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Fossan, encores après l'avoir longtemps contestée 2.

Prudens futuri temporis exitum
Caliginosa nocte premit Deus ;
Ridetque, si mortalis ultra
Fas trepidat.

....

Ille potens sui,
Lætusque deget, cui licet in diem
Dixisse, v:X1; cras vel atrà
Nube polum pater occupato,
Vel sole puro3.

Lætus in præsens animus, quod ultrà est
Oderit curare4.

Et ceulx qui croyent ce mot, au contraire, le croyent à tort: Ista sic reciprocantur, ut et, si divinatio sit, dii sint; et, si dii sint, sit divinatio6. Beaucoup plus sagement Pacuvius,

Nam istis, qui linguam avium intelligunt, Plusque ex alieno jecore sapiunt, quam ex suo, Magis audiendum, quam auscultandum censeo 7. Ce tant celebre art de deviner des Toscans nasquit ainsin : Un laboureur, perceant de son coultre profondement la terre, en veit sourdre Tages, demi dieu, d'un visage enfantin, mais de senile prudence; chascun y accourut, et feurent ses paroles et sa science recueillie et conservée a plusieurs siecles, contenant les principes et moyens de cest art8: naissance conforme à son progrès. J'aimeroy bien mieulx reigler mes affaires par le sort des dés que par ces songes. Et de vray, en toutes republiques on a tousjours laissé bonne part d'auctorité au sort. Platon, en la police qu'il forge à discretion, lui attribue la decision de plusieurs effects d'importance, et

(1) Fossano, en Piémont, près Coni. E. J.

(2) Ce fait historique, de l'an 1536, est extrait des Mémoires de GUILLAUME DU BELLAY, liv. VI, liv. VIII. C.

(3) C'est par prudence que les dieux couvrent d'une nuit épaisse les événements de l'avenir; ils se rient d'un mortel qui porte ses inquiétudes plus loin qu'il ne doit... Celui-là est maitre de lui-même, celui-là est heureux qui peut dire chaque jour : J'ai vécu; que demain Jupiter obscurcisse l'air de tristes nuages ou nous donne un jour serein. HORACE, Odes, III, 29, 29 et suiv.

(4) Un esprit satisfait du présent se gardera bien de s'inquiéter de l'avenir. Io., ibid., II, 16, 25.

(3) C'est-à-dire Et au contraire ceux qui croient ce mot (qui va suivre) le croient à tort.

(6) Voici leur argument: S'il y a une divination, il y a des

veult, entre aultres choses, que les mariages se facent par sort entre les bons, et donne si grand poids à ceste election fortuite, que les enfants qui en naissent, il ordonne qu'ils soyent nourris au païs; ceulx qui naissent des mauvais en soyent mis hors; toutesfois si quelqu'un de ces bannis venoit, par cas d'adventure, à montrer en croissant quelque bonne espérance de soy, qu'on le puisse rappeller, et exiler aussi celuy d'entre les retenus qui montrera peu d'espérance de son adolescence1.

J'en veoy qui estudient et glosent leurs almanacs, et nous en alleguent l'auctorité aux choses qui se passent. A 1ant dire, il fault qu'ils dient et la verité et le mensonge: quis est enim qui totum diem jaculans non aliquandò collineet?? Je ne les estime de rien mieulx, pour les veoir tumber en quelque rencontre. Ce seroit plus de certitude, s'il y avoit regle et verité à mentir tousjours; joinct que personne ne tient registre de leurs mescomptes, d'autant qu'ils sont ordinaires et infinis; et faict on valoir leurs divinations de ce qu'elles sont rares, incroiables et prodigieuses. Ainsi respondit Diagoras, qui feut surnommé l'athée, estant en la Samothrace, à celuy qui, en luy montrant au temple force vœux et tableaux de ceulx qui avoyent eschappé le nauffrage, lui dict: « Eh bien! vous qui pensez que les dieux mettent à nonchaloir les choses humaines, que dictes vous de tant d'hommes sauvés par leur grace?»« Il se faict ainsi, respondit il; ceulx là ne sont pas peincts qui sont demourés noyés, en bien plus grand nombre3.»

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Cicero dict que le seul Xenophanes colophonien, entre touts les philosophes qui ont advoué les dieux, a essayé de desraciner toute sorte de divination. D'autant est il moins de merveille si nous avons veu, par fois à leur dommage, aulcunes de nos ames principesques s'arrester à ces vanités. Je vouldrois bien avoir recogneu de mes yeulx ces deux merveilles, du livre de Joachim, abbé calabrois, qui predisoit touts les papes futurs, leurs noms et formes, et celuy de Leon l'empereur, qui predisoit les empereurs et pa

d'eux ; et s'il y a des dieux, il y a une divination. CIC., de Di- triarches de Grece. Cecy ay je recogneu de mes

vin., 1, 6.

(7) Quant à ceux qui entendent le langage des oiseaux et qui consulten! le foie d'un animal plutôt que leur propre raison, je pense qu'il vaut mieux les écouter que les croire. PAgivas apud Cic., de Divin, 1, 57.

8. CIC,, ibid.. 4,23.6

(1) PLATON, République, V, 8, etc., éd. de M. Ast, 1814. J. V. L (2) Si l'on tire tout le jour, il faut bien que l'on touche quel quefois au but. CIC., de Divinat., II, 59. (5) CICERON, de Nat, deor., 1. 37, C. 14; lp, de Birinvat.,1, 3. C.

yeulx, qu'ès confusions publicques, les hommes, estonnés de leur fortune, se vont rejectants, comme à toute superstition, à rechercher au ciel les causes et menaces anciennes de leur malheur; et y sont si estrangement heureux de mon temps, qu'ils m'ont persuadé qu'ainsi que c'est un amusement d'esprits aigus et oysifs, ceulx qui sont duicts à ceste subtilité de les replier et desnouer, seroyent en touts escripts capables de trouver tout ce qu'ils y demandent; mais sur tout leur preste beau jeu le parler obscur, ambigu et fantastique du jargon prophetique, auquel leurs aucteurs ne donnent aulcun sens clair, à fin que la posterité y en puisse appliquer de tels qu'il luy plaira.

Le daimon de Socrates estoit à l'adventure certaine impulsion de volonté, qui se presentoit à luy sans le conseil de son discours1; en une ame bien espurée comme la sienne, et preparée par continu exercice de sagesse et de vertu, il est vraysemblable que ces inclinations, quoyque temeraires et indigestes, estoient tousjours importantes et dignes d'estre suyvies. Chascun sent en soy quelque image de telles agitations d'une opinion prompte, vehemente et fortuite; c'est à moy de leur donner quelque auctorité, qui en donne si peu à nostre prudence, et en ay eu de pareillement foibles en raison, et violentes en persuasion ou en dissuasion, qui estoient plus ordinaires à Socrates, auxquelles je me suis laissé emporter si utilement et heureusement, qu'elles pourroient estre jugées tenir quelque chose d'inspiration divine.

CHAPITRE XII.

De la constance.

La loy de la resolution et de la constance ne porte pas que nous ne nous debvions couvrir, autant qu'il est en nostre puissance, des maulx et inconvenients qui nous menacent, ny par consequent d'avoir peur qu'ils nous surprennent; au rebours, touts moyens honnestes de se guarantir des maulx, sont non seulement permis, mais louables; et le jeu de la constance se joue principalement à porter de pied ferme les inconvenients où il n'y a point de remede. De maniere qu'il n'y a souplesse de corps ny mou

(1) De sa raison.

(2) lporpému dé cùdéñOTE, PLATON, Théagès. J. V. L.

vement aux armes de main, que nous trouvions mauvais, s'il sert à nous guarantir du coup qu'on nous rue.

Plusieurs nations très belliqueuses se servoyent, en leurs faicts d'armes, de la fuyte pour advantage principal, et montroyent le dos à l'ennemy plus dangereusement que leur visage; les Turcs en retiennent quelque chose, et Socrates, en Platon, se mocque de Lachès qui avoit definy la fortitude « Se tenir ferme en son reng contre les ennemis. » Quoy, feit il, seroit ce doncques lascheté de les battre en leur faisant place? et luy allegue Homere, qui loue en Eneas la science de fuir. Et, parce que Lachès, se r'advisant, advoue cest usage aux Scythes et enfin generalement à touts gents de cheval, il luy allegue encores l'exemple des gents de pied lacedemoniens, nation sur toutes duicte à combattre de pied ferme, qui, en la journée de Platées, ne pouvant ouvrir la phalange persienne, s'adviserent de s'escarter et sier1 arriere, pour, par l'opinion de leur fuyte, faire rompre et dissouldre ceste masse, en les poursuivant; par où ils se donnerent la victoire 2.

Touchant les Scythes, on dict d'eux, quand Darius alla pour les subjuguer, qu'il manda à leur roy force reproches, pour le veoir tousjours reculant devant luy et gauchissant la meslée. A quoy Indathyrses 3, car ainsi se nommoit il, feit response, «Que ce n'estoit pour avoir peur de luy ny d'homme vivant; mais que c'estoit la façon de marcher de sa nation, n'ayant ny terre cultivée, ny ville, ny maison à deffendre, et à craindre que l'ennemy en peust faire proufit: mais s'il avoit si grand' faim d'y mordre, qu'il approchast pour veoir le lieu de leurs anciennes sepultures, et que là il trouveroit à qui parler tout son saoul. »

Toutesfois aux canonades, depuis qu'on leur est planté en butte, comme les occasions de la guerre portent souvent, il est messeant de s'esbranler pour la menace du coup; d'autant que, par sa violence et vitesse, nous le tenons inevitable; et en y a maint un qui, pour avoir haulsé la main, ou baissé la teste, en a, pour le moins, appresté à rire à ses compaignons. Si est ce qu'au voyage que l'empereur Charles cinquiesme feit contre nous en Provence, le

(1) Sier, pour se placer, du latin sedere. E. J.

(2) PLATON, Lachés, pag. 488, édit. de Francfort, 1602. J. V. Ļ (3) Ou Idanthyrse. HERODOTE, IV, 127. J. V. Ly

marquis de Guast estant allé recognoistre la ville d'Arles, et s'estant jecté hors du couvert d'un moulin à vent, à la faveur duquel il s'estoit approché, feut apperçu par les seigneurs de Bonneval et seneschal d'Agenois, qui se promenoyent sus le theatre aux arenes : lesquels l'ayant montré au sieur de Villiers, commissaire de l'artillerie, il braqua si à propos une couleuvrine que, sans ce que ledict marquis, veoyant mettre le feu, se lança à quartier, il feut tenu qu'il en avoit dans le corps 1. Et de mesme quelques années auparavant, Laurent de Medicis, duc d'Urbin, pere de la royne mere du roy 2, assiegeant Mondolphe, place d'Italie, aux terres qu'on nomme du Vicariat, veoyant mettre le feu à une piece qui le regardoit, bien luy servit de faire la cane; car aultrement le coup, qui ne lui raza que le dessus de la teste, lui donnoit sans doubte dans l'estomach. Pour en dire le vray, je ne croy pas que ces mouvements se feissent avecques discours; car quel jugement pouvez vous faire de la mire haulte ou basse en chose si soubdaine? et est bien plus aisé à croire que la fortune favorisa leur frayeur, et que ce seroit moyen une aultre fois aussi bien pour se jecter dans le coup, que pour l'eviter. Je ne me puis deffendre, si le bruit esclatant d'une harquebusade vient à me frap per les aureilles à l'improuveu, en lieu où je ne le deusse pas attendre, que je n'en tressaille: ce que j'ay veu advenir à d'aultres qui valent mieulx que moy.

Ny n'entendent les stoïciens que l'ame de leur sage puisse resister aux premieres visions et fantasies qui luy surviennent; ains, comme à une subjection naturelle, consentent quil cede au grand bruit du ciel ou d'une ruyne, pour exemple, jusque à la pasleur et contraction, ainsin aux aultres passions, pourveu que son opinion demeure saulve et entiere, et que l'assiette de son discours n'en souffre atteinte ny alteration quelconque, et qu'il ne preste nul consentement à son effroy et souffrance. De celuy qui n'est pas sage, il en va de mesme en la premiere partie, mais tout aultrement en la seconde; car l'impression des passions ne demeure pas en luy superficielle, ains va penetrant jusques au siege de sa raison, l'infectant

(1) Mémoires de GUILLAUME Du Bellay, liv. VII. Č.

(2) Catherine de Médicis, mère de François It, de Charles IX et de Henri III, alors régnant. J. V. L.

et la corrompant; il juge selon icelles, et s'y conforme 1. Veoyez bien disertement et pleinement l'estat du sage stoïque :

Mens immota manet; lacrymæ volvuntur inanes1.

Le sage peripateticien ne s'exempte pas des perturbations, mais il les modere.

CHAPITRE XIII.

Cerimonie de l'entreveue des roys.

Il n'est subject si vain qui ne merite un reng en ceste rapsodie. A nos regles communes, ce seroit une notable discourtoisie, et à l'endroict d'un pareil, et plus à l'endroict d'un grand, de faillir à vous trouver chez vous quand il vous auroit adverty d'y debvoir venir : voire, adjoustoit la royne de Navarre Marguerite à ce propos, que c'estoit incivilité à un gentilhomme de partir de sa maison, comme il se faict le plus souvent, pour aller au devant de celuy qui le vient trouver, pour grand qu'il soit, et qu'il est plus respectueux et civil de l'attendre pour le recevoir, ne feust que de peur de faillir sa route; et qu'il suffit de l'accompaigner à son partement. Pour moy j'oublie souvent l'ur. et l'aultre de ces vains offices, comme je retranche en ma maison autant que je puis de la cerimonie. Quelqu'un s'en offense, qu'y feroy je? Il vault mieulx que je l'offense pour une fois que moy touts les jours; ce seroit une subjection continuelle. A quoy faire fuit on la servitude des courts si on l'entraisne jusques en sa taniere? C'est aussi une regle commune en toutes assemblées, qu'il touche aux moindres de se trouver les premiers à l'assignation, d'autant qu'il est mieulx deu aux plus apparents de se faire attendre.

Toutesfois, à l'entreveue qui se dressa du pape Clement 5 et du roy François à Marseille, le roy, y ayant ordonné les apprests necessaires, s'esloingna de la ville, et donna loisir au pape de deux ou trois jours pour son entrée et refreschissement, avant qu'il le veinst trouver. Et de mesme, à l'entrée aussi du pape et de l'empereur à Bouloigne, l'empereur donna

(1) Toutes ces pensées sont presque traduites d'AULU-GELLY (XIX, 1), qui les avait traduites lui-même du cinquième livre, aujourd'hui perdu, des Mémoires d'Arrien sur Epictète. J. V. L (2) Il pleure, mais son cœur demeure inébranlable VIRG., Eneid., 49, trad. de Delille

(3) Septième du nom, en 1533. C.

(4) Du même pape Clément VII et de Charles-Quint, sur la

moyen au pape d'y estre le premier et y surveint après luy. C'est, disent-ils, une cerimonie ordinaire aux abouchements de tels princes, que le plus grand soit avant les aultres au lieu assigné, voire avant celuy chez qui se faict l'assemblée; et le prennent de ce biais, que c'est a fin que ceste apparence tesmoigne que c'est le plus grand que les moindres vont trouver, et le recherchent, non pas luy eulx.

Non seulement chasque païs, mais chasque cité, et chasque vacation 1, a sa civilité particuliere. J'y ay esté assez soigneusement dressé en mon enfance, et ay vescu en assez bonne compaignie pour n'ignorer pas les loix de la nostre françoise, et en tiendrois eschole. J'ayme à les ensuivre, mais non pas si couardement que ma vie en demeure contraincte: elles ont quelques formes penibles, lesquelles pourveu qu'on oublie par discretion, non par erreur, on n'en a pas moins de grace. J'ay veu souvent des hommes incivils par trop de civilité, et importuns de courtoisie.

C'est au demourant une très utile science que la science de l'entregent. Elle est, comme la grace et la beaulté, conciliatrice des premiers abords de la societé et familiarité; et par consequent nous ouvre la porte à nous instruire par les exemples d'aultruy, et à exploicter et produire nostre exemple, s'il a quelque chose

d'instruisant et communicable

CHAPITRE XIV 2.

mort, ceulx qui s'opiniastrent à deffendre une place qui par les regles militaires ne peult estre soustenue. Aultrement soubs l'esperance de l'impunité, il n'y auroit poullier 1 qui n'arrestast une armée.

Monsieur le connestable de Montmorency, au siege de Pavie, ayant esté commis pour passer le Tesin et se loger aux fauxbourgs SainctAntoine, estant empesché d'une tour au bout du pont, qui s'opiniastra jusqu'à se faire battre, feit pendre tout ce qui estoit dedans2; et encores depuis, accompaignant monsieur le Dauphin au voyage delà les monts, ayant prins par force le chasteau de Villane, et tout ce qui estoit dedans ayant esté mis en pieces par la furie. des soldats, horsmis le capitaine et l'enseigne, il les feit pendre et estrangler pour ceste mesme raison 3: comme feit aussi le capitaine Martin du Bellay, lors gouverneur de Turin en ceste mesme contrée, le capitaine de Sainct Bony, le reste de ses gents ayant esté massacré à la prinse de la place.

Mais d'autant que le jugement de la valeur et foiblesse du lieu se prend par l'estimation et contrepoids des forces qui l'assaillent (car tel s'opiniastreroit justement contre deux couleuvrines qui feroit l'enragé d'attendre trente canons), où se met encores en compte la grandeur du prince conquerant, sa reputation, le respect qu'on luy doibt; il y a danger qu'on presse un peu la balance de ce costé là : et en advient par ces mesmes termes, que tels ont si grande opinion d'eulx et de leurs moyens que, ne leur semblant raisonnable qu'il y ait rien

On est puny pour s'opiniastrer à une place digne de leur faire teste, ils passent le coulteau

sans raison.

La vaillance a ses limites comme les aultres vertus, lesquels franchis, on se treuve dans le train du vice: en maniere que par chez elle on se peult rendre à la temerité, obstination et folie, qui n'en sçait bien les bornes malavsées en verité à choisir sur leurs confins. De ceste consideration est née la coustume que nous avons aux guerres, de punir, voire de

fin de l'année 1552. La réflexion suivante est de GUICCIARDINI, liv. XX. C.

(1) Chaque état, chaque profession.

(2) Montaigne plaçait ici, dans l'édition de 1588, le chapitre intitule. Que le goust des biens et des manix despend, en bonne parii”, de l'opinion que nons en avons. Il en a fait depuis le quarantieme de ce premier livre. J. V. L,

partout où ils treuvent resistance, autant que fortune leur dure; comme il se veoid par les formes de sommation et desfi que les princes d'Orient, et leurs successeurs qui sont encores, ont en usage, fiere, haultaine et pleine d'un commandement barbaresque. Et au quartier par où les Portugalois escornerent les Indes, ils trouverent des estats avecques ceste loy universelle et inviolable, que tout ennemy vaincu par le roy en presence, ou par son lieutenant, est hors de composition de rançon et de mercy. Ainsi sur tout il se fault garder, qui peult, de

(1) Poulailler (bicoque ).

(2) Memoires de MARTIN DU BELLAY, liv. II, C. (3) Mem. de GUILLAUME DU BELLAY, liv. VIII, C. (1) ID., ibid., liv. IX.

tumber entre les mains d'un juge ennemy, vic- | de ses soldats, qui avoient tourné le dos en une torieux et armé.

CHAPITRE XV.

De la punition de la couardise.

J'ouy aultrefois tenir à un prince et très grand capitaine que, pour lascheté de cœur un soldat ne pouvoit estre condemné à mort; luy estant à table faict recit du procès du seigneur de Vervins, qui feut condemné à mort pour avoir rendu Bouloigne1. A la verité c'est raison qu'on fasse grande difference entre les faultes qui viennent de nostre foiblesse, et celles qui viennent de nostre malice: car en celles icy nous sommes bandés à nostre escient contre les regles de la raison que nature a empreintes en nous; et en celles là il semble que nous puissions appeller à garant ceste mesme nature, pour nous avoir laissés en telles imperfections et defaillance. De maniere que prou de gents ont pensé qu'on ne se pouvoit prendre à nous que de ce que nous faisons contre nostre conscience: et sur ceste regle est en partie fondée l'opinion de ceulx qui condemnent les punitions capitales aux heretiques et mescreants, et celle qui establit qu'un advocat et un juge ne puissent estre tenus de ce que par ignorance ils ont failly en leur charge.

Mais quant à la couardise, il est certain que la plus commune façon est de la chastier par honte et ignominie; et tient on que ceste regle a esté premierement mise en usage par le legislateur Charondas; et qu'avant luy les loix de Grece punissoient de mort ceulx qui s'en estoient fuys d'une bataille, au lieu qu'il ordonna seulement qu'ils fussent par trois jours assis emmy la place publicque, vestus de robe de femme; esperant encores s'en pouvoir servir, leur ayant faict revenir le courage par ceste honte 2. Suffundere malis hominis sanguinem quam effundere 3. Il semble aussi que les loix romaines punissoient anciennement de mort ceulx qui avoient fuy: car Ammianus Marcellinus dict que l'empereur Julien condemna dix

(1) Au roi d'Angleterre, Henri VIII, qui l'assiégeoit en personne. Voyez les Mémoires de MARTIN DU BELLAY, liv. X. C. (2) Diodore de SICILE, XII, 4. C.

(3) Songez plutôt à faire rougir le coupable qu'à répandre son sang. TERTULLIEN, Apologetique, p. 587, éd. de Paris, 1566.

charge contre les Parthes, à estre degradés, et après, à souffrir mort, suyvant, dict il, les loix anciennes1. Toutesfois ailleurs, pour une pareille faulte, il en condemne d'aultres seulement à se tenir parmy les prisonniers soubs l'enseigne du bagage. L'aspre chastiement du peuple romain contre les soldats eschapés de Cannes, et, en ceste mesme guerre, contre ceulx qui accompaignerent Cn. Fulvius en sa desfaicte, ne veint pas à la mort 2. Si est il à craindre que la honte les desespere, et les rende non froids amis seulement, mais ennemis.

Du temps de nos peres 3, le seigneur de Franget, jadis lieutenant de la compaignie de monsieur le mareschal de Chastillon, ayant, par monsieur le mareschal de Chabannes, esté mis gouverneur de Fontarabie au lieu de monsieur du Lude, et l'ayant rendue aux Espaignols, fut condemné à estre degradé de noblesse, et tant luy que sa posterité declaré roturier, taillable, et incapable de porter armes : et feut ceste rude sentence executée à Lyon. Depuis, souffrirent pareille punition touts les gentilhommes qui se trouverent dans Guyse, lors que le comte de Nansau y entra; et aultres encores depuis. Toutesfois, quand il y auroit une si grossiere et apparente ou ignorance ou couardise, qu'elle surpassast toutes les ordinaires, ce seroit raison de la prendre pour suffisante preuve de meschanceté et de malice, et de la chastier pour telle.

CHAPITRE XVI.

Un traict de quelques ambassadeurs.

J'observe en mes voyages ceste pratique, pour apprendre tousjours quelque chose par la communication d'aultruy (qui est une des plus belles escholes qui puisse estre ), de ramener tousjours ceulx avecques qui je confere, aux propos des choses qu'ils sçavent le mieulx?

(1) AMMIEN MARCELLIN, XXIV, 4; et plus bas, XXV, 1. C. (2) TITE LIVE, XXV, 7, 22; XXVI, 2, 3. J. V. L.

(5) En 1523. Le seigneur de Franget est nommé Frauge dans les Mémoires de MARTIN DU BELLAY, liv. II. C.

(4) Ou Nassau. Mém. de GUILLAUME DU BELLAY, année 1536 liv. VII. C.

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