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vérité au gouvernement de 1830 lorsqu'il était debout, de la dire maintenant à ses adversaires. Qu'y a-t-il, en réalité, derrière leurs injures?

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Ceux qui parlent avec tant de dédain des gouvernements bourgeois, ont sans doute étudié les annales du monde et savent ce qu'il en coûte quand on ne veut plus avoir que des panaches en remplacement des libertés. Les bourgeois, » chez les Anglais et ailleurs, n'ont pas fait si mauvaise figure; et je ne vois pas que les militaires, dont j'admire plus que personne la bravoure devant l'ennemi, aient beaucoup brillé en général par le courage civil. Il y a eu de brillantes exceptions, et le général Cavaignac, pour ne citer que lui, a laissé un souvenir qui ne s'effacera point; cependant les exceptions sont des exceptions, et l'histoire ancienne comme l'histoire moderne sont loin d'établir la supériorité politique des traîneurs de sabre sur les avocats. »>

Des avocats! des bavards! voilà le grand mot. Il n'en faut pas davantage dans notre bienheureux pays. On perdait trois semaines à discuter l'adresse, c'està-dire à débattre la politique générale de la France! Voyez le malheur! On aurait pu la débattre en moins de temps, d'accord; reste néanmoins qu'on la discutait. Or les inconvénients, les embarras de la discussion sont ceux de tout ce qui se passe au grand jour : luttes philosophiques, luttes littéraires, luttes religieuses. Les idées font du bruit, les idées sont bavardes ; mais les idées font les faits.

On a beaucoup parlé aussi de l'industrialisme et de son influence sous le régime de 1830. J'ai peu de goût, je l'avoue, pour cette influence-là, quand elle est excessive. Il me paraît seulement que les préoccupations industrielles, que les opérations de Bourse, que la poursuite fiévreuse des gains rapides, n'ont pas cessé avec le régime de 1830. Il faut donc croire qu'il n'en était pas coupable. Ce tort-là m'en rappelle d'autres (celui d'être tombé, par exemple!) qu'il partage, ce me semble, avec plusieurs gouvernements.

Les institutions représentatives ont un désavantage dont on devrait leur tenir compte. Avec cet ardent soleil de publicité qui les éclaire, les moindres fautes se montrent; rien qui n'y soit commenté, souvent dénaturé, toujours exagéré. Combien de mesures que nous approuvons sous un régime absolutiste, et que nous finirions par blâmer peut-être si elles étaient prises sous un régime libéral, tant elles y seraient analysées et critiquées, tant on excellerait à y découvrir quelque côté faible ou fâcheux! Combien de grands ministres deviendraient petits s'ils étaient discutés ! Tout se paye ici-bas, et la liberté comme le reste.

Mais ne venez pas nous dire qu'ils sont impuissants pour le bien, ces gouvernements laborieux et calomniés! L'Angleterre a su opérer ce qu'il y a de plus difficile en ce monde, des réformes. Émancipation des catholiques, affranchissement des esclaves, réforme parlementaire, réforme commerciale, et maintenant encore, réforme administrative, devant quoi a-t-elle

reculé? En pleine guerre, elle poursuit sa tâche. Les fautes de l'administration militaire, elle les relève, elle les grossit,... elle les corrige. Parvenir à se corriger soi-même, voilà l'œuvre par excellence, et l'Angleterre l'accomplit en dépit des difficultés que créent la presse et la tribune, elle l'accomplit par les forces que donnent la tribune et la presse.

La monarchie constitutionnelle a été moins hardie chez nous. Ce qui lui a manqué (et si près des débuts, entourée de tant d'ennemis, une telle erreur se conçoit) c'est l'énergique esprit de progrès et de réforme. Elle a trop pensé qu'il suffisait de résister au mal et de conserver le bien; on ne vit ni de résistance pure ni de conservatisme pur, il faut encore agir, marcher. On a marché, mais pas assez. Les réformes, on l'a trop oublié, sont l'antidote des révolutions. Et il y a aussi dans la vie quelque chose qui empêche la corruption, cette gangrène de tous les régimes, dont la liberté, elle, aurait dû et pu se délivrer, pour son honneur.

Le gouvernement représentatif a donc fait des fautes chez nous; j'ajoute qu'il n'a pas péri par ses fautes. Il a péri parce qu'il était, dans son principe essentiel, plus libéral que la France. Je ne sais pas s'il y avait remède à un tel mal; en tous cas, le moyen de le vaincre n'était pas de diviser le faible groupe des esprits vraiment libéraux. La cause du droit, de l'indi. vidualisme, du minimum de gouvernement, la cause du monde moderne, en un mot, n'a pas eu assez conscience d'elle-même; faute de déployer hardiment sa

propre bannière, elle a laissé ses soldats se disperser, les uns au centre, les autres sur les bancs de la gauche ou du tiers-parti.

Et maintenant que j'ai reconnu le mal, laissez-moi rappeler le bien. Ces dix-huit années ont été, à tout prendre, des années de liberté ; ce régime, qui a trop peu duré quoiqu'il ait duré plus qu'aucun autre depuis soixante ans, a su vouloir deux choses immenses et jusqu'alors inconnues: la Charte sans arrière-pensée, et l'alliance libérale avec l'Angleterre. Cette royale famille, que notre reconnaissance a suivie dans l'exil, est descendue du trône comme elle y était montée, avec une bonne conscience. Quelle dynastie a laissé derrière elle un testament qui vaille les pièces confidentielles trouvées aux Tuileries? Quel prince a pu dire en quittant le pouvoir: Je n'ai attenté aux droits de personne, j'ai respecté la constitution tout entière, j'ai tenu tous mes serments?

III

En résumé, la liberté a ses inconvénients; elle connaît les fatigues, les misères, les fautes, les périls et aussi les revers. La liberté est compagne de la lutte. Quant à moi, j'aime mieux la vie avec ses embarras que la mort avec son repos : Malo periculosam liber

tatem.

Telle n'est pas assurément l'opinion générale en

France. Notre pays qui appartient au libéralisme par sa double démonstration de 1789 et de 1830, notre pays qui a rompu sans retour avec l'ancien régime et avec le droit divin, ne souhaite guère cependant l'application complète du principe libéral : l'expérience de la monarchie représentative l'a bien prouvé.

C'est une raison pour nous d'avoir peu d'illusions et beaucoup de désintéressement philosophique; ce n'en est pas une de fermer les yeux et de garder le silence quand notre cause est en jeu dans le monde, et quand la France, même sceptique, est entraînée à la servir. Alors il faut savoir applaudir et encourager; alors il faut dégager la vraie question.

Nous avons combattu en Orient pour la défense du libéralisme, et la grande alliance qui a manifesté cette attitude pendant la guerre doit imprimer le même caractère à la paix. Voilà la thèse que je compte établir dans ma seconde partie.

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