Page images
PDF
EPUB

cipe de son incompétence spirituelle; mais nul ne sera tenu de s'affilier à ces Églises, mais chacun aura pleine indépendance en fait de culte, en fait de propagande, en fait de controverse, sous la seule condition de se renfermer strictement dans la question religieuse et de ne commettre aucun délit de l'ordre commun.

Qu'est la liberté commerciale? Le minimum de gouvernement en fait de commerce. L'État ne se charge plus de protéger telle industrie au détriment de telle autre, de soutenir des intérêts factices, de faire vivre les moribonds aux dépens des bien portants, de prélever enfin sur l'ensemble des consommateurs la liste civile d'un certain nombre de producteurs: l'État assure le bon marché à tout le monde et laisse à chacun le droit de vivre ou de mourir.

Je m'arrête. J'en ai dit assez pour faire comprendre ma pensée. Avec le minimum de gouvernement, l'État cède le terrain et l'homme grandit. La bienfaisance privée, par exemple, se substitue graduellement à la bienfaisance officielle. Le nombre des emplois diminue, une véritable décentralisation s'opère (la bonne, celle qui n'est pas un retour à l'ancien régime), et le plus redoutable agent peut-être de cette corruption qu'on déplore est expulsé du milieu de nous, nous voyons s'apaiser la funeste fièvre des fonctions publiques.

Et qu'on n'aille pas penser que le minimum de gouvernement soit le minimum de force gouvernementale. C'est précisément l'opposé. Nous ne sommes forts que dans notre compétence légitime; l'État qui sort de la

sienne ne saurait manquer de s'affaiblir. Prenez l'excmple des questions religieuses: croyez-vous qu'il se fortifie, le gouvernement qui règle le culte, qui lutte au dedans contre les idées et la foi d'une partie des citoyens, qui entreprend au dehors le protectorat de certaines Églises? Le fait est qu'il s'use et se compromet dans chacune de ces rencontres, il se fait des ennemis et se donne des maîtres, il met en péril son autorité morale, il enlève à sa politique, à son administration le caractère simple et national qu'elles devraient avoir. Il veut être plus grand, il est plus petit.

Quoi de plus grand, au contraire, que le minimum de gouvernement! C'est si immense, si beau, que l'ambition la plus vaste ne saurait désirer davantage. On prétend que ce n'est pas la peine de gouverner les corps si l'on ne gouverne aussi les âmes! Il ne s'agit ni d'âmes ni de corps; il s'agit de défendre des intérêts qui sont ceux de l'homme entier, corps et âme. Un gouvernement qui, tout en rencnçant à être prédicateur suprême ou instituteur obligé, s'occupera de maintenir pour tous la liberté du culte et la liberté de l'enseignement, qui garantira la liberté des personnes, de la pensée, de l'industrie, du commerce, qui procurera la liberté des mers, le gouvernement qui ne se contentera pas de résister, mais qui saura agir et vivre, qui s'occupera des prisons, des heures de travail, de la réduction des fonctionnaires, questions immenses qui touchent à l'existence morale du pays, le gouvernement qui rendra la guerre honorable et la paix fé

conde, ne remplira pas un rôle insignifiant, je suppose, ni un rôle exclusivement matériel: Je défie le despotisme de lui offrir une mission qui vaille celle que lui préparerait la liberté.

LE LIBÉRALISME EN FRANCE :

1789.

I

La France n'est point libérale, je l'ai reconnu ; mais elle est engagée et irrémédiablement compromise sur le terrain du libéralisme. Elle y a fait deux pas décisifs, en 1789 et en 1830; 1789 est l'avénement de la liberté dans notre organisation civile, 1830 est l'avénement de la liberté dans notre organisation politique. L'œuvre est entamée, non terminée, bien s'en faut. Toutefois il n'est plus donné à personne de nous ramener à l'ancien régime, au despotisme pur, au maximum de gouvernement. En certaines matières et pour ce qui touche surtout aux questions civiles, ce qui est fait est fait. Commençons par 1789.

Il n'y a pas, depuis l'Évangile et la Réforme, de plus grande date dans l'histoire. Je dis, dans l'histoire, parce que rien d'important ne s'accomplit en France sans que le monde entier n'en sente le contre

coup. On ne m'accusera pas d'aimer les rodomontades soi-disant patriotiques, et je sais le ridicule où nous tombons quand nous nous décernons à nous-mêmes le titre de grande nation. D'autres nations sont plus grandes que nous sous certains rapports essentiels, sous le rapport du libéralisme, par exemple. Aucune cependant n'a comme nous le privilége de mettre ses idées dans la circulation générale et d'associer les autres peuples à ce qu'elle éprouve.-Voilà pourquoi le jour de la proclamation des droits de l'homme en France a marqué dans les annales de l'humanité ; ce jour-là la notion du droit, du droit confié à l'individu, a fait un progrès considérable sur la terre.

L'événement est immense; ce n'est rien moins que la rupture définitive avec l'ancien régime, que l'apparition d'une France nouvelle, séparée de la France ancienne par un infranchissable abîme. État laïque, liberté religieuse, mariage civil, égalité des citoyens, règne de la loi et des tribunaux réguliers, tels sont les principes bientôt violés, souvent compromis, mais toujours vainqueurs en définitive, qui furent proclamés alors. Leur gravité est telle qu'ils suffisent à eux seuls pour constituer par rapport aux vieilles maximes un système de liberté, et qu'une portion du parti libéral (je n'excuse pas, je raconte) a tout accepté, pourvu que ce fût en haine de la France ancienne, tout, jusqu'à l'absolutisme de la république, jusqu'à l'absolutisme de Napoléon.

D'un autre côté, le vrai parti de la France ancienne

« PreviousContinue »