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qui lui plaît: ce sont eux aussi qui l'empoisonnent et qui le tuent.

La règle de Descartes, qui ne veut pas qu'on décide sur les moindres vérités avant qu'elles soient tonnues clairement et distinctement, est assez belle et assez juste, pour devoir s'étendre au jugement que l'on fait des personnes.

Rien ne nous venge mieux des mauvais jugemens que les hommes font de nos manières, que l'indignité et le mauvais caractère de ceux qu'ils approuvent.

Du même fond dont on néglige un homme de mérite, l'on sait encore admirer un sot.

Un sot est celui qui n'a pas même ce qu'il faut d'esprit pour être fat.

Un fat est celui que les sots croient un homme de mérite.

L'impertinent est un fat outré. Le fat lasse, ennuie, dégoûte, rebute : l'impertinent rebute, aigrit, irrite, offense, il commence où l'autre finit.

Le fat est entre l'impertinent et le sot, il est composé de l'un et de l'autre.

Les vices partent d'une dépravation du cœur: les défauts, d'un vice de tempérament; le ridicule, d'un défaut d'esprit.

L'homme ridicule est celui qui tant qu'il demeure tel, a les apparences du sot.

Le sot ne se tire jamais du ridicule, c'est son caractère : l'on y entre quelquefois avec de l'esprit, mais l'on en sort.

Une erreur de fait jette un homme sage dans le ridicule.

La sottise est dans le sot, la fatuité dans le fat, et l'impertinence dans l'impertinent: il semble que le ridicule réside tantôt dans celui qui en effet est ridicule, et tantôt dans l'imagination de ceux qui croient voir le ridicule où il n'est point, et ne peut être.

La grossiéreté, la rusticité, la brutalité peuvent être les vices d'un homme d'esprit.

Le stupide est un sot qui ne parle point, en cela plus supportable que le sot qui parle.

La même chose souvent est dans la bouche d'un homme d'esprit, une naïveté ou un bon mot; et dans celle du sot, une sottise.

Si le fat pouvoit craindre de mal parler, il sortiroit de son caractère.

L'une des marques de la médiocrité de l'esprit, est de toujours conter.

Le sot est embarrassé de sa personne, le fat a l'air libre et assuré, l'impertinent passe à l'effronterie: le mérite a de la pudeur.

Le suffisant est celui en qui la pratique de certains détails que l'on honore du nom d'affaires, se trouve jointe à une très-grande médiocrité d'esprit.

Un grain d'esprit et une once d'affaires plus qu'il n'en entre dans la composition du suffisant, font l'important.

Pendant qu'on ne fait que rire de l'important, il n'a pas un autre nom: dès qu'on s'en plaint, c'est l'arrogant.

L'honnête homme tient le milieu entre l'habile homme et l'homme de bien, quoique dans une distance inégale de ces deux extrêmes.

La distance qu'il y a de l'honnête homme à l'habile homme s'affoiblit de jour à autre, et est sur le point de disparoître.

L'habile homme est celui qui cache ses passions, qui entend ses intérêts, qui y sacrifie beaucoup de choses, qui a su acquérir du bien, ou en conserver.

L'honnête homme est celui qui ne vole pas sur les grands chemins, qui ne tue personne, dont les vices enfin ne sont pas scandaleux.

On connoît assez qu'un homme de bien est honnête homme, mais il est plaisant d'imaginer que tout honnête homme n'est pas homme de bien.

L'homme de bien est celui qui n'est ni un saint ni un dévot (*), et qui s'est peiné à n'avoir que de la vertu.

Talent, goût, esprit, bon sens, choses différentes, non incompatibles.

(*) Faux dévot.

Entre le bon sens et le bon goût il y a la différence de la cause à son effet.

Entre esprit et talent il y a la proportion du tout à sa partie.

Appellerai-je homme d'esprit celui qui, borné et renfermé dans quelque art, ou même dans une certaine science qu'il exerce dans une grande perfection, ne montre hors de-là ni jugement, ni mémoire, ni vivacité, ni mœurs, ni conduite, qui ne m'entend pas, qui ne pense point, qui s'énonce mal; un musicien, par exemple, qui après m'avoir comme enchanté par ses accords, semble s'être remis avec son luth dans un même étui, ou n'être plus sans cet instrument, qu'une machine démontée, à qui il manque quelque chose, et dont il n'est plus permis de rien attendre.

Que dirai-je encore de l'esprit du jeu; pourroit-on me le définir? ne faut-il ni prévoyance, ni finesse, ni habileté pour jouer l'ombre ou les échecs? et s'il en faut, pourquoi y voit-on des imbécilles qui y excellent, et de très-beaux géniés qui n'ont pu même atteindre la médiocrité, à qui une pièce ou une carte dans les mains, trouble la vue, et fait perdre contenance?

Il y a dans le monde quelque chose, s'il se peut, de plus incompréhensible. Un homme (*) paroît

(*) La Fontaine, de l'Académie Françoise, auteur des contes et des fables.

grossier, lourd, stupide, il ne sait pas parler, ni raconter ce qu'il vient de voir: s'il se met à écrire, c'est le modèle des bons contes, il fait parler les animaux, les arbres, les pierres, tout ce qui ne parle point: ce n'est que légèreté, qu'élégance, que beau naturel, et que délicatesse dans ses ouvrages.

Un autre est simple (1), timide, d'une ennuyeuse conversation: il prend un mot pour un autre, et il ne juge de la bonté de sa pièce que par l'argent qui lui en revient, il ne sait pas la réciter ni lire son écriture. Laissez-le s'élever par la composition, il n'est pas au-dessous d'Auguste, de Pompée, de Nicomède, d'Héraclius, il est roi, et un grand `roi, il est politique, il est philosophe : il entreprend de faire parler des héros, de les faire agir, il peint les Romains; ils sont plus grands et plus Romains dans ses vers, que dans leur histoire.

Voulez-vous (2) quelque autre prodige: concevez un homme facile, doux, complaisant, traitable, et tout d'un coup violent, colère, fougueux, capricieux imaginez-vous un homme simple, ingénu, crédule, badin, volage, un enfant en

(1) Corneille l'aîné, poëte.

(2) Santeuil, religieux de S. Victor, auteur des hymnes du nouveau Bréviaire, et d'une infinité de petites pièces latines en vers, en quoi il excelloit. Il est mort en 1697.

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