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demandât une rançon trop confidérable. Elle n'ôfoit pas même dire que c'étoit l'amour qui faifoit couler fes larmes. Si les Eunuques l'euffent appris, ils auroient redoublé leur vigilance, & lui auroient peut être ôté le peu de liberté dont elle jouïffoit. Elle avoit la permiffion de fe promener dans les jardins du Serrail ce qui étoit pour une Efclave comme elle une faveur fingulière.

LA trifteffe d'Elvire augmentoit chaque jour. Depuis près de cinq mois, elle n'avoit reçu aucune nouvelle ni de Dom Sanchez, ni de fa Famille. Elle craignoit quelque fois que fon Epoux ne fut mort. Elle ne pouvoit déviner le malheur qui étoit arrivé à fon Père; & comme elle ne doutoit point que s'il avoit été inf truit de fon Esclavage, il n'eut pris des mefures pour le finir, elle en concluoit qu'il devoit être arrivé quelque nouvel accident à Dom Sanchez. Cette idée cruelle la frappa fi fort, que peu s'en fallut qu'elle ne fut la caufe de fa mort. Elle tomba dans une fi grande mélanco lie, que la fièvre qui s'y joignit, la mit bientôt à l'extrémité.

L'AMITIÉ d'Adelaïde étoit déjà fi forte, que cette belle Africaine ne put

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voir fa chère Elvire en danger, fans être elle-même malade de chagrin. Le Dei, qui aimoit fa Fille à l'excès, fut au defefpoir de fon incommodité; & comme il favoit que le fecret le plus für pour lui rendre la fanté, c'étoit de rétablir celle d'Elvire, il ordonna qu'on employât tous les moyens pour guérir cette Efclave. Les foins qu'on prit, produifirent quelque effet; mais le mal d'Elvire n'étoit point de ceux qui peuvent être guéris entièrement: la fièvre ceffa, & la mélancolie continua. Le Dei craignit qu'Elvire ne fut bientôt auffi malade qu'elle l'avoit été ; & ne voulant plus expofer, s'il étoit poffible, la fanté de fa chère Fille Adelaïde, qui étoit entièrement rétablie depuis que les jours d'Elvire paroiffoient n'être plus en danger, il réfolut d'envoyer pour quelques femaines Adelaïde & Elvire dans une belle Maifon de Campagne, dont l'air étoit excellent, & beaucoup meilleur que celui de Tunis. Cette Maison étoit fituée au bord de la Mer. Elle apartenoit à un Turc nommé Ofinan favori du Dei. Toutes les années Adelaïde alloit y paffer une partie de l'Eté avec fes Efclaves & les Eunuques deftinés à fa garde. Elle y Tome I.

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jouïffoit cependant d'une liberté affez grande, & fon Père, qui cherchoit à lui procurer tout ce qui pouvoit lui faire plaifir, avoit permis qu'on la laiffat promener dans les Jardins, quoiqu'ils ne fuffent point fermés du côté du rivage de la Mer où ils aboutiffoient.

LE Dei ayant averti Adelaïde de fon deffein, elle en fut charmée, croyant que la liberté dont fa chère Elvire jouïroit à la Campagne diminueroit fa mélancolie. Elle fe hata de partir le plutôt qu'elle put. Envain Envain Ofman demanda quelque tems pour pouvoir mettre fa Maison dans un état convenable à y loger la Fille de fon Souverain. Adelaïde ne lui donna que trois jours, après lefquels elle partit pour la Campagne. Elvire la fuivit avec quelque plaifir. Elle ne fut point infenfible à la fatisfaction de fortir d'un Palais, où elle étoit enfermée depuis cinq mois. La liberté a des charmes même pour les Coeurs les plus malheureux. Elvire efpéroit d'ailleurs y pouvoir trouver quelque occafion de s'informer de Dom Sanchez, & d'en apprendre des nouvelles. Cette idée étoit feule capable de diffiper fa mélancolie. Adelaïde s'aperçut dès le prémier jour qu'el

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le fut arrivée dans fa nouvelle demeure, que fa chère Elvire étoit moins trifte. Elle lui en témoigna fa joye de la manière la plus tendre & la plus empreffée, & fit ce qu'elle put pour la perfuader de bannir de fon efprit toutes les idées qui pouvoient l'affliger.

CINQ ou fix jours s'étoient deja écoulés depuis qu'Adelaïde étoit dans cette Maison de Campagne, fans que fa gayeté & fa bonne humeur paruffent diminuer. Un foir, après s'être promenée dans les Jardins affez long-tems, elle fé retira dans fon appartement plus réveufe qu'à l'ordinaire. Sa réverie ne dimi nua pourtant rien des careffes qu'elle avoit accoutumé de faire à Elvire. Elle l'embrafla plufieurs fois, & la ferrant dans fes bras, fes yeux fe remplirent de Jarmes. Envain elle voulut les cacher, Elvire s'en aperçut. Qu'avez-vous, belle Adelaïde, lui dit-elle, & que vous eft-il donc arrivé qui ait pu vous chagriner jufqu'à vous faire verfer des pleurs? Pourquoi voulez-vous me déguifer vos fentimens ? Vous avez quelque peine que j'ignore. Vous n'ôfez me la confier. Craignez-vous que je n'y prenne pas affez de part? Ha! les obligations

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que

que je vous ai, les bontés dont vous m'accablez journellement font trop gravées dans mon Coeur. Parlez-moi naturellement. On foulage fes chagrins en les racontant à des Perfonnes qui s'y intéreffent. Ne me déguifez rien. l'eutêtre pourai-je fervir à votre confolation. Nous fommes fouvent fi occupées de nos douleurs, que nous n'apercevons point les remèdes que nous pouvons y apporter. Les confeils de nos Âmis moins prévenus, nous font très utiles dans ces momens. Un Cœur trop fenfible groffit toûjours les malheurs qui le touchent.

Ces derniers mots arrachèrent un profond foupir à Adelaïde. Ha! dit-elle, en verfant quelques pleurs, mes maux font fans remède. J'avois refifté aux prémiers coups que m'avoit porté un Deftin barbare; mais ma conftance s'eft entièrement évanouie aujourd'hui. Envain ai-je voulu appeller la raifon & la gloire à mon fecours; un mouvement plus fort m'a entrainée; je n'ai pû refifter à une impreffion qui m'a privée par fa force des reffources que j'ai cherchées inutilement dans les réfléxions que je faifois fur l'état affreux que je me préparois.

J'AI

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