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où étoit Elvire dura encore quelques inftans, après qu'Adelaïde eut ceffe de parler. Cette belle Africaine attendoit en tremblant & les yeux baiffés la réponse de fa Confidente. Elle lui fut plus favo rable qu'elle n'avoit ôfé le penfer. L'empreffement de revoir Dom Sanchez l'emporta enfin dans le cœur d'Elvire fur la crainte. Elle ne pouvoit plus fuporter l'abfence de fon Epoux. La mort lui paroiffoit plus douce que l'état où elle fe trouvoit. Elle fe réfolut d'employer tous les moyens pour en fortir, & accepta ceux que lui offroit Adelaïde. Je veux, lui dit-elle, tout ce que vous voulez. Je n'ignore point le danger où nous allons nous expofer; mais enfin quelque foit le fort que le Ciel nous referve, il ne fauroit être plus trifte que celui que nous éprou vons. Vous ignorez encore la moitié de mes malheurs, & lorfque je vous aurai appris ce que je vous ai caché jufques-ici, vous verrez bien que l'esclavage n'étoit pas le plus grand de mes maux.

ADELAIDE fut fi charmée des prémières paroles d'Elvire, qu'elle fit peu d'attention aux dernières. Dans un autre tems elle eut voulu favor quels é toient ces maux dont fon Amie fe plai

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gnoit; mais pour lors, elle ne fongeoit qu'à la promeffe qu'on lui faifoit de fervir fa Paffion. Elle fe jetta au cou d'Elvire, & la tenant dans fes bras; ma chère lui dit-elle, je fuis la plus heureuse Perfonne du monde. Tout ira bien, puifque vous entrez dans mes deffeins. Mais continua-t-elle, avec un air d'impatience qui fit fourire Elvire, quand eft-ce que vous parlerez à mon Amant? Il faut que ce foit dès demain matin. Vous le trouverez dans les Jardins au même endroit où je le vois tous les jours. Je ne vous accompagnerai point, parce que ne fortant ordinairement que lorfque le Soleil eft déjà tombé, on pouroit être curieux de favoir où je vais, & tout feroit perdu, fi l'on avoit le moindre foupçon. Comme il pouroit peut-être refufer d'ajouter foi à vos difcours, vous prenant pour une fimple Efclave, vous lui donnerez de ma part ce préfent. Il verra bien qu'il vient de quelqu'un plus riche que ne l'eft une Perfonne qui fe trouve dans votre fituation. Elle tira en prononçant ces derniers mots un Croiffant de brillans qu'elle avoit à fa coiffure, & le donna à Elvire. Cette aimable Efpagnole que l'efpoir de recouvrer fa liberté

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rendoit un peu plus gaye, qu'elle ne l'étoit ordinairement, dit en plaifantant à Adelaïde en vérité nous ne traitons point nous autres Européennes nos Amans fi favorablement. Ils font bienheu reux, lorfqu'après plufieurs mois, & quelque-fois plufieurs années, nous leur permettons de nous déclarer leur paffion.

Quoi! dit Adelaïde avec un air étonné, vous aimez un Homme pendant plufieurs mois; vous favez que cet Homme yous aime; & vous vous faites tous deux un mistère de ce que vous ne fauriez affez vous hâter de vous communiquer? Que de tems perdu inutilement ! Et que les Africaines font bien plus fages que les Européennes! Dès le moment que nous aimons, notre prémier foin eft de chercher à le dire le plutôt qu'il nous eft poffible. Nous croyons qu'un inftant perdu en amour, eft un tems précieux, dont on ne peut réparer la perte. Dans la contrainte où nous vivons, nous fommes obligées de bannir les vaines fimagrées que pratiquent les Européennes. Si elles étoient auffi génées que nous le fommes, elles connoîtroient mieux qu'elles ne font le prix du tems qu'elles perdent. Mais quand même nous ferions Tom. I.

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auffi libres qu'elles, nous n'imiterions point leur conduite. A quoi fert la feinte, quand on aime véritablement? L'on ne doit point aimer en Europe aussi tendrement qu'en Afrique. Un cœur où l'amour domine, plein de l'Objet qu'il adore, peut-il être fufceptible de diffimulation & de contrainte? Il faut que l'ufage & les préjugés foient bien forts chez vous; où il faut que ce qu'on apelle tendreffe ne foit qu'une légère affection, fans force & fans vivacité. On aime, dit Elvire en foupirant, on aime en Espagne auffi tendrement qu'à Tunis : peut-être en conviendrez-vous un jour. Mais il eft tems que vous fongiez à prendre du repos. La nuit eft déjà fort avancée: comptez fur ma fidélité & fur mon amitié. Vous aurez à votre reveil des nouvelles de votre Amant, & je me rendrai dans les Jardins dès que le jour paroîtra.

ELVIRE ne manqua pas à la promeffe qu'elle avoit faite à Adelaïde. Elle fe trouva le lendemain dès le lever du Soleil dans le Bofquet. Elle aperçut d'affez loin l'Esclave qui arrangeoit des Vafes de fleurs fur le bord du Parterre. Il avoit le dos tourné, & elle ne put voir fon vifa

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ge, que lorfque n'étant plus qu'à deux pas de lui, le bruit qu'elle faifoit en marchant · lui fit tourner la tête. A la vuë du vifage de l'Esclave, Elvire refta immobile; & l'Esclave n'eut pas confideré Elvire, qu'il demeura auffi frapé qu'elle. Ces deux Perfonnes, après s'être regardées un moment, ne pouvant retrouver l'usage de la parole, s'embraffèrent tout à coup, & reftèrent encore quelque tems fans parler. L'Efclave enfin s'écria avec le tranfport le plus tendre: je vous revois enfin, belle Elvire, je vous revois. Elvire ne répondit point: elle étoit évanouye dans les bras de Dom Sanchez. Mais la voix de fon Epoux la rapella à la vie. C'est donc vous, dit-elle, c'eft vous qu'il m'eft permis d'embraffer. Oh, jour heureux! J'oublie dans ce moment tous les maux que m'a caufé votre abfence. Mais, Dom Sanchez, continua Elvire, vous ne faveż point encore tout notre bonheur. Il nous fera permis de nous voir tous les jours. Peut-être pourons-nous prendre des mefures pour retourner en Espagne., Efpérons tout de la Fortune & de notre amour, dit Dom Sanchez.. Le Ciel ne nous aura pas rejoint, pour nous caufer encore la douleur de nous féparer. Qui, I 2 oni

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