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J'AI peine à vous comprendre, dit Elvire. Je ne fai comment expliquer vos difcours. Vous parlez comme une Perfonne dont l'amour cauferoit les malheurs; mais la manière dont nous vivons me fait fentir le faux de mes conjectures. Il faut voir pour aimer, & vous ne voyez ici Perfonne.

ELVIRE alloit continuer de parler, lorfqu'Adelaïde lui ferrant tendrement la main, lui dit d'une voix foible & tremblante. Hélas! ma chère, il n'eft que trop vrai ; j'aime, & pour toute ma vie. Mais c'eft peu de dire aimer; j'idolâtre l'Objet qui ma fû plaire. Je voudrois lui facrifier ma grandeur, mes richeffes, le rang de mon Père. Contente de fa tendreffe, l'état abjet dans le quel il eft me paroitroit plein de charmes; car enfin, ma chère Elvire, après vous avoir appris mes malheurs, je ne dois pas vous cacher mes égaremens. Cet Amant que j'aime avec tant de vivacité, n'est qu'un fimple Efclave employé à la culture des Jardins de cette Maifon. Que me dites-vous, repartit Elvire, avec un air furpris? Est-il poffible!........ Arrêtez, Elvire, dit Adelaïde, en interrompant fa Confidente: je me fuis dit à moi-même H 3

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tout ce que vous pouriez me dire. Si vous m'aimez, n'augmentez point ma douleur. Je fuis déja affez infortunée fans que vous m'accabliez par des reproches. Je ne vous demande point. que vous preniez pitié de mon fort; je n'exige point que vous ferviez ma tendreffe, que vous flattiez ma paffion. Je veux mourir; le fort en eft jetté ; & yous ignoreriez un fecret que j'emporterai dans le tombeau, fi vous ne me l'aviez arraché. Cependant je vous demande par toute l'amitié que vous m'avez jurée, par celle que j'ai pour vous, de ne jamais me reprocher ma foibleffe. Il feroit inutile que vous effaiaffiez de la guérir. Le trait dont je fuis frapée eft trop enfoncé dans mon cœur ; la mort feule peut l'en arracher.

ECOUTEZ-moi, Adelaïde, dit Elvire, écoutez-moi. Ce n'eft point contre vous que je me recrie, c'eft contre un Sort cruel qui pourfuit obftinément les cœurs les plus vertueux. Ha! fouffrez qu'en vous plaignant, je condamne ce Deftin fatal qui répand un poison dangereux fur vos plus beaux jours. Quoi! la folitude profonde dans la quelle nous vivons n'a pu garantir votre cœur d'une paffion

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paffion violente! Barbare Fortune, il falloit donc qu'Adelaïde fut auffi malheureuse qu'Elvire! En finiffant ces mots, l'idée de Dom Sanchez l'affecta fi fort, que les fanglots lui coupèrent la parole: elle vouloit parler, & elle ne pouvoit retrouver l'ufage de la voix.

ADELAIDE étoit dans un état auffi douloureux que celui d'Elvire. Ces deux aimables Perfonnes fe regardoient, s'embraffoient de tems en tems, fondoient en larmes, & ne fe difoient rien. Enfin Adelaïde rompit la prémière le filence. Ceffez, dit-elle à Elvire, d'augmenter mon affliction par la vôtre. Je fuis fenfible autant qu'on le peut être aux marques d'amitié que vous me donnez. Ne craignez point que j'en abufe. Je ne vous prefferai jamais de fervir ma paffion, & je fuis trop contente que vous me plaigniez, & que vous ayez affez de complaifance pour excufer ma foibleffe. Vous n'aurez pas long tems à fouffrir mes égaremens. Je fens qu'il m'est impoffible de refifter au chagrin qui me dévore; & j'ai réfolu de finir par le fer ou par le poifon une vie qui m'est à charge. Jufte Ciel! quel deffein, s'écria Elvire! Ha! je ne fouffrirai point que H 4

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Vous

vous l'exécutiez. Eft-ce là l'amitié que vous m'avez promise? Vous voulez donc abandonner aux maux les plus cruels votre chère Elvire? Que deviendra-t-elle, dès qu'elle ne vous aura plus ? Dans quels nouveaux malheurs ne va-t-elle pas être plongée? Mais que voulez-vous que je faffe, repliqua Adelaïde? J'aime, & rien ne peut me guérir de mon amour, L'idée de mon Amant est toujours préfente à mon efprit; fans ceffe je le vois, je le confidère, je le fuis des yeux; cha que moment augmente ma tendreffe. Si vous faviez combien il m'a couté de peines & de foins de me contraindre depuis quelques jours. Hélas! lorfque je vous paroiffois gaye & enjouée, je venois un inftant auparavant de me baigner dans mes larmes. Enfin le feu dont je fuis dévorée prenant toujours de nouvelles forces, il m'a été impoffible de vous cacher plus long-tems mon trouble. Vous voulez que je vive. Quels triftes jours vont donc être les miens! Pouvezvous demander que je fouffre un mal qui m'accable, & auquel je ne vois aucun remède? Laiffez-moi mourir: votre pitié & votre amitié exigent que vous me rendiez ce fervice. C'eft le plus grand

que

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que je puiffe attendre de vous. Non, vous ne mourrez point, dit Elvire, vous vivrez, & vous vivrez pour être heureuse. Vous ne pouvez vous deffendre d'aimer: aimez donc. Si l'Amour eft une foibleffe, l'excès la juftifie. Vous fuivez une impreffion à la quelle votre raison n'a pû refifter. Vous devriez rougir de votre paffion, fi vous aviez cedé fans combattre; mais vous obéissez à un pouvoir fuprême. Vivez, vivez, Adelaïde, & perdez pour toujours la funefte envie de finir de fi beaux jours. Mais ces jours, repliqua Adelaïde, en vivant & en aimant ne feront-ils pas toujours remplis d'amertume? Eft-il un fort plus cruel que celui d'aimer fans efpoir d'être aimée? He! pourquoi ne ferez-vous point aimée, reprit Elvire? N'êtes-vous pas faite pour l'être? Fille de Souverain, belle, charmante, vous craignez de ne pouvoir plaire à un fimple Efclave? Perdez un fentiment auffi peu vrai-femblable, & ne vous forgez point des maux imaginaires. Mon cœur, dit Adelaïde écoute avidement des difcours qui raviffent mon Ame. Je viverai, puifque vous le voulez, & je vivrai contente, fi vous

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