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ou qui, voulant copier un tableau, en grossit les figures. Notre critique ne trouve aucune justesse en tout cela. Je ne saurois qu'y faire. Mais il me semble que des comparaisons sont justes, lorsque les choses comparées conviennent dans le point sur lequel roule la comparaison; ce qu'on ne peut trouver à dire dans ce parallèle: car le comique, le poëte, le peintre y conviennent tous en ceci, qu'ils vont au-delà de certaines bornes qu'ils ne devroient pas passer, aussi-bien que la pruderie qui va au-delà des bornes de la sagesse en prétendant l'imiter..

Une autre chose que Vigneul - Marville b'âme dans ce parallèle, c'est que l'auteur y emploie trop de paroles, d'où il conclut que Ménage a tort de dire que la Bruyère dit en un mot, ce qu'un autre ne dit pas aussi parfaitement en six. Mais cette conclusion est un peu trop précipitée, ne lui en déplaise. Car de ce qu'un auteur seroit un peu plus diffus qu'à son ordinaire dans un certain endroit de son livre, il ne s'ensuivroit nullement qu'il le fût par-tout ailleurs. Et où en seroient les meilleurs écrivains, Vigneul - Marville lui-même, si cette manière de raisonner étoit reçue? Virgile est obscur dans un tel endroit donc c'est un méchant écrivain qui ne s'entend pas lui-même. Il Cicéron une période embarrassée et d'une longueur accablante: donc Cicéron ne sait pas écrire. Vigneul

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Marville raisonne mal dans un tel endroit de son livre, il conclut du particulier au général: donc c'est un méchant logicien qui parle au hasard et sans réflexion. Qui ne voit que toutes ces conclusions sont impertinentes, et que notre censeur auroit droit de se plaindre de la dernière ? Qu'il fasse donc aux autres la même justice qu'il exige pour lui-même. Bien plus, non-seulement ce critique a tort de conclure d'un seul passage des Caractères de ce siècle, que l'auteur de ce livre affecte ordinairement d'entasser paroles sur paroles sans nécessité; mais ce passage même qu'il cite pour le prouver, est, à mon avis, très-mal choisi. Vigneul Marville pourroit peut-être dire que l'auteur parle trop en cet endroit, qu'il y entasse quatre comparaisons sans nécessité, puisqu'une ou deux auroient pu suffire. Mais la question n'est pas de savoir si la Bruyère parle trop, mais s'il dit en peu de mots ce qu'il veut dire, et si l'on pourroit le dire aussi nettement en moins de paroles. Ce sont deux choses fort différentes. On peut être concis et grand parleur en même temps, sur-tout en écrivant ; car dans la conversation grand parleur et diseur de rien ne signifient ordinairement qu'une seule et même chose.

XVI. Mais après tant de fausses attaqués, en voici une enfin qui peut-être portera coup. C'est la critique de quelques expressions que la Bruyère

a employées dans le passage que nous venons d'examiner, et qui ne paroissent pas françoises à Vigneul-Marville. Il y en a quatre, savoir, 1o. un peintre qui fait d'après nature, pour dire qui travaille, qui peint d'après nature: 2°. forcer une passion, un contraste, des attitudes, expressions barbares en langage de peinture, si l'on en croit notre censeur : 3o. le terme de volume appliqué aux figures d'un tableau, quoiqu'il ne se dise, selon Vigneul-Marville, que des choses qui se mesurent et se pèsent: et enfin, 4°. les pièces d'un tableau, au lieu de dire les figures d'un tableau, le mot de pièces étant réservé pour le blazon, comme la Bruyère le sait ou ne le sait pas, ajoute poliment notre critique.

Je ne sais si l'on ne pourroit point douter de la solidité de quelques-unes de ces décisions : mais je suis fort tenté de ne pas disputer cette petite victoire à Vigneul-Marville, quand ce ne seroit que pour l'encourager à nous faire part d'une plus ample critique des Caractères de ce siècle. Car afin que vous le sachiez, tout ce que vous avez vu jusqu'ici, n'est que le prélude d'un combat à toute outrance. Vigneul-Marville avoit composé un plus gros ouvrage, qu'il a supprimé, après avoir appris la mort de la Bruyère. Ce n'est ici qu'un petit échantillon par où l'on pourra juger de toute la pièce. Mais si j'accorde à Vigneul-Marville qu'il a eu raison de censurer ces quatre expressions dans le livre de la

Bruyère, c'est à condition qu'il n'abusera pas de ce petit avantage, comme s'il lui donnoit droit de conclure que la Bruyère ne sait pas écrire en françois, qu'il n'a point de style formé, qu'il écrit au hasard; que la plupart de ses expressions sont forcées, impropres et peu naturelles. Ce seroit imiter ces critiques dont parle madame Deshoulières, qui, pour un mot bien ou mal placé, approuvent ou condamnent tout un ouvrage.

Quelques faux brillans bien placés,
Toute la pièce est admirable:
Un mot leur déplaît, c'est assez,
Toute la pièce est détestable.

Je crois Vigneul-Marville trop raisonnable pour donner dans cet excès. Il sait qu'Homère s'endort quelquefois et qu'on trouve des fautes dans les plus excellens écrivains. Il est auteur lui-même, et par conséquent sujet à se méprendre aussi bien que Pindare, Virgile, Horace, et tous les plus fameux écrivains anciens et modernes.

Du reste, quoique je ne veuille pas disputer à Vigneul - Marville la gloire d'avoir censuré avec raison des expressions qu'on vient de voir (*),

(*) Je viens de voir dans les Entretiens sur les ouvrages des peintres, une expression qui pourroit bien servir à justifier celle dont se sert ici la Bruyère. «Si ce beau faire, et » cette belle union de couleurs que l'on voit dans leurs ≫ ouvrages non contestés, &c.» page 217, tome III.

celle-ci sur-tout, un peintre qui fait d'après nature, je suis obligé d'avertir le public que ce censeur ne donnant pour preuve de la solidité de cette censure, que sa propre autorité, et la connoissance qu'il prétend avoir du langage des peintres, on fera bien de ne s'y fier que sous bonne caution: puisqu'on trouve dans le livre même de VigneulMarville, des expressions tirées de la peinture, qui peuvent faire douter qu'il entende aussi bien les termes de cet art, qu'il semble se le persuader, comme quand il dit, que la Bruyère travaille plus en détrempe qu'à l'huile. On dit peindre en huile, j'en suis sûr; et je puis le prouver par des autorités incontestables mais je doute qu'on puisse dire peindre à l'huile. Je m'en rapporte aux experts.

XVII. Je ne sais pourquoi j'ai cru si légèrement que Vigneul-Marville useroit modérément du petit avantage que je viens de lui céder. Bien loin de là, ce critique en est devenu si fier, qu'il commence à s'oublier lui-même, tant c'est une chose difficile de se modérer dans la victoire. Ce ne seroit jamais fait, dit-il, si l'on vouloit critiquer toutes les expressions forcées, impropres, et peu naturelles qu'on veut faire passer pour des beautés et des raffinemens de langage. Voilà de terribles menaces, mais qui, par bonheur pourla Bruyère, ne seront pas mises en exécution. Vigneul-Marville veut lui épargner la honte d'une entière défaite. Il se contentera de lui

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