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DE LA BRUYÈRE

ET DE SES

CARACTÈRES,

CONTRE LES ACCUSATIONS ET LES OBJECTIONS

DE VIGNEUL-MARVILLE

Sr ce que Vigneul - Marville vient de publier

dans ses Mélanges d'Histoire et de Littérature, contrela personne et les écrits de la Bruyère, me paroissoit de quelque force, je n'entreprendrois pas de le réfuter, de peur de faire tort à la Bruyère par une méchante apologie. C'est un tour que bien des gens ont joué à leurs meilleurs amis, témoin l'auteur du Traité de la Délicatesse, qui, voulant défendre le P. Bouhours contre le fameux Cléanthe, ne fit autre chose que fournir à ce dernier le sujet d'un nouveau triomphe. Je ne crains pas de tomber dans cet inconvénient, en repoussant les objections de Vigneul - Marville : car elles sont si foibles pour la plupart, qu'il n'est pas besoin de beaucoup

de pénétration pour les détruire, comme j'espère de le faire voir à tous ceux qui voudront prendre la peine de lire cet écrit avec toute l'attention nécessaire pour le bien comprendre.

Il faut pourtant que ces objections aient quelque chose d'éblouissant, puisque le judicieux auteur qui continue à nous donner les Nouvelles de la République des Lettres, après le savant Bayle, en parle ainsi dans l'extrait qu'il a fait de ces Mélanges d'Histoire et de Littérature.

« Il n'y a guère (*) d'apparence que Vigneul» Marville fasse revenir le Public de l'estime qu'il » a conçue pour les Caractères de la Bruyère; » cependant on ne sera pas fâché de lire la cri» tìque qu'il fait de cet auteur, sur la fin de son » ouvrage ». J'ai conclu de-là, que si cette critique méritoit d'être lue, elle valoit aussi la peine d'être réfutée; et c'est ce qui m'a déterminé à publier ce petit ouvrage.

Vigneul - Marville attaqua la personne de la Bruyère, et l'ouvrage qu'il a donné au Public, sous le titre de Caractères ou Mours de ce siècle. Je vais le suivre pas à pas, et commencer avec lui par la personne de la Bruyère.

(*) Au mois de Janvier 1700, p. 92.

PREMIÈRE PARTIE.

DE LA PERSONNE DE LA BRUYÈRE.

I. AVANT toutes choses, j'avouerai sincérement que je n'ai jamais vu la Bruyère. Je ne le connois. que par ses ouvrages. Il ne paroît pas que VigneulMarville l'ait connu plus particuliérement que moi; du moins si l'on en juge par ce qu'il nous en dit lui-même dans son livre. Car c'est sur le portrait que la Bruyère a fait de lui-même dans ses écrits, que Vigneul - Marville croit qu'il est aisé de le connoître et l'on ne voit pas qu'il ajoute de nouveaux traits aux différens caractères qu'il prétend que cet auteur nous a donnés de lui-même dans son livre. Si donc je puis faire voir que Vigneul - Marville a mal pris les paroles de la Bruyère dans tous ces endroits, où il s'imagine que cet illustre écrivain s'est dépeint lui-même peu importe que je n'aie jamais vu la Bruyère; je ne suis pas moins en droit de le défendre contre les fausses accusations de son adversaire.

II. Le principal caractère de la Bruyère, dit d'abord Vigneul-Marville, c'est celui d'un gentilhomme à louer, qui met enseigne à sa porte, et avertit le siècle et les siècles à venir, de l'antiquité de sa noblesse.. Il le fait sur le

ton de Don Quichotte (1), et d'une manière tout-à-fait délicate et fine. « Je le déclare nettement (2), dit-il, » afin que l'on s'y prépare, et que personne un jour n'en soit surpris. S'il arrive jamais que quel » que Grand me trouve digne de ses soins, si je » fais enfin une belle fortune, il y a un Geoffroy » de la Bruyère que toutes les chroniques rangent » au nombre des plus grands seigneurs de France, » qui suivirent Godefroy de Bouillon à la con» quête de la terre sainte: voilà alors de qui je » descends en ligne directe ».

Vigneul-Marville trouve dans ces paroles une vanité ridicule et sans égale; mais il auroit fait plus de justice à la Bruyère, s'il y eût vu une. satyre ingénieuse de ces gens qui, roturiers de leur propre aveu, tandis qu'ils sont pauvres, croient être nobles, dès qu'ils viennent à faire fortune. C'est cette folle imagination que la Bruyère attaque si plaisamment en tant d'endroits de ce chapitre. Un homme du peuple, dit-il (t. 2 p. 158), un peu avant le passage que je viens de citer

(1) Mélanges d'Histoire et de Littérature, receullis parVigneulMarville. Rotterdam, 1700, pag. 325. Je me servirai toujours de cette édition.

(2) Ce sont le propres paroles de la Bruyère dans ses Caractères, au chap. XIV, intitulé: de quelques usages, tom. II. pag. 162.,

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