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culte, diverses moeurs, diverses cérémonies: ils ressemblent à ceux qui entrent dans les magasins, indéterminés sur le choix des étoffes qu'ils veulent acheter, le grand nombre de celles qu'on leur montre les rend plus indifférens, elles ont chacune leur agrément et leur bienséance; ils ne se fixent point, ils sortent sans emplette.

Il y a des hommes qui attendent à être dévots et religieux, que tout le monde se déclare impie et libertin: ce sera alors le parti du vulgaire, ils sauront s'en dégager. La singularité leur plaît dans une matière si sérieuse et si profonde, ils ne suivent la mode et le train commun que dans les choses de rien et de nulle suite: qui sait même s'ils n'ont pas déjà mis une sorte de bravoure et : d'intrépidité à courir tout le risque de l'avenir ? il ne faut pas d'ailleurs que dans une certaine condition, avec une certaine étendue d'esprit, et de certaines vues, l'on songe à croire comme les savans et le peuple.

L'on doute de Dieu dans une pleine santé comme l'on doute que ce soit pécher que d'avoir un commerce avec une personne libre (*) : quand l'on devient malade, et que l'hydropisie est formée, l'on quitte sa concubine, et l'on croit en Dieu.

Il faudroit s'éprouver et s'examiner très-sérieusement, avant que de se déclarer esprit fort ou (*) Une fille.

libertin, afin au moins et selon ses principes de finir comme on a vécu; ou si l'on ne se sent pas la force d'aller si loin, se résoudre de vivre comme l'on veut mourir.

Toute plaisanterie (*) dans un homme mourant est hors de sa place; si elle roule sur de certains chapitres, elle est funeste. C'est une extrême misère que de donner à ses dépens à ceux que l'on laisse, le plaisir d'un bon mot.

Dans quelque prévention où l'on puisse être,, sur ce qui doit suivre la mort, c'est une chose bien sérieuse que de mourir: ce n'est point alors le badinage qui sied bien, mais la constance.

Il y a eu de tout temps de ces gens d'un bel esprit, et d'une agréable littérature: esclaves des Grands dont ils ont épousé le libertinage et porté le joug toute leur vie contre leurs propres lumières et contre leur conscience. Ces hommes n'ont jamais vécu que pour d'autres hommes, et ils semblent: les avoir regardés comme leur dernière fin. Ils ont eu honte de se sauver à leurs yeux, de paroître tels qu'ils étoient peut-être dans le cœur : et ils se sont perdus par déférence ou par foiblesse. Y a-t-il

(*) Le comte d'Olonne dit au lit de la mort, quand on vint l'avertir que M. Cornouaille, vicaire de S. Eustache, entroit pour le confesser: Serai-je encornaillé jusqu'à la la mort?

donc sur la terre des Grands assez grands, et des Puissans assez puissans pour mériter de nous que nous croyions, et que nous vivions à leur gré, selon leur goût et leurs caprices; et que nous poussions la complaisance plus loin, en mourant non de la manière qui est la plus sûre pour nous mais de celle qui leur plaît davantage ?

J'exigerois de ceux qui vont contre le train commun et les grandes règles, qu'ils fussent plus que les autres, qu'ils eussent des raisons claires et de ces argumens qui emportent conviction.

Je voudrois voir un homme sobre, modéré, chaste, équitable prononcer qu'il n'y a point de Dieu: il parleroit du moins sans intérêt, mais cet homme ne se trouve point.

J'aurois une extrême curiosité de voir celui qui seroit persuadé que Dieu n'est point: il me diroit du moins la raison invincible qui a su le convaincre. L'impossibilité où je suis de prouver que Dieu n'est pas, me découvre son existence.

Dieu condamne et punit ceux qui l'offensent, seul juge en sa propre cause, ce qui répugne s'il n'est lui-même la justice et la vérité, c'est-à-dire, s'il n'est Dieu.

Je sens qu'il y a un Dieu, et je ne sens pas qu'il n'y en ait point, cela me suffit, tout le raisonnement du monde m'est inutile je conclus que Dieu existe. Cette conclusion est dans ma

nature: j'en ai reçu les principes trop aisément dans mon enfance, et je les ai conservés depuis trop naturellement dans un âge plus avancé, pour les soupçonner de fausseté. Mais il y a des esprits qui se défont de ces principes: c'est une grande question s'il s'en trouve de tels; et quand il seroit ainsi, cela prouve seulement qu'il y a des monstres.

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L'athéisme n'est point. Les Grands qui en sont les plus soupçonnés, sont trop paresseux pour décider en leur esprit que Dieu n'est pas leur indolence va jusqu'à les rendre froids et indifférens sur cet article si capital, comme sur la nature de leur ame, et sur les conséquences d'une vraie religion: ils ne nient ces choses, ni les accordent; ils n'y pensent point.

Nous n'avons pas trop de toute notre santé, de toutes nos forces et de tout notre esprit pour penser aux hommes ou au plus petit intérêt : il semble au contraire la bienséance et la cou

que

que

tume exigent de nous, que nous ne pensions à Dieu dans un état où il ne reste en nous. qu'autant de raison qu'il faut pour ne pas dire qu'il n'y en a plus.

Un Grand croit (*) s'évanouir, et il meurt: un autre Grand périt insensiblement, et perd chaque jour quelque chose de soi-même avant

(*) De la Feuillade, ou de Louvois, ou de Segnelay.

qu'il soit éteint: formidables leçons, mais inutiles! Des circonstances si marquées et si sensiblement opposées ne se relèvent point, et ne touchent personne. Les hommes n'y font pas plus d'attention qu'à une fleur qui se fane, ou à une feuille qui tombe: ils envient les places qui demeurent vacantes, ou ils s'informent si elles sont remplies, et par qui.

Les hommes sont-ils assez bons, assez fidèles, assez équitables, pour mériter toute notre confiance, et ne nous pas faire desirer du moins que Dieu existât, à qui nous puissions appeller de leurs jugemens, et avoir recours quand nous en sommes persécutés ou trahis?

Si c'est le grand et le sublime de la religion qui éblouit, ou qui confond les esprits forts, ils ne sont plus des esprits forts, mais de foibles génies et de petits esprits: si c'est au contraire ce qu'il y a d'humble et de simple qui les rebute, ils sont à la vérité des esprits forts, et plus forts que tant de grands hommes si éclairés, si élevés, et néanmoins si fidèles, que les Léon, les Basile, les Jérôme, les Augustin.

Un père de l'église, un docteur de l'église, quels noms! quelle tristesse dans leurs écrits ! quelle sécheresse, quelle froide dévotion, et peut-être quelle scholastique! disent ceux qui ne les ont jamais lus: mais plutôt quel étonnement pour tous

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