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RÉFORME CARTÉSIENNE

PREMIÈRE PARTIE

TRAVAUX DE DESCARTES.

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La

SOMMAIRE: Descartes réformateur en mathématiques. Défauts de l'analyse ancienne et de l'algèbre moderne. Descartes effectue des opérations graphiques sur les droites, puis en traduit les résultats en nombres de là, son algèbre. Supériorité de sa méthode sur celle de Viète ou des Anciens. Géométrie de Descartes a pour but la résolution graphique des équations. Nouvelle définition du produit des deux droites et conséquences. — Problèmes, plans et résolution de l'équation du 2o degré. Problèmes solides et résolution de l'équation du 3o degré. La réforme Cartésienne s'applique sans peine à l'arithmétique; jusqu'à présent elle n'a pu s'étendre d'une manière satisfaisante aux nombres négatifs non plus qu'aux expressions imaginaires. Comment ces sortes de nombres s'introduisirent en algèbre. La doctrine des quantités complexes en justifierait au besoin l'emploi; mais elle ne peut servir à compléter le système de coordonnées de Descartes, non plus qu'à doter la géométrie supérieure de figures qui la rattachent à l'analyse ancienne. Nouvelle définition du point réel et du point imaginaire. Droites de mode quelconque. Opérations qu'elles comportent et conséquences qui en résultent, soit pour le calcul algébrique, soit pour la géométrie pure.

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Descartes fut, en mathématiques, un réformateur plus profond qu'on ne le croit généralement. Les brillantes découvertes, dont il enrichit l'algèbre et la géométrie, sont trop connues pour qu'il soit nécessaire de les exposer ici; mais ce qu'on n'a peut-être pas assez remarqué, c'est qu'il essaya le premier de fonder les règles du calcul algébrique sur la considération des droites et des opérations qu'elles comportent. Comment

conçut-il le dessein d'une pareille réforme? il l'explique lui-même dans le Discours de la Méthode.

La pensée lui étant venue, vers la fin de ses études, de recueillir les préceptes les plus propres à guider sa raison, dans la recherche des vérités philosophiques, il dut passer en revue les sciences qui pouvaient lui fournir sous ce rapport d'utiles secours, et son attention se porta principalement sur la logique et les mathématiques. Mais appréciant bientôt à leur juste valeur ces deux branches des connaissances de son temps, il reconnut la nécessité de se frayer une voie nouvelle.

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« J'avais un peu étudié, dit-il ('), étant plus jeune, entre les parties de « la philosophie, à la logique, et entre les mathématiques à l'analyse des géomètres, et à l'algèbre, trois arts ou sciences qui semblaient devoir « contribuer quelque chose à mon dessein. Mais, en les examinant, je pris garde que, pour la logique, ses syllogismes et la plupart de ses autres << instructions servent plutôt à expliquer à autrui les choses qu'on sait, «< ou même, comme l'art de Lulle, à parler sans jugement de celles qu'on « ignore, qu'à les apprendre; et bien qu'elle contienne, en effet, beau<coup de préceptes très-vrais et très-bons, il y en a toutefois tant « d'autres mêlés parmi, qui sont nuisibles ou superflus, qu'il est presque « aussi malaisé de les en séparer, que de tirer une Diane ou une Minerve « hors d'un bloc de marbre qui n'est point encore ébauché. Puis, pour « l'analyse des anciens et l'algèbre des modernes, outre qu'elles ne s'étendent « qu'à des matières fort abstraites, et qui ne semblent d'aucun usage, la « première est toujours si astreinte à la considération des figures, qu'elle ne « peut exercer l'entendement sans fatiguer beaucoup l'imagination, et on s'est « tellement assujetti en la dernière à certaines règles et à certains chiffres « qu'on en a fait un art confus et obscur qui embarrasse l'esprit, au lieu d'une « science qui le cultive. Ce qui fut cause que je pensai qu'il fallait chercher « quelque autre méthode qui, comprenant les avantages de ces trois, fut « exempte de leurs défauts. »

Descartes substitua, comme on sait, à la logique ancienne, quatre pré

(1) Discours de la Méthode, Ed. Luzarche, page 33.

ceptes dont l'application plus ou moins parfaite, selon la nature des sciences qu'il étudie, constitue sa méthode. Celle-ci est d'ailleurs essentiellement déductive; car, tout en prenant pour point de départ l'évidence, elle ne s'appuie jamais que sur l'observation d'un petit nombre de faits: encore ces faits ne semblent-ils être dans la pensée de l'auteur que les conséquences immédiates des vérités éternelles dont chacun de nous a conscience. Quoiqu'il en soit, la méthode cartésienne convient mieux aux sciences de raisonnement qu'à celles d'observation, les premières no reposant que sur quelques données expérimentales fort simples, tandis que les autres doivent, avant tout, procéder par induction, et s'élever graduellement de l'étude attentive des phénomènes du monde matériel à la connaissance des lois qui le régissent. Il ne faut donc pas s'étonner que Descartes n'ait pas toujours appliqué ses principes avec un égal bonheur, et que sa physique, par exemple, malgré les éclairs de génie dont elle s'illumine souvent, soit parfois défectueuse, alors que sa Géométrie restera comme un des plus beaux monuments de l'esprit humain.

Ce dernier ouvrage étant le seul qui doive nous occuper ici, je ferai d'abord observer que le titre en pourrait être plus explicite. En effet, Descartes n'y traite pas uniquement de la géométrie pure, encore moins s'y propose-t-il, comme on l'a dit tant de fois, d'appliquer l'algèbre à cette science. Son principal but, au contraire, est, ainsi qu'on le verra bientôt, d'éclaircir à l'aide de la géométrie les obscurités de l'algèbre, et de rendre à celle-ci le caractère qu'elle n'eut jamais dû perdre, de simple écriture des propriétés de la grandeur. A la vérité, chemin faisant, il découvre une méthode géométrique féconde, dont l'éclat semble devoir effacer tout le reste et justifier jusqu'à un certain point le titre de l'ouvrage. Mais, pour peu qu'on y réfléchisse, on est forcé de reconnaître avec le marquis de Lhôpital, que cette méthode est avant tout pour Descartes, un moyen d'atteindre au couronnement de son œuvre, et d'arriver par une voie nouvelle, à la résolution des équations algébriques. En un mot, la géométrie cartésienne, en dépit de son titre, a principalement l'algèbre pour objet. Ozanam, qui donne à la suite de la géométrie de Boulenger un appendice renfermant la plupart des constructions de Descartes, l'intitule Arithmétique par Géométrie. Ce titre eût parfaitement caractérisé

l'œuvre du grand novateur, à la condition d'y substituer le mot d'algèbre à celui d'arithmétique.

C'est encore dans le Discours de la Méthode que Descartes nous fait connaître, sommairement, la route qu'il s'est tracée en mathématiques, et les résultats auxquels il est parvenu.

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« Ces longues chaînes de raisons ('), toutes simples et faciles, dont les ་ géomètres ont coutume de se servir pour parvenir à leurs plus difficiles « démonstrations, m'avaient donné, dit-il, occasion de m'imaginer que << toutes les choses qui peuvent tomber sous la connaissance des hommes « s'entresuivent en même façon, et que, pourvu seulement qu'on s'abstienne d'en recevoir aucune pour vraie qui ne le soit, et qu'on garde toujours l'ordre qu'il faut pour les déduire les unes des autres, il n'y << en peut avoir de si éloignées, auxquelles enfin on ne parvienne, ni de « si cachées qu'on ne découvre. Et je ne fus pas beaucoup en peine de <chercher par lesquelles il était besoin de commencer, car je savais que « c'était par les plus simples et les plus aisées à connaître; et considé« rant qu'entre tous ceux qui ont ci-devant cherché la vérité dans les << sciences, il n'y a que les seuls mathématiciens qui ont pu trouver quel«ques démonstrations, c'est-à-dire quelques raisons certaines et évi<< dentes, je ne doutais point que ce ne fut par les mêmes qu'ils ont exa<«<minées; bien que je n'en espérâsse aucune utilité, sinon qu'elles accou<< tumeraient mon esprit à se repaître de vérités et ne se contenter point « de fausses raisons. Mais je n'eus pas dessein pour cela de tâcher d'ap<< prendre toutes ces sciences particulières qu'on nomme communément « mathématiques; et, voyant qu'encore que leurs objets sont différents, << elles ne laissent pas de s'accorder toutes, en ce qu'elles n'y considèrent << autre chose que les divers rapports ou proportions qui s'y trouvent, je « pensai qu'il valait mieux que j'examinâsse seulement ces proportions « en général, et sans les supposer que dans les sujets qui serviraient à << m'en rendre la connaissance plus aisée, même aussi sans les y astreindre « aucunement, afin de les pouvoir, d'autant mieux, appliquer après à tous

(1) Discours de la Méthode, page 36.

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les autres auxquels elles conduiraient. Puis, ayant pris garde que, pour « les connaître, j'aurais quelquefois besoin de les considérer chacune en particulier, et quelquefois seulement de les retenir ou de les comprendre << plusieurs ensemble, je pensai que pour les considérer mieux en parti«< culier, je les devais supposer en des lignes, à cause que je ne trouvais « rien de plus simple, ni que je pusse plus distinctement représenter à « mon imagination et à mes sens; mais que, pour les retenir ou les comprendre plusieurs ensemble, il fallait que je les exprimâsse par quel«ques chiffres les plus courts qu'il serait possible; et que, par ce moyen, j'emprunterais tout le meilleur de l'analyse géométrique et de l'algèbre,

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« et corrigerais tous les défauts de l'une par l'autre.

« Comme, en effet, j'ose dire que l'exacte observation de ce peu de préceptes que j'avais choisis me donna telle facilité à démêler toutes «<les questions auxquelles ces deux sciences s'étendent, qu'en deux ou

«

<< trois mois que j'employai à les examiner, ayant commencé par les plus

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simples et les plus générales, et chaque vérité que je trouvais étant

« une règle qui me servait après à en trouver d'autres, non-seulement

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je vins à bout de plusieurs que j'avais jugées autrefois très-difficiles,

<< mais il me sembla aussi vers la fin que je pouvais déterminer en celles « mêmes que j'ignorais, par quels moyens et jusqu'où il était possible de les résoudre.........

<< Mais ce qui me contentait le plus de cette méthode était que, par « elle, j'étais assuré d'user en tout de ma raison, sinon parfaitement, au << moins le mieux qui fut en mon pouvoir, outre que je sentais en la « pratiquant que mon esprit s'accoutumait peu à peu à concevoir plus « nettement et plus distinctement les objets; et que ne l'ayant point assujetti à aucune matière particulière, je me promettais de l'appli«quer aussi utilement aux difficultés des autres sciences que j'avais fait « à celles de l'algèbre. »

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Ce résumé rapide ne permet pas encore d'apprécier convenablement la réforme mathématique tentée par Descartes à peine en fait-il pressentir toute l'importance. Il faut, pour juger de cette réforme en connaissance de cause, analyser la géométrie cartésienne et la comparer aux ouvrages antérieurs du même genre, particulièrement à ceux

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