Page images
PDF
EPUB

LE LIBÉRALISME.

DE LA DÉFINITION DU LIBÉRALISME.

I

L'opinion libérale n'est pas morte en France. Qu'on me pardonne de débuter par ce paradoxe.

J'ai même envie d'en risquer encore un autre : jamais l'occasion n'a été meilleure pour constater au plus juste ce qu'est l'opinion libérale.

La défaite est un filtre admirable, qui retient tous les éléments étrangers et ne laisse passer que la substance principale, c'est-à-dire les amis vrais de la cause vaincue.

Si j'osais poursuivre la comparaison chimique qui vient de se glisser sous ma plume, je dirais que naguère, au temps des prospérités, le parti constitutionnel présentait l'apparence d'une combinaison passablement complexe : des hommes dont le libéralisme

n'était que la haine des Bourbons, d'autres qui ne voyaient rien au-dessus de l'Empire, des mécontents de diverses sortes, des ambitieux, des radicaux et des socialistes attendant l'occasion d'installer une nouvelle forme de despotisme; puis la vaste catégorie des esprits à la suite, champions nés de toute doctrine régnante, clientèle assurée de tout gouvernement; enfin les libéraux sincères, soit conservateurs, soit membres de l'opposition, plus ou moins confondus avec cette masse hétérogène. - Depuis lors deux opérations ont eu lieu. La première, en 1848, a précipité certains éléments; la seconde, en 1851, a précipité le reste. Le filtre les a successivement enlevés, et aujourd'hui le libéralisme apparaît dans sa pureté et dans son isolement.

Ses adhérents sont peu nombreux! d'accord. Il ne s'agit point ici-bas d'être nombreux, mais d'avoir raison. Le succès vient quand et comme Dieu le veut; les témoins de la vérité sont chargés de maintenir toujours leur témoignage, ils ne sont pas chargés de toujours réussir.

Passons donc la revue du libéralisme. La question d'Orient nous y invite, nous en fait une sorte de devoir. Qu'arrive-t-il en effet? La lutte contre la Russie semble avoir eu pour résultat de nous diviser. Je connais des âmes élevées et généreuses qui se refusent à voir le caractère réel de la guerre actuelle, par cela seul que leur principe ne prévaut pas maintenant en France; j'en connais que la crainte du socialisme in

cline à saluer presque dans le czar le défenseur de l'ordre européen, l'antagoniste naturel de l'esprit révolutionnaire. De tels malentendus sont déplorables. Montrons, il en est temps, de quel côté sont engagés les intérêts du libéralisme, de quel côté flotte son drapeau. Ceux qui le savent parmi nous, ne le savent pas assez.

C'est pour cela que je vais essayer une étude qui n'a pas encore été entreprise à ce point de vue. Elle est indispensable, que la paix se conclue ou non. Je l'aborde sans embarras, parce que je l'aborde sans arrière-pensée. Il est d'ailleurs des moments où les amis de la liberté en sont réduits, bon gré mal gré, à la théorie pure; et nous sommes dans un de ces moments-là.

Voici les deux questions à résoudre : Qu'est-ce que le libéralisme? Qu'est-ce que la guerre d'Orient?

Les rapports étroits du libéralisme et de la guerre d'Orient éclateront à tous les regards, dès que nous nous serons rendu compte de leur vraie nature.

II

Rien n'est plus superficiel que les idées qui ont cours au sujet du libéralisme. Les hommes même qui ne s'arrêtent pas aux déclamations connues sur l'ordre et la liberté, croient faire beaucoup en nous parlant de l'avénement des classes moyennes, du régime rc

présentatif, des formes constitutionnelles. Tout cela est important sans doute, et je suis loin d'en faire fi; mais tout cela ne touche pas au cœur de la question. Si les formes de gouvernement sont loin d'être indifférentes, ce n'est pas à titre de principe, c'est à titre de conséquence. Où est le fond, la forme ne peut manquer d'apparaître; et où le fond fait défaut, la forme ne saurait longtemps subsister. Ne prenons donc pas pour condition essentielle du libéralisme ce qui n'en est que le nécessaire et bienfaisant symptôme.

Je ne sais s'il y a des gens qui font de la théorie des trois pouvoirs un axiome, une vérité première, une des idées innées de la politique, une obligation pour tous les temps et pour tous les lieux. Quant à moi, qui tiens fort à la théorie des trois pouvoirs, je lui assigne sa place dans le domaine du relatif, et non dans celui de l'absolu. Ce domaine du relatif, où se classent beaucoup de choses très-graves en ellesmêmes, ne saurait renfermer le caractère distinctif d'une doctrine absolue; or la doctrine libérale est absolue, grâce à Dieu. J'aime mieux la monarchie que la république; mais je ne prétends pas qu'on ne puisse jamais être libre sous un gouvernement républicain. Je crois très-fort à la docilité et très-peu au discernement du suffrage universel; mais je ne m'aviserai pas de dire qu'en aucune circonstance on ne doive y recourir. L'expérience m'apprend qu'un élément aristocratique est utile aux libertés publiques; mais je n'affirme pas qu'on ne parvienne nulle part à

les concilier avec la démocratie. Sur tous ces points, en un mot, j'ai des préférences énergiques, je n'ai pas d'exclusion sans appel; je me sens capable de tenir compte des circonstances, des mœurs publiques, des tendances dominantes, du degré de civilisation.

Mettons-nous, au contraire, les pieds dans le domaine de l'absolu, il en va tout autrement. Ici ma conscience me défend de rien céder, car en cédant elle se renierait elle-même. Qu'il y ait des monarchies libérales et des monarchies despotiques, des républiques libérales et des républiques despotiques, des aristocraties libérales et des aristocraties despotiques, des démocraties libérales et des démocraties despotiques, je l'admettrai volontiers; ce que je ne reconnaîtrai jamais, c'est qu'aucun gouvernement, à quelque époque que ce soit, ait le droit d'être despotique. Je me sens pour ainsi dire en communion politique avec tel homme qui repousse d'ailleurs mes idées sur les lois électorales ou sur l'organisation des pouvoirs; je. n'ai pas le moindre atome de sympathie pour tel autre qui professe à ravir l'orthodoxie constitutionnelle. Pourquoi? Le premier a l'âme libérale et le second ne l'a pas le premier comprend ces vérités fondamentales et universelles, l'incompétence spirituelle de l'État, la protection due contre ses envahissements aux droits inviolables des individus; et le second pense qu'à condition de bien organiser l'État on peut le charger de tout faire.

« PreviousContinue »