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» du bon sens et de la justesse, elle s'approprie » vos sentimens, elle les croit siens, elle les étend,

elle les embellit, vous êtes content de vous » d'avoir pensé si bien et d'avoir mieux dit encore » que vous n'aviez cru. Elle est toujours au-dessus » de la vanité, soit qu'elle parle, soit qu'elle » écrive: elle oublie les traits où il faut des raisons, » elle a déjà compris que la simplicité est élo» quente. S'il s'agit de servir quelqu'un et de vous » jetter dans les mêmes interêts, laissant à Elvire » les jolis discours et les belles lettres qu'elle met » à tous usages, Artenice n'emploie auprès de vous » que la sincérité, l'ardeur, l'empressement et la

persuasion. Ce qui domine en elle c'est le plaisir » de la lecture, avec le goût des personnes de » nom et de réputation, moins pour en être » connue que pour les connoître. On peut la louer » d'avance de toute la sagesse qu'elle aura un jour, » et de tout le mérite qu'elle se prépare par les » années, puisqu'avec une bonne conduite elle a » de meilleures intentions, des principes sûrs, » utiles à celles qui sont comme elle exposées aux » soins et à la flatterie; et qu'étant assez parti» culière sans pourtant être farouche, ayant même » un peu de penchant pour la retraite, il ne lui » sauroit peut-être manquer que les occasions, ou » ce qu'on appelle un grand théâtre pour y faire » briller toutes ses vertus ».

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Une belle femme est aimable dans son naturel, elle ne perd rien à être négligée, et sans autre parure que celle qu'elle tire de sa beauté et de sa jeunesse. Une grace naïve éclate sur son visage, anime ses moindres actions: il y auroit moins de péril à la voir avec tout l'attirail de l'ajustement et de la mode. De même un homme de bien est respectable par lui-même, et indépendamment de tous les dehors dont il voudroit s'aider pour rendre sa personne plus grave, et sa vertu plus spécieuse. Un air réformé (*), une modestie outrée, la singularité de l'habit, une ample calotte n'ajoutent rien à la probité, ne relèvent pas le mérite, ils le fardent, et font peut-être qu'il est moins pur et moins ingénu.

Une gravité trop étudiée devient comique: ce sont comme des extrémités qui se touchent et dont le milieu est dignité: cela ne s'appelle pas être grave, mais en jouer le personnage: celui qui songe à le devenir ne le sera jamais. Ou la gravité n'est point, ou elle est naturelle, et il est moins difficile d'en descendre que d'y monter.

Un homme de talent et de réputation, s'il est chagrin et austère, il effarouche les jeunes gens, les fait penser mal de la vertu et la leur rend suspecte d'une trop grande réforme et d'une pra

(*) De Harlay, premier président.

tique trop ennuyeuse: s'il est au contraire d'un bon commerce, il leur est une leçon utile, il leur apprend qu'on peut vivre gaiement et laborieusement, avoir des vues sérieuses sans renoncer aux plaisirs honnêtes : il leur devient un exemple qu'on peut suivre.

La physionomie n'est pas une règle qui nous soit donnée pour juger des hommes: elle nous peut servir de conjecture.

L'air spirituel est dans les hommes, ce que la régularité des traits est dans les femmes: c'est le genre de beauté où les plus vains puissent aspirer.

Un homme qui a beaucoup de mérite et d'esprit, et qui est connu pour tel (*), n'est pas laid, même avec des traits qui sont difformes; ou s'il a de la laideur, elle ne fait pas son impression.

Combien d'art pour rentrer dans la nature! combien de temps, de règles, d'attention et de travail pour danser avec la même liberté et la même grace que l'on sait marcher, pour chanter comme on parle, parler et s'exprimer comme l'on pense, jetter autant de force, de vivacité, de

(*) Pelisson, maître des requêtes, historien du Roi et de l'Académie, très-laid de visage, mais bel esprit. Il a fait plusieurs petits ouvrages. Il étoit bénéfier, et avoit été huguenot. On veut qu'il soit mort dans cette religion en 1694.

passion et de persuasion dans un discours étudié et que l'on prononce dans le public, qu'on en a quelquefois naturellement et sans préparation dans les entretiens les plus familiers!

Ceux qui, sans nous connoître assez, pensent mal de nous, ne nous font pas de tort: ce n'est pas nous qu'ils attaquent, c'est le fantôme de leur imagination.

Il y a de petites règles, des devoirs, des bienséances attachées aux temps, aux personnes, qui ne se devinent point à force d'esprit, et que l'usage apprend sans nulle peine: juger des hommes par les fautes qui leur échappent en ce genre, avant qu'ils soient assez instruits, c'est en juger par leurs ongles, ou par la pointe de leurs cheveux, c'est vouloir un jour être détrompé.

Je ne sais s'il est permis de juger des hommes par une faute qui est unique: et si un besoin extrême, ou une violente passion, ou un premier mouvement tirent à conséquence.

Le contraire des bruits qui courent des affaires ou des personnes, est souvent la vérité.

Sans une grande roideur et une continuelle attention à toutes ses paroles, on est exposé à dire en moins d'une heure le oui et le non sur une même chose, ou sur une même personne, déterminé seulement par un esprit de société et de commerce, qui entraîne naturellement à ne pas,

contredire celui-ci et celui-là qui en parlent indifféremment.

Un homme partial est exposé à de petites mortifications, car comme il est également impossible que ceux qu'il favorise soient toujours heureux ou sages, et que ceux contre qui il se déclare soient toujours en faute ou malheureux, il naît de là qu'il lui arrive souvent de perdre contenance dans le public, ou par le mauvais succès de ses amis, ou par une nouvelle gloire qu'acquièrent ceux qu'il n'aime point.

Un homme sujet à se laisser prévenir, s'il ose remplir une dignité ou séculière ou ecclésiastique, est un aveugle qui veut peindre, un muet qui s'est chargé d'une harangue, un sourd qui juge d'une symphonie: foibles images, et qui n'expriment qu'imparfaitement la misère de la prévention. Il faut ajouter qu'elle est un mal désespéré, incurable, qui infecte tous ceux qui s'approchent du malade, qui fait déserter les égaux, les inférieurs, les parens, les amis, jusqu'aux médecins: ils sont bien éloignés de le guérir, s'ils ne peuvent le faire convenir de sa maladie, ni des remèdes, qui seroient d'écouter, de douter, de s'informer, et de s'éclaircir. Les flatteurs, les fourbes, les calomniateurs, ceux qui ne délient leur langue que pour le mensonge et l'intérêt, sont les charlatans en qui il se confie, et qui lui font avaler tout ce

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