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On ne trompe point en bien, la fourberie ajoute la malice au mensonge.

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S'il avoit moins de dupes, il y auroit moins de ce qu'on appelle des hommes fins ou entendus, et de ceux qui tirent autant de vanité que de distinction d'avoir su pendant tout le cours de leur vie tromper les autres: comment voulez-vous qu'Erophile, à qui le manque de parole, les mauvais offices, la fourberie, bien loin de nuire, ont mérité des graces et des bienfaits de ceux même qu'il a ou manqué de servir, ou désobligés, ne présume pas infiniment de soi et de son industrie ?

L'on n'entend dans les places et dans les rues des grandes villes, et de la bouche de ceux qui passent, que les mots d'exploit, de saisie, d'interrogatoire, de promesse, et de plaider contre sa promesse : est-ce qu'il n'y auroit pas dans le monde la plus petite équité? Seroit-il au contraire rempli de gens qui demandent froidement ce qui ne leur est pas dû, ou qui refusent nettement de rendre ce qu'ils doivent ?

Parchemins inventés pour faire souvenir ou pour convaincre les hommes de leur parole: honte de l'humanité.

Otez les passions, l'intérêt, l'injustice, quel calme dans les plus grandes villes ! Les besoins et la subsistance n'y font pas le tiers de l'embarras.

Rien n'engage tant un esprit raisonnable à supporter tranquillement des parens et des amis les torts qu'ils ont à son égard, que la réflexion qu'il fait sur les vices de l'humanité; et combien il est pénible aux hommes d'être constans, généreux, fidèles, d'être touchés d'une amitié plus forte que leur intérêt. Comme il connoît leur portée, il n'exige point d'eux qu'ils pénètrent les corps, qu'ils volent dans l'air, qu'ils aient de l'équité. Il peut haïr les hommes en général, où il y a si peu de vertu; mais il excuse les particuliers, il les aime même par des motifs plus relevés, et il s'étudie à mériter le moins qu'il se peut une pareille indulgence.

Il y a de certains biens que l'on desire avec emportement, et dont l'idée seule nous enlève et nous transporte: s'il nous arrive de les obtenir on les sent plus tranquillement qu'on ne l'eût pensé, on en jouit moins, que l'on aspire encore à de plus grands.

Il y a des maux effroyables et d'horribles malheurs où l'on n'ose penser, et dont la seule vue fait frémir: s'il arrive que l'on y tombe, l'on se trouve des ressources que l'on ne se connoissoit point, l'on se roidit contre son infortune, et l'on fait mieux qu'on ne l'espéroit.

Il ne faut quelquefois qu'une jolie maison dont on hérite, qu'un beau cheval, ou un joli chien

dont on se trouve le maître, qu'une tapisserie, qu'une pendule pour adoucir une grande douleur, et pour faire moins sentir une grande perte.

Je suppose que les hommes soient éternels sur la terre; et je médite ensuite sur ce qui pourroit me faire connoître qu'ils se feroient alors une plus grande affaire de leur établissement, qu'ils ne s'en font dans l'état où sont les choses.

Si la vie est misérable, elle est pénible à supporter: si elle est heureuse, il est horrible de la perdre. L'un revient à l'autre.

Il n'y a rien que les hommes aiment mieux à conserver, et qu'ils ménagent moins que leur propre vie.

Irène (*) se transporte à grands frais en Epidaure, voit Esculape dans son temple, et le consulte sur tous ses maux. D'abord elle se plaint qu'elle est lasse et recrue de fatigue; et le dieu prononce que cela lui arrive par la longueur du chemin qu'elle vient de faire. Elle dit qu'elle est le soir sans appétit : l'oracle lui ordonne de dîner peu : elle ajoute qu'elle est sujette à des insomnies; et il lui prescrit de n'être au lit que pendant la nuit : elle lui demande pourquoi elle devient pesante, et quel remède? l'oracle répond qu'elle doit se lever avant midi,

(*) L'on tint ce discours à madame de Montespan aux eaux de Bourbon, où elle alloit souvent pour des maladies imaginaires.

et quelquefois se servir de ses jambes pour marcher: elle lui déclare que le vin lui est nuisible: l'oracle lui dit de boire de l'eau qu'elle a des indigestions, et il ajoute qu'elle fasse la diète. Ma vue s'affoiblit, dit Irène, prenez des lunettes, dit Esculape. Je m'affoiblis moi-même, continue-t-elle, je ne suis ni si forte ni si saine que j'ai été c'est, dit le dieu, que vous vieillissez. Mais quel moyen de guérir de cette langueur ? le plus court, Irène, c'est de mourir, comme ont fait votre mère et votre aïeule. Fils d'Apollon, s'écrie Irène, quel conseil me donnez-vous? Est-ce là toute cette science que les hommes publient, et qui vous fait révérer de toute la terre ? Que m'apprenez - vous de rare et de mystérieux, et ne savois-je pas tous ces remèdes que vous m'enseignez ? Que n'en usiez-vous donc, répond le dieu, sans venir mẹ chercher de si loin, et abréger vos jours par un long voyage?

La mort n'arrive qu'une fois, et se fait sentir à tous les momens de la vie: il est plus dur de l'appréhender que de la souffrir.

L'inquiétude, la crainte, l'abattement n'éloignent pas la mort, au contraire: je doute seulement que le ris excessif convienne aux hommes qui sont mortels.

Ce qu'il y a de certain dans la mort, est un peu adouci par ce qui est incertain: c'est un

indéfini dans le temps qui tient quelque chose de l'infini, et de ce qu'on appelle éternité.

Pensons que comme nous soupirons présentement pour la florissante jeunesse qui n'est plus, et ne reviendra point, la caducité suivra qui nous fera regretter l'âge viril où nous sommes encore, et que nous n'estimons pas assez.

L'on craint la vieillesse, que l'on n'est pas de pouvoir atteindre.

sûr

L'on espère de vieillir, et l'on craint la vieillesse, c'est-à-dire, l'on aime la vie et l'on fuit la

mort.

C'est plutôt fait de céder à la nature et de craindre la mort, que de faire de continuels efforts, s'armer de raisons et de réflexions, et être continuellement aux prises avec soi-même, pour ne pas la craindre.

Si de tous les hommes les uns mouroient, les autres non, ce seroit une désolante affliction de mourir.

que

Une longue maladie semble être placée entre la vie et la mort, afin que la mort même devienne un soulagement et à ceux qui meurent, et à ceux qui restent.

A parler humainement, la mort a un bel endroit, qui est de mettre fin à la vieillesse.

à

La mort qui prévient la caducité arrive plus propos, que celle qui la termine.

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