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montrer dans un cercle des marionettes: BB** (1) à vendre en bouteille l'eau de la rivière. Un autre charlatan (2) arrive ici de de-là les monts avec une malle, il n'est pas déchargé, que les pensions courent; et il est prêt de retourner d'où il arrive avec des mulets et des fourgons. Mercure (3) est Mercure, et rien davantage, et l'or ne peut payer ses médiations et ses intrigues: on y ajoute la faveur et les distinctions. Et sans parler que des gains licites, on paie au tuilier sa tuile, et à l'ouvrier son temps et son ouvrage: paie-t-on à un auteur ce qu'il pense et ce qu'il écrit ? et s'il pense trèsbien, le paye-t-on très-largement? se meuble-t-il, s'annoblit-il à force de penser et d'écrire juste? Il faut que les hommes soient habillés, qu'ils soient rasés, il faut que, retirés dans leurs maisons, ils aient une porte qui ferme bien; est-il nécessaire qu'ils soient instruits? folie, simplicité, imbécillité ! continue, Antisthène, de mettre l'enseigne d'auteur ou de philosophe : avoir, s'il se peut, un office lucratif, qui rende la vie aimable, qui fasse prêter à ses amis, et donner à ceux qui ne peuvent rendre écrire alors par jeu, par oisiveté, et

(1) Barbereau, qui a amassé du bien en vendant de l'eau de la rivière de Seine pour des eaux minérales. (2) Caretti, qui a gagné du bien par quelques secrets qu'il vendoit fort cher.

(3) M. Bontems.

comme

comme Tityre siffle ou joue de la flûte, cela, ou rien j'écris à ces conditions, et je cède ainsi à la violence de ceux qui me prennent à la gorge, et me disent, vous écrirez. Ils liront pour titre de mon nouveau livre: du beau, du bon, du vrai. Des idées, du premier principe, par Antisthène vendeur de marée.

Si les ambassadeurs (1) des princes étrangers étoient des singes instruits à marcher sur leurs pieds de derrière, et à se faire entendre par interprète, nous ne pourrions pas marquer un plus grand étonnement que celui que nous donne la justesse de leurs réponses, et le bon sens qui paroît quelquefois dans leurs discours. La prévention du pays, jointe à l'orgueil de la nation, nous fait oublier que la raison est de tous les climats, et que l'on pense juste par-tout où il y a des hommes. Nous n'aimerions pas à être traités ainsi de ceux que nous appellons barbares : et s'il y a en nous quelque barbarie, elle consiste à être épouvantés de voir d'autres peuples raisonner

comme nous.

Tous les étrangers ne sont pas barbares, et tous nos compatriotes ne sont pas civilisés: de même toute campagne n'est pas agreste (2), et

(1) Ceux de Siam.

(2) Ce terme s'entend ici métaphoriquement.

Tome II.

F

toute ville n'est pas polie. Il y a dans l'Europe un endroit d'une province maritime d'un grand royaume, où le villageois est doux et insinuant, le bourgeois au contraire et le magistrat grossiers, et dont la rusticité est héréditaire.

Avec un langage si pur, une si grande recherche dans nos habits, des mœurs si cultivées, de si belles loix et un visage blanc, nous sommes barbares pour quelques peuples.

Si nous entendions dire des Orientaux, qu'ils boivent ordinairement d'une liqueur qui leur monte à la tête, leur fait perdre la raison, et les fait vomir, nous dirions, cela est bien barbare.

Ce prélat (*) se montre peu à la cour, il n'est de nul commerce, on ne le voit point avec des femmes: il ne joue ni à grande ni à petite prime, il n'assiste ni aux fêtes ni aux spectacles, il n'est point homme de cabale, et il n'a point l'esprit d'intrigue toujours dans son évêché, où il fait une résidence continuelle, il ne songe qu'à instruire son peuple par la parole, et à l'édifier par son exemple : il consume son bien en des aumônes, et son corps par la pénitence: il n'a que l'esprit de régularité, et il est imitateur du zèle et de la

(*) De Noailles, ci-devant évêque de Châlons, ensuite archevêque de Paris. Les choses ont bien changé de face: Ou M. le Camus.

piété des apôtres. Les temps sont changés, et il est menacé sous ce règne d'un titre plus éminent.

Ne pourroit on point faire comprendre aux personnes d'un certain caractère et d'une profession sérieuse, pour ne rien dire de plus, qu'ils ne sont point obligés à faire dire d'eux, qu'ils jouent, qu'ils chantent, et qu'ils badinent comme les autres hommes, et qu'à les voir si plaisans et si agréables on ne croiroit point qu'ils fussent d'ailleurs si réguliers et si sévères? oseroit-on même leur insinuer qu'ils s'éloignent par de telles manières de la politesse dont ils se piquent, qu'elle assortit au contraire et conforme les dehors aux conditions qu'elle évite le contraste, et de montrer le même homme sous des figures différentes, et qui font de lui un composé bizarre, ou un grotesque?

Il ne faut pas juger des hommes comme d'un tableau ou d'une figure sur une seule et première vue : il y a un intérieur, et un coeur qu'il faut approfondir le voile de la modestie couvre le mérite, et le masque de l'hypocrisie cache la malignité. Il n'y a qu'un très-petit nombre de connoisseurs qui discerne, et qui soit en droit de prononcer. Ce n'est que peu-à-peu, et forcés même par le temps et les occasions que la vertu parfaite et le vice consommé viennent enfin à se déclarer.

FRAGMENT.

«Il disoit que l'esprit dans cette belle personne » étoit un diamant bien mis en oeuvre; et con»tinuant de parler d'elle c'est, ajoutoit-il, » comme une nuance de raison et d'agrément qui >> occupe les yeux et le cœur de ceux qui lui » parlent, on ne sait si on l'aime ou si on l'ad» mire: il y a en elle de quoi faire une parfaite » amie, il y a aussi de quoi vous mener plus loin » que l'amitié: trop jeune et trop fleurie pour ne » pas plaire, mais trop modeste pour songer à »plaire, elle ne tient compte aux hommes que » de leur mérite, et ne croit avoir que des amis. » Pleine de vivacités et capable de sentimens elle » surprend et elle intéresse; et sans rien ignorer » de ce qui peut entrer de plus délicat et de plus » fin dans les conversations, elle a encore cès »saillies heureuses qui entre autres plaisirs qu'elles » font, dispensent toujours de la replique: elle » vous parle comme celle qui n'est pas savante, » qui doute et qui cherche à s'éclaircir, et elle » vous écoute comme celle qui sait beaucoup,

qui connoît le prix de ce que vous lui dites, » et auprès de qui vous ne perdez rien de ce qui » vous échappe. Loin de s'appliquer à vous con»tredire avec esprit, et d'imiter Elvire qui aime » mieux passer pour une femme vive, que marquer

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