dom Sanchez, à mes difcours. Il faut vous les éclaircir en deux mots. Adelaïde, la Fille du Dei, vous aime. Elle vous a vu plufieurs fois dans ce Bofquet, fans que vous l'ayez apercuë. Elle m'a chargé de vous faire prefent de ces Diamans. Elle eft prête à partir avec vous & avec moi pour l'Espagne. Puifque la Fortune nous ôte tous les autres moyens d'obtenir notre liberté, il faut, mon cher Sanchez, profiter de celui-là. Ce n'eft qu'à regret que je m'en fers. Je fai que vous gemirez au fond du cœur. de tromper une Perfonne qui ne le mérite pas; mais enfin le plus grand des crimes pour vous & pour moi, c'est de négliger les moyens de nous réunir pour toujours. Quoi! continua Elvire, voyant que Dom Sanchez ne répondoit point, vous hézitez fur le parti que vous devez prendre! Vous balancez entre le bonheur de me poffeder, & la peine de tromI 4 per

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per la crédulité d'une Perfonne que vous ne connoiffez point! Ha! vous ne m'aimez plus, Sanchez. Cinq mois d'abfence m'ont bannie de votre cœur. Que fera-ce donc, fi cette abfence devient plus longue?

JUSTE Ciel! s'écria Dom Sanchez, pouvez-vous, chère Elvire, me faire un reproche fi injurieux? Moi! ne plus vous aimer! Moi! vous avoir oubliée! Ha! cruelle, ce cœur qui vous adore a-t-il mérité que vous le perciez du trait le plus fenfible? N'en doutez point, je fuis prêt à tout entreprendre. Je ne connois d'autre bien que celui de vous voir & de vous adorer. Mais pouvez-vous trouver extraordinaire qu'un cœur vertueux, tel que le mien, qui hait la feinte & la diffimulation, gemiffe d'être forcé d'avoir recours au plus trifte des expédiens? Belle Elvire, je vous paroitrois moins eftimable, fi vous me trouviez plus facile. Acceptons, j'y confens, tout odieux qu'il eft, le moyen que nous offre la Fortune de rompre nos fers. Mais plaignons-nous amèrément de cette même Fortune qui, après nous avoir rendus malheureux, ne met fin à nos maux, qu'en nous faifant commettre un crime. Car

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