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cente. La mort lui paróiffoit alors un bien, & fa fureur étoit prête à prendre le deffus. Mais l'état d'Elvire qui alloit être privée pour toujours d'un Epoux qu'elle aimoit tendrement, un reste d'efpérance de pouvoir la rejoindre, tout cela fit refoudre Dom Sanchez à vivre, & à fupporter des maux qu'on ne peut connoître fans avoir aimé. La mort qui fépare deux Amans eft beaucoup moins cruelle à celui qui furvit, que n'est af freux un éloignement qui prive de l'Ob, jet qu'on aime. Il eft terrible pour un cœur bien épris de voir mourir fa Maitreffe il l'eft encore plus de la voir dans la puiffance d'un Rival.

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ELVIRE ne revenoit point de fon é vanouïffement. Dom Sanchez la preffant dans fes bras lui difoit en verfant un tor. rent de pleurs: belle Elvire, écoutez la voix de votre Epoux. C'est lui qui vous prie de revenir à vous-même. Nos maux ne font point fans remède. Le Ciel qui nous force à nous féparer aujourd'hui, nous rejoindra peut-être plutôt que nous ne penfons. Les larmes de Dom Sanchez qui tomboient en abondance fur le vifage d'Elvire la rapelèrent à la vie plutôt que fes difcours. Elle ouvrit les

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yeux, les tourna foiblement vers fon Epoux, & ne pouvant retrouver l'ufage de la parole, elle pouffa un foupir. Ce fou pir fut fuivi de quelques pleurs qui fembloient s'échaper involontairement. Dans le prémier moment d'une douleur telle que celle d'Elvire, le cœur faigne, & les yeux pleurent fort peu. Ce n'eft qu'après un certain intervalle entre l'ac cablement & la douleur, que les lar mes coulent en abondance. Elvire refta encore quelques momens fans paroître auffi affligée qu'elle l'étoit ; mais enfin, lorf qu'elle eut recouvré entiérement l'ufage des fens & de la voix, elle s'écria en jettant un bras au cou de fon Epoux: c'en eft donc fait ! Je vous perds, & je vous perds pour toujours! Ha! voyage fatal, funefte envie de vous fuivre ! C'eft moi qui fuis la caufe de notre malheur. Je vous ai preffé de me conduire à Ceuta, Hélas! infortunée que je fuis, pour n'avoir pas voulu refter une année fans vous voir, je vais être féparée de vous pour jamais! A ces mots, Elvire fut encore prête à perdre la connoiffance: une nouvelle pâleur fe répandit fur fon vifage. Dom Sanchez l'embraffant & mêlant fes larmes aux fiennes, lui dit: non, belle Elvire, nous

ne fommes point féparés pour toujours? Je vais écrire en Espagne. Vos Parens auront foin de payer notre rançon. Nous retournerons encore dans notre Patrie. J'en ai une certitude intérieure qui fufpend une partie de ma douleur. Ha! dit Elvire, & fi le Maitre que je vais avoir, prend du goût pour moi? Si ce peu de beauté qu'on me trouve, & que je détefte aujourd'hui, vient à lui plaire? Qu'allons-nous devenir malheureux Dom Sanchez? Ah! laiffez-moi mourir : je ne puis fuporter cette idée; elle m'accable, elle me defefpère. Au nom du Ciel, Madame, repliqua Dom Sanchez, ne frappez point mon cœur par l'endroit le plus fenfible, & n'offrez point à mon Ame une image qui la tuë. Efpérons un fort moins cruel que celui que vous crai. gnez. Puifqu'il eft une Providence qui conduit & qui règle tout, comptons fur fon fecours. Deux cœurs auffi vertueux & auffi tendres que les nôtres, ne font point faits pour fervir d'exemple de la grandeur des maux que peut caufer la plus rigoureuse Fortune. J'entrevois déjà dans notre fort, continua Dom Sanchez, une espèce de bonheur. Vous restez Tunis, & l'on poura plus aifément a

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voir de vos nouvelles en Espagne. Vous êtes, il est vrai, Esclave du Dei; mais il vous deftine à être auprès de fa Fille. Je l'ai appris de ceux à qui il a donné l'ordre de vous conduire, & vous n'êtes point dans l'appartement de fes Fem

mes.

CETTE dernière circonstance calma un peu le defefpoir d'Elvire. Quand les chagrins font parvenus au plus haut point, & qu'on croit être perdu fans reffource, une foible lueur d'efpérance produit alors un effet pareil à celui que feroit une confolation plus réelle dans une autre fitua tion. Eh bien donc, dit Elvire, je vi vrai, puifque vous me l'ordonnez ; je ferai plus, j'espèrerai. Mais vous, qu'allez-vous devenir? Je l'ignore, répondit Dom Sanchez, & je ne fai entre les mains de qui je tomberai; mais ne craignez rien pour moi, puifqu'aïant la liberté de fortir, il me fera aifé, quelque Maître que j'aie, de donner de nos nouvelles en Espagne. Que fais je? Peutêtre en attendant notre liberté trouveraije le moyen d'avoir des vôtres? L'amour eft ingénieux. Efpérons tout de lui.

ELVIRE alloit répondre, mais les Gens destinés à la conduire chés le Dei, G 5

la

la preffèrent de partir. Cet ordre renou vella fes douleurs. Le peu de confolation qu'elle avoit reçuë fe diffipa. Elle fe jetta au cou de Dom Sanchez. Non, dit-elle, j'aime mieux mourir dans ce moment, que de me, féparer de vous. Les Gens que le Dei avoit chargés d'amener Elvire, étoient fi touchés de fa douleur, qu'ils n'ôfoient agir de force pour l'arracher des bras de fon Epoux. Dom Sanchez s'aperçut de leur embarras. Il craignit qu'appréhendant de déplaire à leur Maitre, ils n'agiffent de force, & que cela n'aigrit & n'augmentat le defefpoir de fa chère Epoufe. Il vit qu'il étoit tems de faire un effort fur lui-mê- me. Adieu, dit-il, belle Elvire, en ceffant de la tenir dans fes bras. La fin de notre malheur ne peut venir que de notre constance. Commençons donc dès ce moment à nous roidir contre les coups de la Fortune. Confervez votre vie. Songez que les jours d'un Epoux qui vous adore, font attachés aux vôtres, & que notre feul defespoir peut nous empêcher de nous réunir. A ces mots, Dom Sanchez s'éloigna d'Elvire. Les Domefti ques du Dei l'emmenèrent fondante en larmes. Elle tint les yeux attachés fur

Dom

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