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libres, mais il ne faut même pas les y aider. Une fois l'intervention supprimée, toute nation vraiment digne de l'indépendance trouvera moyen de l'obtenir. Nous finissons presque toujours par avoir ici-bas ce que nous méritons, et il n'est pas fâcheux que la liberté coûte quelques efforts : les choses ne valent que ce qu'elles ont coûté.

On me dira qu'en fait il ne se serait pas posé tant de questions, ni surtout de si grosses questions. Quelques démonstrations en Allemagne, peut-être la restauration de la Pologne, voilà l'extrême limite de ces plans éventuels inventés et colportés par les journaux.

Des limites! comme s'il était possible d'en poser! Qu'on le veuille ou non, la guerre en Europe devient guerre générale, la guerre générale devient guerre révolutionnaire, la guerre révolutionnaire devient guerre de conquête. Il est presque impossible qu'il en soit autrement.

Ces guerres-là sont des guerres sans fin. Ce sont celles qui enfantent les grandes armées permanentes et la prédominance de l'esprit militaire. Ce sont celles qui ruinent pour longtemps, dans la conscience des peuples, toutes les idées de droit et d'indépendance. Ce sont celles qui amènent les alliances despotiques et les honteux marchés. J'admire vraiment que certains partisans de l'alliance anglaise lui aient souhaité de courir ainsi les aventures! Elle y aurait péri dès le premier jour; et cela est juste, car une alliance de paix, de conservation et de liberté ne saurait consentir

à vivre dans un milieu d'ambitions, de bouleversements et de violences.

La guerre en Europe, si par malheur nous y avions été entraînés, aurait opéré sur l'heure de remarquables conversions. Bien des hommes, qu'intéresse assez peu aujourd'hui notre lutte libérale, auraient trouvé admirable ce conflit d'un genre nouveau; les uns y auraient vu des chances de révolution, les autres des probabilités d'agrandissement, tous la certitude d'une rupture prochaine avec l'Angleterre. Quant à nous, nous aurions détesté une telle guerre; nous l'aurions déplorée, même glorieuse pour ce drapeau de la France dont les triomphes feront toujours tressaillir nos

cœurs.

LA PAIX DOIT ÊTRE LA CONTINUATION DE L'ALLIANCE.

I

On s'abandonne aisément à l'heure où l'on croit que tout va finir. C'est alors surtout qu'il importe de bien savoir ce qu'on a fait, pour comprendre ce qu'on doit faire; c'est alors qu'il convient de préciser, de souligner les principes, car les principes seuls survivent aux circonstances. Ils leur survivent parce qu'ils les précèdent. Mais encore faut-il s'en rendre compte, et tel a été le but sérieux de ce travail.

S'il ne s'était agi que de discuter les chances de paix, je n'aurais eu garde de prendre la plume. Ceci est une question de fait sur laquelle les raisonnements, les opinions et les prophéties exerceront une médiocre influence. L'événement ira aussi vite que les brochures, et il aura, je pense, un peu plus d'intérêt aux yeux du public.

J'espère avoir établi d'abord la définition du libé

ralisme, ensuite l'identité essentielle du libéralisme et de l'alliance anglaise, enfin l'identité essentielle de l'alliance anglaise et de la guerre d'Orient. Cette alliance ayant été le caractère fontamental de la guerre, il importe qu'elle soit le caractère fondamental de la paix. Détruire par la paix ce qu'on n'a pas pu ruiner par la guerre, quelle victoire de la Russie vaudrait celle-là ! A la condition de nous séparer de l'Angleterre, elle signerait un traité plus rigoureux encore que celui dont elle vient d'accepter les bases.

Veillons donc avec soin, avec scrupule sur l'alliance. Sa mission est loin d'être terminée, et à vrai dire, elle ne le sera pas de longtemps. A quelle époque l'étroite union de l'Occident libéral cesserait-elle d'être nécessaire et au véritable équilibre, et à la sécurité de la civilisation, et à la paix du monde? Quant à moi, je l'ignore. Et pour n'envisager même que l'intérêt spécial auquel cette alliance vient de pourvoir, je ne saurais dire pendant combien d'années l'Angleterre et la France seront appelées à surveiller en commun l'exécution du futur traité. Que de choses à accomplir et à empêcher! que de stipulations qui deviendraient une lettre morte le jour où nous ne marcherions plus ensemble! Signer la paix et supprimer ou affaiblir l'alliance, ce serait défaire de la main gauche ce que nous aurions fait de la main droite. L'enfantillage poussé à ce point en matière aussi grave mériterait un autre nom.

Nous figurons-nous, par hasard, que la Russie soit

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