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découvrir, s'il m'eft poffible, les bons & les funeftes effets qu'elles caufent, fui, vant qu'elles font bien ou mal ménagées.

§. II.

De l'Ambition.

'EST dans l'Amour-propre, ainfi que je l'ai deja remarqué, qu'il faut chercher l'origine de l'Ambition. Cette Paf fion eft une des plus fortes & des plus violentes: lorfqu'elle s'eft emparée d'un cœur, elle y regne avec un fouverain empire & en règle tous les mouvemens.

LES plus belles actions des grands Hommes doivent être attribuées à l'envie qu'ils ont eu d'immortalifer leur nom. Les forfaits des Tyrans les plus cruels ont été commis en partie par l'Ambition qu'ont eu ces mêmes Tyrans de regner defpotiquement, de s'élever au deffus des loix, de s'affranchir des règles qu'ils craignoient qu'on ne leur impofât. Titus fut ambitieux du nom de jufte: Louïs douze de celui de Père de la Patrie: Tibère ambitionna d'élever fa Puif fance fur les débris de la liberté Romaine: il facrifia toutes les Vertus à fa Po

litique

litique ambitieufe. La même Paffion fit de Cromwel un grand & illustre scélérat. Prefque tous les Hommes ont de de l'Ambition, parce qu'ils ont de l'amour propre. On peut appliquer à cette Paffion les vers de Malherbe fur la mort.

Le Pauvre en fa cabane, où le chaume le couvre,

Eft fujet à fes Loix,

Et la Garde qui veille aux barrières du Louvre,

N'en défend pas nos Rois.

L'AMBITION de Jules-Céfar, qu'il porta jufqu'au point de vouloir être le maître de la République, ne différe de celle d'un Bourgeois, qu'en ce que celuici n'étend fes vues, qu'à fe rendre maître dans le Confeil de la Maifon de Vil le. Quant au-refte, tout est égal entre le Dictateur Romain & le Bourgeois. Ils font foigneux de faifir à propos toutes les occafions qui peuvent augmen ter leur puiflance & les conduire à leur but. Ils haïffent ceux qui s'opposent à leurs deffeins; ils fongent à fe faire des Creatures; a prévenir les entreprises de

leurs

leurs Ennemis. Ils font de leur élévation leur principale occupation, & l'Empire Romain ne touche pas davantage le cœur de Céfar, que la direction des affaires de la Ville celui du Bourgeois. Nos Paffions fe conforment à nos jugemens; 、nos jugemens font produits par nos idées & nos idées le font par les objets qui nous frapent & qui nous environnent. Parlez de la puiffance d'un Empereur à un Paifan, il en eft moins touché, que de celle du Subdelegué de l'Intendant, qui l'oblige toutes les années à payer les impots, & le fait mettre en prifon lorsqu'il n'a pas de quoi le faire. Ce n'eft pas la grandeur de l'objet que nous fouhaitons, qui fait la mesure de notre Ambition, c'est l'envie que nous avons de poffeder cet objet. Concluons donc de là, que l'Ambition eft également forte dans les Gens d'un état très disproportionné, puifqu'ils defirent avec la même vivacité de parvenir à leur but.

L'AMBITION agit chez les Hommes par divers moyens, & aboutit au même point par différentes routes. Il y a un chemin battu, droit, uni, & connu généralement de tout le monde, c'est celui dans lequel ont marché les Alexandres,

dres, les Céfars, les Thémistocles, les Auguftes, & tous ceux qui les ont imités. Il y en a un autre oblique, détourné & couvert, qui a été pratiqué par les Socrates, les Diogènes, les Zénons, & par tous les Philofophes, les Théologiens, & autres Perfonnages renommés qui ont écrit & parlé très fortement contre la gloire. Ces Gens reffemblent aux rameurs qui s'avancent vers le port en lui tournant le dos. Leur conduite eft très fenfée, & il y a plus de grandeur à méprifer les dignités & les richeffes, qu'à les defirer & à en jouïr. Un excellent Auteur & contemporain de Montagne a eu raifon de dire: que l'Ambition ne fe conduifoit jamais mieux, que par une voye égarée & inufitée.

CEUX qui prétendent que l'Ambition eft la plus forte des Paffions, & qu'elle maitrife, pour me fervir des termes de Charron, toutes les autres Paffions & cupidités, même celles de l'Amour, qui femble toutes fois contefter de primauté avec celle-ci; ceux,dis-je, qui foutiennent cette opinion, fe trompent étrangement. Toutes les Paffions font égales: ce qui fait leurs différens degrés de force, c'eft le plus ou le moins d'empire qu'elles ont dans les Cœurs.

Coeurs. La gloire a beaucoup moins d'appas, qu'un tréfor pour un Avare. La bonne chère paroit plus douce à un Gourmand, que la réputation la plus brillante. S'il y a une Paffion qui foit fupérieuré aux autres, fans doute c'est l'Amour. Mais, dira-t-on, Alexandre, Scipion, Céfar, Pompée ont facrifié l'Amour à leur gloire. Je réponds à cela, que c'eft parce qu'ils aimoient foiblement. Si l'Amour avoit été auffi fort chez eux que l'Ambition, cette dernière Paffion auroit cédé à la prémière. Antoine n'avoit-il pas de l'Ambition? L'Amour lui couta l'Empire de la moitié du Monde. Ofinan Empereur des Turcs perdit le Thrône & la vie, pour avoir époufé une Efclave qu'il aimoit. On prétend que le Mariage du feu Roy de Sardaigne fut une des principales caufes de fa renonciation au Thrône. Combien de particuliers n'y at-il pas eu, & n'y a-t-il pas encore aujourd'hui, qui ont, quoi qu'ambitieux, facrifié leur fortune à leur Amour? Si l'Ambition a produit de grands événemens dans le Monde, fi elle a été la caufe de la deftruction de plufieurs Empires; l'Amour leur a occafionné ces mêmes effets. Horace nous apprend, que

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