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TROISIÈME ÉLÉMENT DU LIBÉRALISME :

LE MINIMUM DE GOUVERNEMENT.

I

D'abord le droit en lui-même, puis le droit dans chaque âme, enfin le droit dans la société, telle est la série d'idées qui s'imposait à nous. L'individu, c'était encore le droit, le droit créant l'indépendance, le droit recevant à son tour de cette indépendance les garanties dont il a besoin, l'impulsion suprême sans laquelle il demeurerait inerte et comme engourdi. Le minimum de gouvernement, ce sera de nouveau le droit, le droit garanti et fécondé, dont l'individualisme tire les conséquences au sein de l'organisation politique. On voit quelle est l'unité de notre travail.

Le troisième élément du libéralisme ne résume pas seulement les deux autres, il les complète. Dès qu'il y a quelque part des individus, une nécessité impérieuse se produit de leur assurer tout ce qui est à eux, de ne mettre dans la communauté que ce qui est strictement

indispensable à l'existence sociale. Quand l'homme est majeur, la tutelle cesse d'elle-même.

L'homme majeur dispose naturellement de ce qui le concerne. Il ne s'agit plus seulement de ne pas entreprendre sur sa foi et sur ses devoirs, sur sa conscience en un mot; il s'agit de lui remettre le soin de ses propres affaires. Le self-government s'introduit alors, et la part de l'État se réduit d'autant. Qui dit libéralisme dit minimum de gouvernement; ce minimum peut varier selon les temps, selon les lieux, selon les progrès plus ou moins grands de l'individualisme, mais il y a toujours dans tous les temps et dans tous les lieux et dans toutes les civilisations un minimum de gouvernement vers lequel tendent les âmes libérales. Toujours le moyen infaillible de les reconnaître est de chercher qui sont ceux qui donnent le moins à la conscience collective, et le plus à la conscience personnelle.

Nous voici arrivés à la définition parfaite du libéralisme; et ce qui ne nous a pas peu aidés à y parvenir, c'est la netteté toute nouvelle avec laquelle les théories despotiques s'étalent aujourd'hui. Leurs conclusions contrôlent admirablement les nôtres, dont elles doivent être le contraire absolu. Si le maximum de gouvernement est leur idéal, le minimum de gouvernement doit être le nôtre.

Or le despotisme, je l'ai dit, a maintenant des théo riciens qui vont droit au fait; depuis que le socialisme qui n'était qu'une école est devenu un parti, les

dogmes de la tyrannie ont été formulés clairement. La tyrannie absolutiste se déguisait autrefois, elle avait sa pudeur, elle se croyait tenue à des ménagements; la tyrannie socialiste a l'allure plus hardie, elle déploie en plein soleil le drapeau commun, elle annonce à haute et intelligible voix son plan de campagne contre la liberté. Mettre tout en commun, étendre à tout les tutelles, attaquer partout l'individualisme, dans la famille, dans la propriété, dans la croyance, dans l'éducation, dans l'industrie, dans le développement intellectuel, organiser un syndicat monstrueux, développer à l'infini les compétences de l'État, gouverner autant que possible enfin, voilà sa maxime.

Ceci est si bien le fond du problème, que les questions de forme et d'organisation se subordonnent d'elles-mêmes à la question décisive de maximum et de minimum. Avez-vous le maximum? Il importe assez peu que ce pesant rouleau soit promené au nom d'un seul ou au nom du grand nombre sur la terre où il va tout écraser, tout abaisser, tout niveler dans le néant. Le résultat demeure le même un sol uni, plus de végétation spontanée, plus de verdure, plus de vie. Le sol ainsi nivelé et dépouillé, on y fait ensuite ce que l'on veut; je devrais dire ce que l'on peut, car il y a des phases marquées pour ces sociétés métamorphosées en mécanismes, pour ces agrégations humaines sans hommes. Elles ne sont capables que de deux choses, la servitude anarchique et la servitude selon les règles. La première prépare la seconde, la seconde ramène la

première. Leurs inconvénients pratiques diffèrent, mais leur principe est identique ; c'est le maximum de gouvernement.

Il y a, grâce à Dieu, des hommes ainsi faits qu'ils n'auraient pas pu respirer un quart d'heure ni sous la république de Platon, ni sous l'omniarque de Fourier, des hommes que l'antiquité tout entière attire médiocrement, et qui ayant entendu la parole d'émancipation proclamée par l'Évangile, se sentent peu de goût pour le régime des religions d'État, des éducations nationales, et de l'uniformité civique. Ceux-là pourront faire varier les formes de l'organisation politique, les garanties constitutionnelles, les conditions de l'électorat; mais qu'ils soient en monarchie ou en république, qu'ils admettent une aristocratie ou qu'ils la repoussent, ils assureront toujours le règne de la liberté, car elle est inséparable de leur principe: le minimum de gouvernement.

Je reviens souvent au socialisme, parce qu'il est le meilleur logicien, le plus conséquent, le plus sincère de l'école despotique. Le socialisme est un adversaire sérieux et dont les gens sérieux sont tenus de se préoccuper. Je le redoute moins pour ses chances personnelles (passez-moi l'expression) que pour les doctrines * corruptrices qu'il répand. Il prépare autre chose, selon moi, que son propre avénement; mais ce qu'il prépare ne vaudra guère mieux que lui, et en tous cas il nous fait une société sans moralité et sans énergie, qui ne sera capable de rien et qui sera prête à tout.

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