Page images
PDF
EPUB

QUANTITÉS COMPLEXES.

La conception des droites de modes contraires n'est pas la seule qu'on ait proposée pour légitimer ou éclaircir les règles du calcul algébrique; il en est une autre, qui peut rendre d'utiles services; c'est celle des quantités complexes. Bien que ces sortes de grandeurs n'aient pas justifié toutes les espérances qu'elles faisaient d'abord concevoir, elles n'en sont pas moins devenues, entre les mains d'habiles géomètres, un précieux moyen d'investigation. Il est donc utile de montrer que, nonseulement elles ne sont pas incompatibles avec les droites de modes contraires, mais qu'elles s'en déduisent aisément.

Fig.31

A

b'

Soient OA+ ABi et OA+ AB'i deux droites mixtes conjuguées ayant pour valeurs respectives a+ ßi et aẞi: le produit de ces valeurs étant a2 + 82, si l'on mène par le point A une perpendiculaire à OA, et qu'on rabatte sur cette perpendiculaire AB ou AB' suivant Ab ou Ab' ou a Ob Ob' = √22. Cela posé, + toute droite Ob ou Ob' peut se définir: 1o par son module √2 +2; 2o par ✓ son argument, c'est-à-dire par l'angle qu'elle fait avec la direction fixe OA, tracée dans son plan et partant de son origine O. Ainsi définie la droite Ob ou Ob' se nomme Quantité Géométrique. On admet de plus qu'elle est réelle quand son argument est zéro ou л, et imaginaire quand cet argument estou 3. Dans tout autre cas la quantité géométrique est mixte; parce qu'étant susceptible de se décomposer en deux autres quantités l'une réelle, l'autre imaginaire, elle est considérée comme la somme de ses composantes. On l'appelle plus spécialement alors une Quantité Complexe.

2

Mais, puisqu'on a par hypothèse OA a et Ab= AB' = ß, il est clair que les quantités complexes Ob et Ob' ont respectivement pour valeur aßi et aẞi elles se déduisent donc par une construction simple des droites mixtes OA+ABi et OA + AB'i.

Ainsi, les quantités complexes se rattachent facilement aux droites de modes contraires, malheureusement elles sont loin d'en avoir toute

la généralité et ne peuvent jouer en géométrie supérieure comme en géométrie analytique qu'un rôle secondaire. Mais comme elles ont fourni des démonstrations algébriques d'une extrême élégance, rien ne prouve qu'on ne doive pas continuer de s'en servir. L'essentiel est que ces deux moyens d'investigation puissent se concilier au besoin.

J'ai suffisamment indiqué, je pense, le rôle important que les droites de modes contraires peuvent jouer en algèbre. Il me reste à parler de leur plus beau privilége, peut-être, c'est-à-dire des moyens de généralisation qu'elles procurent à la science de l'étendue concuremment avec les autres parties réelles ou imaginaires des figures.

TROISIÈME PARTIE

CORRELATION DES FIGURES.

SOMMAIRE: Définition nouvelle de la Corrélation des figures. Essais antérieurs. Influence de la Géométrie cartésienne. Vues de Leibnitz. Euvres

de Monge. Principe des Relations contingentes. - Géométrie de Position, Théorie des quantités directes et inverses. Principe de continuité. Doctrine des cordes idéales.

de Carnot.

celet.

[ocr errors]

-

Travaux de Pon

Travaux de

M. Chasles. Caractères de ses démonstrations. Introduction du principe des signes en géométrie. Travaux de M. Marie. Sa théorie des variables imaginaires ne s'appuie, comme celle des cordes idéales, que sur des rapprochements entre courbes réelles. La doctrine des quantités complexes ne peut servir à compléter ni la géométrie supérieure, ni le système de coordonnées de Descartes. Les nouvelles manières d'être que j'assigne aux droites satisfont à toutes ces exigences, sans amener de complication dans les figures et se prêtent aux mêmes applications que les quantités complexes.

Toute figure géométrique peut, à l'aide de transformations insensibles, se convertir en d'autres qui en diffèrent soit par la valeur absolue ou la situation respective de leurs parties, soit par des caractères d'un ordre plus élevé. De là, la possibilité d'établir en géométrie des groupes où les figures dérivent naturellement les unes des autres, et d'exprimer ensuite, par les mêmes formules, les propriétés générales de ces figures. Mais pour atteindre ce double but il ne suffit pas de s'en tenir à la conception des grandeurs absolues, telles que les droites, les angles, etc., ni même de reconnaître à ces grandeurs deux sens opposés: il faut encore leur assigner, comme aux points eux-mêmes, deux modes contraires, c'est-à-dire deux manières d'être, qui tout en continuant de s'appeler, d'après l'habitude reçue, l'une réelle l'autre imaginaire, n'en

constituent pas moins pour chaque espèce de conceptions géométriques deux états bien définis et coexistants mais parfaitement distincts l'un de l'autre.

Grouper ensemble les figures qui ne diffèrent que par la valeur absolue, le sens ou le mode de leurs parties, les rapporter toutes à l'une d'elles prise pour terme de comparaison et comprendre dans les mêmes formules les propriétés qui leur sont communes, c'est ce que j'appelle Établir la Corrélation des figures.

Afin de mieux indiquer en quoi cette définition diffère de celles qui l'ont précédée, j'exposerai d'abord aussi brièvement que possible l'état présent de la question.

Descartes, on le sait, réussit le premier à représenter, par une même équation, non-seulement les diverses parties d'une courbe, mais toute une famille de courbes en apparence fort étrangères les unes aux autres, telles que la circonférence, l'ellipse, l'hyperbole et la parabole. Il y parvint, comme je l'ai déjà fait voir, en interprétant constamment par des droites les valeurs absolues ou même positives et négatives des fonctions algébriques. Mais il ne put assigner aucune signification concrète aux racines imaginaires des équations. Toutefois, l'alliance qu'il établit de la sorte entre l'algèbre et la géométrie ne tarda pas à porter de nouveaux fruits et concourut puissamment aux progrès des deux sciences.

Selon d'Alembert, Leibnitz entrevoyait déjà la nécessité d'exprimer en langage algébrique la situation aussi bien que la valeur absolue des diverses parties d'une figure. Il est vrai que Poinsot, dans son étude sur les polygones étoilés, déclare n'avoir rien trouvé dans les œuvres du géomètre allemand qui justifie cette assertion. Quoi qu'il en soit, si la question fut aussi nettement posée par Leibnitz, il est incontestable qu'elle n'a pas encore reçu de réponse satisfaisante puisque, jusqu'à présent, on n'a su ni voir dans les symboles algébriques l'expression générale des propriétés de l'étendue, ni donner à la géométrie supérieure une base plus solide que le principe des Relations contingentes ou celui de continuité. Cependant, si les grands géomètres qui se sont occupés de ce double problème n'ont pas eu le bonheur de le résoudre, ils en ont, sans contredit, préparé la solution.

La prédilection dont le système de coordonnées rectilignes fut longtemps l'objet, pouvait nuire aux progrès de l'analyse ancienne. Il n'en fut rien cependant, tant il est vrai qu'une branche des mathématiques ne saurait se développer sans concourir à l'accroissement de toutes les autres. Déjà même, du temps de Descartes, Desargues et Pascal avaient agrandi le champ des spéculations géométriques; mais ce fut surtout par son commerce intime avec l'algèbre que la géométrie pure apprit à briser les obstacles qui s'opposaient à son essor. Les écrits où se manifeste pour la première fois cette heureuse tendance sont assurément ceux de Monge. On sait, en effet, que ce grand mathématicien après avoir pris pour base d'une démonstration, certaines parties accessoires d'une figure, considérée dans son état le plus général, ne fait pas difficulté d'étendre, s'il y a lieu, le théorème au cas où ces parties deviennent imaginaires, c'est-à-dire, en prenant le mot dans son ancienne acception, cessent d'exister. Or, il ne puise évidemment une pareille confiance que dans l'examen des équations relatives à cette figure: ce n'est donc plus là dans toute sa pureté l'analyse si réservée des Anciens; c'est une méthode moins rigoureuse peut-être, mais plus féconde à laquelle M. Chasles propose de donner le nom de méthode des Relations contingentes.

Bientôt après, Carnot, visant plus haut encore, semble demander à la géométrie le secret de certaines transformations algébriques; à la vérité, sa doctrine des quantités directes et inverses ne parvient pas à supplanter celle des quantités de signes contraires; mais il n'en a pas moins la gloire de jeter les premiers fondements du principe de la Corrélation des figures.

«

<< Leibnitz, dit-il ('), voulait qu'on fit entrer dans l'expression des condi« tions d'un problème géométrique la diversité de positions des parties correspondantes des figures comparées, afin qu'en les séparant par un « caractère bien distinctif on pût les isoler parfaitement dans le calcul. « Or, cette diversité de positions s'exprime souvent par de simples mu«tations de signes, et c'est précisément la théorie de ces mutations

(1) Géométrie de Position. Introduction.

« PreviousContinue »