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RIEN IEN ne ressemble mieux à la vive persuasion que le mauvais entêtement: de-là les partis, les cabales, les hérésies.

L'on ne pense pas toujours constamment d'un même sujet l'entêtement et le dégoût se suivent de près.

Les grandes choses étonnent, et les petites rebutent nous nous apprivoisons avec les unes et les autres par l'habitude.

Deux choses toutes contraires nous préviennent également, l'habitude et la nouveauté.

Il n'y a rien de plus bas, et qui convienne mieux au peuple, que de parler en des termes magnifiques de ceux même dont l'on pensoit très-modestement avant leur élévation.

La faveur des Princes n'exclut pas le mérite, et ne le suppose pas aussi.

Il est étonnant qu'avec tout l'orgueil dont nous sommes gonflés, et la haute opinion que nous avons de nous-mêmes et de la bonté de notre jugement, nous négligions de nous en servir pour prononcer sur le mérite des autres. La vogue, la faveur populaire, celle du Prince nous entraînent comme un torrent. Nous louons ce qui est loué, bien plus que ce qui est louable.

Je ne sais s'il y a rien au monde qui coûte davantage à approuver et à louer, que ce qui est plus digne d'approbation et de louange; et si la vertu, le mérite, la beauté, les bonnes actions, les beaux ouvrages ont un effet plus naturel et plus sûr que l'envie, la jalousie et l'antipathie. Ce n'est pas d'un saint dont un dévot (*) sait dire du bien, mais d'un autre dévot. Si une belle femme approuve la beauté d'une autre femme, on peut conclure qu'elle a mieux que ce qu'elle approuve. Si un poëte loue les vers d'un autre poëte, il y a à parier qu'ils sont mauvais et sans conséquence.

Les hommes ne se goûtent qu'à peine les uns les autres, n'ont qu'une foible pente à s'approuver réciproquement: action, conduite, pensée, expression, rien ne plaît, rien ne contente. Ils substituent à la place de ce qu'on leur récite, de ce qu'on leur dit ou de ce qu'on leur lit, ce qu'ils auroient fait eux-mêmes en pareille conjoncture, ce qu'ils penseroient ou ce qu'ils écriroient sur un tel sujet; et ils sont si pleins de leurs idées, qu'il n'y a plus de place pour celles d'autrui.

Le commun des hommes est si enclin au déréglement et à la bagatelle; et le monde est si plein d'exemples ou pernicieux ou ridicules, que je croirois assez que l'esprit de singularité, s'il pouvoit

(*) Faux dévot.

avoir ses bornes, et ne pas aller trop loin approcheroit fort de la droite raison et d'une conduite régulière.

Il faut faire comme les autres: maxime suspecte, qui signifie presque toujours, il faut mal faire, dès qu'on l'étend au-delà de ces choses purement extérieures, qui n'ont point de suite, qui dépendent de l'usage, de la mode et des bien

séances.

Si les hommes sont hommes plutôt qu'ours et panthères, s'ils sont équitables, s'ils se font justice à eux-mêmes, et qu'ils la rendent aux autres, que deviennent les loix, leur texte, et le prodigieux accablement de leurs commentaires? que devient le petitoire et le possessoire, et tout ce qu'on appelle jurisprudence? où se réduisent même ceux qui 'doivent tout leur relief et toute leur enflure à l'autorité où ils sont établis de faire valoir ces mêmes loix? Si ces mêmes hommes ont de la droiture et de la sincérité, s'ils sont guéris de la prévention, où sont évanouies les disputes de l'école, la scholastique, et les controverses ? S'ils sont tempérans, chastes et modérés, que leur sert le mystérieux jargon de la médecine, et qui est une mine d'or pour ceux qui s'avisent de le parler? Légistes, docteurs, médecins, quelle châte pour vous, si nous pouvions tous nous donner le mot de devenir sages!

De combien de grands hommes dans les différens exercices de la paix et de la guerre auroit-on dû se passer! A quel point de perfection et de raffinement n'a-t-on pas porté de certaines sciences qui ne devoient point être nécessaires, et qui sont dans le monde comme des remèdes à tous les maux, dont notre malice est l'unique source !

Que de choses depuis Varron, que Varron a ignorées! Ne nous suffiroit-il pas même de n'être savant que comme Platon ou comme Socrate?

Tel à un sermon, à une musique, ou dans une galerie de peintures a entendu à sa droite et à sa gauche, sur une chose précisément la même, des sentimens précisément opposés. Cela me feroit dire volontiers que l'on peut hasarder dans tout genre d'ouvrages, d'y mettre le bon et le mauvais: le bon plaît aux uns, et le mauvais aux autres : l'on ne risque guère davantage d'y mettre le pire, il a ses partisans.

Le Phénix (*) de la poésie chantante, renaît de ses cendres, il a vu mourir et revivre sa réputation en un même jour. Ce juge même si infaillible et si ferme dans ses jugemens, le public a varié sur son sujet, ou il se trompe ou il s'est trompé celui qui prononceroit aujourd'hui que

(*) Quinaut, auditeur des comptes, qui a fait les plus beaux vers de l'Opéra.

Quinaut en un certain genre est mauvais poëte, parleroit presque aussi mal que s'il eût dit il y a quelque temps, il est bon poëte.

Chapelain étoit riche, et Corneille ne l'étoit pas la Pucelle et Rodogune méritoient chacune une autre aventure. Ainsi l'on a toujours demandé pourquoi dans telle ou telle profession, celui-ci avoit manqué sa fortune, et cet autre l'avoit faite; et en cela les hommes cherchent la raison de leurs propres caprices, qui dans les conjonctures pressantes de leurs affaires, de leurs plaisirs, de leur santé, et de leur vie, leur font souvent laisser les meilleurs, et prendre les pires.

La condition des comédiens étoit infame chez les Romains, et honorable chez les Grecs : qu'estelle chez nous? On pense d'eux comme les Romains, on vit avec eux comme les Grecs.

Il suffisoit à Bathylle (*) d'être pantomime pour être couru des dames Romaines, à Rhoé de danser au théâtre, à Roscie et à Nérine de représenter dans les choeurs, pour s'attirer une foule d'amans. La vanité et l'audace, suites d'une trop grande puissance, avoient ôté aux Romains le goût du secret et du mystère : ils se plaisoient à faire du théâtre public celui de leurs amours: ils n'étoient point jaloux de l'amphithéâtre, et

(*) Le Basque, ou Pecourt.

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