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Là est la distinction véritable, la séparation profonde. Je m'attacherai donc au principe, le libéralisme, et non à la conséquence, les institutions. Je ne traiterai pas les questions d'aristocratie ou de démocratie, de monarchie ou de république, et je ne referai pas la scène de Cinna. Je n'irai pas non plus feuilleter Delolme, pour savoir ce qu'il faut penser de la représentation nationale ou du jury.

J'aborderai d'emblée les grandes doctrines auxquelles seules l'Angleterre a dû ses garanties représentatives.

PREMIER ÉLÉMENT DU LIBÉRALISME :

LE DROIT.

I

M. Royer-Collard a dit le mot du libéralisme : « Il n'y a point de droit contre le droit. » En d'autres termes, il y a un droit existant par lui-même, que chacun porte en soi, qui se passe au besoin de toute confirmation officielle; et contre ce droit il n'est donné à aucune société, à aucune législature, à aucune majorité de créer un droit digne de ce nom.

N'allons pas chercher moins haut que cela le premier élément du libéralisme. Ne nous arrêtons pas au libéralisme de position, au libéralisme d'habitude, ou d'instinct, ou d'opposition taquine, ou de mode et de bon ton; montons jusqu'au libéralisme vrai, celui qui survit aux circonstances favorables, qui se retrouve en face de tous les gouvernements, dans toutes les questions, politiques, religieuses, sociales, philosophiques, littéraires. Il est fondé sur le respect du

droit, sur la foi en la justice et en la vérité. Il nous défend de les abandonner, quoi qu'il arrive. Il nous empêche de les défendre par des moyens iniques, quoi qu'il en puisse résulter. C'est lui qui, soutenant Luther en présence de Charles-Quint et de la diète de Worms, a mis dans sa bouche la plus grande parole qui ait retenti ici-bas depuis l'Évangile : « Je ne peux autrement. » C'est lui qui fait resplendir devant nos âmes ce droit de la vérité, la première des vérités, le fondement de toutes les autres. C'est lui qui nous crie: Point d'injustice pour la justice, point de tyrannie pour la liberté.

Oui, le droit, le droit de la vérité et de la justice, telle est la base que nous cherchons. Grâce au droit, grâce à la législation profonde et souveraine de la conscience, nous possédons un sanctuaire inviolable et sacré; une portion de l'homme est réservée, mise à part, inaccessible au despotisme d'en haut et d'en bas. L'indépendance intérieure existe, germe puissant et indestructible de l'indépendance extérieure.

On a compris pourquoi j'ai employé le mot de droit, et non celui de devoir. Le premier est plus vaste et par conséquent plus exact. Le droit comprend tout ce qui doit être ; il renferme le devoir, mais il le déborde. Or s'il est certain que la liberté s'appuie essentiellement sur la notion de devoir, il n'est pas vrai que cette notion lui suffise; celle de droit (prise dans son acception étendue, non dans le sens étroit que lui donne l'opposition de nos droits et de nos devoirs) fournit

seule un fondement assez large au majestueux édifice du libéralisme.

Quiconque affirme le droit est champion de la liberté; quiconque le nie est champion du despotisme. Montesquieu est libéral, car il a écrit: « Dans un État, c'est-à-dire dans une société où il y a des lois, la liberté ne peut consister qu'à pouvoir faire ce que l'on doit vouloir, et à n'être point contraint de faire ce que l'on ne doit pas vouloir.» Hobbes est fauteur du despotisme, car il soutient que le droit est fondé sur la force, que le juste et l'injuste sont une création de la loi positive, qu'il faut lui obéir même quand elle est opposée à la loi divine; car il supprime la valeur intrinsèque du bien et du mal, déclarant que « chaque homme appelle bon ce qui lui plaît, et mauvais ce qui lui déplaît. Ainsi le théoricien le plus effronté et le plus logique de la tyrannie a été contraint d'inscrire ceci à la base de son système : Il n'y a pas de droit ! Rien n'est juste ou injuste en soi!

Ce que Hobbes a fait le sachant et le voulant, d'autres l'ont fait sans s'en rendre compte. Lorsque Épicure fondait le matérialisme, il fondait le despotisme, qu'il le voulût ou non. Helvétius soutenait à son insu la mêine cause, quand il publiait la fameuse maxime du livre de l'Esprit : « Tout devient légitime et même vertueux pour le salut public. » Bentham ne croyait pas se ranger parmi les adversaires les plus dangereux du libéralisme; il s'y rangeait cependant, quand il promulguait la doctrine utilitaire et transformait le

devoir en calcul. Il est peut-être enfin des radicaux socialistes qui s'imaginent naïvement appartenir encore au parti de la liberté, quand ils posent le principe en vertu duquel le droit est une création sociale, en vertu duquel le suffrage universel dispose de mon droit et décide toujours de ce qui est juste, en vertu duquel ma conscience est absorbée dans la conscience collective. Il peut y avoir des illusions plus ou moins respectables; mais le fait subsiste : qui nie le droit, nie la liberté.

Où trouver à celle-ci une source plus noble et plus pure? Voici une souveraineté qui défie toutes les souverainetés, républicaines ou monarchiques; voici une loi qui est au-dessus des lois. Contre la loi de la conscience, les lois positives ne sauraient prévaloir; contre les minorités les plus imperceptibles, contre un seul homme, contre une seule conviction, les majorités ne peuvent rien. Ma conscience m'ordonne la justice; vous auriez beau voter des lois qui prescriraient le vol ou l'assassinat, quelque chose en moi refuserait obstinément de se soumettre. Ma conscience m'ordonne de veiller moi-même à l'éducation de mes enfants; vous auriez beau décréter la suppression de la famille et introduire les communautés socialistes de Platon ou de Fourier, je ne pourrais pas ne pas vous désobéir. Ma conscience m'ordonne de servir Dieu selon ma foi; vous auriez beau promulguer un culte national, je ne vous sacrifierais ni une seule de mes croyances ni un seul de mes actes religieux.

Les pouvoirs réguliers de la Judée ont prétendu

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