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bientôt le beau et l'agréable; et il n'est pas étonnant que la peinture, la sculpture, la poëfie, l'éloquence, la philofophie fuffent presque inconnues à une nation qui, ayant des ports fur l'Océan et fur la Méditerranée, n'avait pourtant point de flotte, et qui, aimant le luxe à l'excès, avait à peine quelques manufactures groffières.

Les Juifs, les Génois, les Vénitiens, les Portugais, les Flamands, les Hollandais, les Anglais firent tour à tour le commerce de la France qui enignorait les principes. Louis XIII, à fon avénement à la couronne, n'avait pas un vaiffeau: Paris ne contenait pas quatre cents mille hommes, et n'était pas décoré de quatre beaux édifices; les autres villes du royaume reffemblaient à ces bourgs qu'on voit au-delà de la Loire. Toute la nobleffe, cantonnée à la campagne dans des donjons entourés de foffés, opprimait ceux qui cultivent la terre. Les grands chemins étaient prefque impraticables; les villes étaient fans police, l'Etat fans argent, et le gouvernement presque toujours fans crédit parmi les nations étrangères.

On ne doit pas fe diffimuler que, depuis la décadence de la famille de Charlemagne, la France avait langui plus ou moins dans cette faiblesse, parce qu'elle n'avait presque jamais joui d'un bon gouvernement.

Il faut, pour qu'un Etat foit puiffant, ou que le peuple ait une liberté fondée fur les lois, ou que l'autorité fouveraine foit affermie fans contradiction. En France, les peuples furent efclaves jufque vers le temps de PhilippeAugufte; les feigneurs furent tyrans jusqu'à Louis XI; et les rois, toujours occupés à foutenir leur autorité contre leurs vaffaux, n'eurent jamais ni le temps de fonger au bonheur de leurs fujets, ni le pouvoir de les rendre heureux.

Louis XI fit beaucoup pour la puiffance royale, mais rien pour la félicité et la gloire de la nation. François I fit naître le commerce, la navigation, les lettres et tous les arts; mais il fut trop malheureux pour leur faire prendre racine en France; et tous périrent avec lui. Henri le grand allait retirer la France des calamités et de la barbarie où trente ans de difcorde l'avaient replongée, quand il fut affaffiné dans fa capitale, au milieu du peuple dont il commençait à faire le bonheur. Le cardinal de Richelieu, occupé d'abaiffer la maifon d'Autriche, le calvinifme et les grands, ne jouit point d'une puiffance affez paifible pour réformer la nation; mais au moins il commença cet heureux ouvrage.

Ainfi pendant neuf cents années, le génie des Français a été prefque toujours rétréci fous up gouvernement gothique, au milieu

des divifions et des guerres civiles, n'ayant ni lois ni coutumes fixes, changeant de deux fiècles en deux fiècles un langage toujours groffier; les nobles fans difcipline, ne connaiffent que la guerre et l'oifiveté; les eccléfiaftiques vivant dans le défordre et dans l'ignorance; et les peuples fans industrie, croupiffant dans leur misère.

Les Français n'eurent part, ni aux grandes. découvertes ni aux inventions admirables des autres nations: l'imprimerie, la poudre, les glaces, les télescopes, le compas de proportion, la machine pneumatique, le vrai systême de l'univers, ne leur appartiennent point; ils fefaient des tournois, pendant que les Portugais et les Espagnols découvraient et conquéraient de nouveaux mondes à l'Orient et à l'Occident du monde connu. Charles-Quint prodiguait déjà en Europe les tréfors du Mexique avant que quelques fujets de François I euffent découvert la contrée inculte du Canada; mais par le peu même que firent les Français dans le commencement du feizième fiècle, on vit de quoi ils font capables quand ils font conduits.

,

On se propose de montrer ce qu'ils ont été fous Louis XIV.

Il ne faut pas qu'on s'attende à trouver ici, plus que dans le tableau des fiècles précédens, les détails immenfes des guerres, des

attaques de villes prifes et reprises par les armes, données et rendues par des traités. Mille circonftances intéreffantes pour les contemporains fe perdent aux yeux de la poftérité, et difparaiffent pour ne laiffer voir que les grands événemens qui ont fixé la destinée des empires. Tout ce qui s'est fait ne mérite pas d'être écrit. On ne s'attachera, dans cette hiftoire, qu'à ce qui mérite l'attention de tous les temps, à ce qui peut peindre le génie et les mœurs des hommes, à ce qui peut fervir d'inftruction, et confeiller l'amour de la vertu, des arts et de la patrie.

les

On a déjà vu ce qu'étaient et la France et les autres Etats de l'Europe avant la naiffance de Louis XIV; on décrira ici les grands événemens politiques et militaires de fon règne. Le gouvernement intérieur du royaume, objet plus important pour les peuples, fera traité à part. La vie privée de Louis XIV, particularités de fa cour et de fon règne, tiendront une grande place. D'autres articles feront pour les arts, pour les fciences, pour les progrès de l'esprit humain dans ce fiècle. Enfin on parlera de l'Eglife, qui depuis fi long-temps eft liée au gouvernement, qui tantôt l'inquiéte et tantôt le fortifie; et qui, inftituée pour enfeigner la morale, se livre fouvent à la politique et aux paffions humaines..

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Des Etats de l'Europe avant LOUIS XIV.

Il y avait déjà long-temps qu'on pouvait

L

regarder l'Europe chrétienne (à la Ruffie près ) comme une espèce de grande république partagée en plufieurs Etats, les uns monarchiques, les autres mixtes; ceux-ci ariftocratiques ceux-là populaires; mais tous correspondant les uns avec les autres; tous ayant un même fonds de religion, quoique divifés en plufieurs fectes; tous ayant les mêmes principes de droit public et de politique, inconnus dans les autres parties du monde. C'est par ces principes que les nations européanes ne font point efclaves leurs prifonniers, qu'elles refpectent les ambaffadeurs de leurs ennemis, qu'elles conviennent ensemble de la prééminence et de quelques droits de certains princes, comme de l'empereur, des rois et des autres moindres potentats; et qu'elles s'accordent fur-tout dans la fage politique de tenir entre elles, autant qu'elles peuvent, une balance égale de pouvoir, employant fans ceffe les négociations, même au milieu de la guerre, et entretenant les unes chez les autres des ambassadeurs ou des efpions moins honorables, qui peuvent

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