Page images
PDF
EPUB

faire, ils s'endorment bientôt ; et le discours fini ils se réveillent pour dire qu'il a bien fait. On se passionne moins pour un auteur: son ouvrage est lu dans le loisir de la campagne, ou dans le silence du cabinet: il n'y a point de rendez-vous, publics pour lui applaudir, encore moins de cabinet pour lui sacrifier tous ses rivaux, et pour l'élever à la prélature. On lit son livre quelque excellent qu'il soit, dans l'esprit de le trouver médiocre; on le feuillette, on le discute, on le confronte, ce ne sont pas des sons qui se perdent en l'air, et qui s'oublient, ce qui est imprimé demeure imprimé. On l'attend quelquefois plusieurs jours avant l'impression pour le décrier; et le plaisir le plus délicat que l'on en tire, vient de la critique qu'on en fait on est piqué d'y trouver à chaque page des traits qui doivent plaire, on va même souvent jusqu'à appréhender d'en être diverti, on ne quitte ce livre que parce qu'il est bon. Tout le monde ne se donne pas pour orateur, les phrases, les figures, le don de là mémoire, la robe ou l'engagement de celui qui prêche ne sont pas des choses qu'on ose ou qu'on veuille toujours s'approprier: chacun au contraire croit penser bien et écrire encore mieux ce qu'il a pensé, il en est moins favorable à celui qui pense et qui écrit aussi bien que lui. En un mot, le sermoneur est plutôt évêque que le plus solide

écrivain n'est revêtu d'un prieuré simple; et dans la distribution des graces, de nouvelles sont accordées à celui-là, pendant que l'auteur grave se tient heureux d'avoir ses restes.

S'il arrive que les méchans vous haïssent et vous persécutent, les gens de bien vous conseillent de vous humilier devant Dieu, pour vous mettre en garde contre la vanité qui pourroit vous venir de déplaire à des gens de ce caractère: de même, si certains hommes sujets à se récrier sur le médiocre, désapprouvent un ouvrage que vous aurez écrit, ou un discours que vous venez de prononcer en public, soit au barreau, soit dans la chaire, ou ailleurs, humiliez-vous, on ne peut guère être exposé à une tentation d'orgueil plus, délicate et plus prochaine.

Il me semble (*) qu'un prédicateur devroit faire choix dans chaque discours d'une vérité unique, mais capitale, terrible ou instructive, la manier à fond et l'épuiser, abandonner toutes ces divisions si recherchées, si retournées, si remaniées et si différenciées, ne point supposer ce qui est faux. je veux dire que le grand ou le beau monde fait sa religion et ses devoirs, et ne pas appréhender de faire faire ou à ces bonnes têtes ou à ces esprits, si raffinés des catéchismes; ce temps si long que

(*) Le père de la Rue.

[ocr errors]

l'on use à composer un long ouvrage, l'employer à se rendre si maître de sa matière, que le tour et les expressions naissent dans l'action, coulent de source; se livrer, après une certaine préparation, à son génie et aux mouvemens qu'un grand sujet peut inspirer: qu'il pourroit enfin s'épargner ces prodigieux efforts de mémoire qui ressemblent mieux à une gageure qu'à une affaire sérieuse, qui corrompent le geste et défigurent le visage; jetter au contraire, par un bel enthousiasme, la persuasion dans les esprits. et l'alarme dans le cœur, et toucher ses auditeurs d'une toute autre crainte que de celle de le voir demeurer court.

Que celui qui n'est pas encore assez parfait pour s'oublier soi-même dans le ministère de la parole sainte, ne se décourage point par les règles austères qu'on lui prescrit, comme si elles lui ôtoient les moyens de faire montre de son esprit, et de monter aux dignités où il aspire: quel plus beau talent que celui de prêcher apostoliquement, et quel autre mérite mieux un évêché? Fénélon (*) en étoit-il indigne ? auroit-il pu échapper au choix du Prince, que par un autre choix?

(*) Ci-devant précepteur des enfans de France, ensuite archevêque de Cambray, et du conseil de conscience, et créature de madame de Maintenon..

DES ESPRITS FORTS.

LES Es esprits forts savent-ils qu'on les appelle ainsi par ironie? Quelle plus grande foiblesse que d'être incertains quel est le principe de son être, de sa vie, de ses sens, de ses connoissances, et quelle en doit être la fin? Quel découragement plus grand que de douter si son ame n'est point matière comme la pierre et le reptile, et si elle n'est point corruptible comme ces viles créatures? N'y a-t-il pas plus de force et de grandeur à recevoir dans notre esprit l'idée d'un être supérieur à tous les êtres, qui les a tous faits, et à qui tous se doivent rapporter; d'un être souverainement parfait, qui est pur, qui n'a point commencé et qui ne peut finir, dont notre ame est l'image, et j'ose dire, une portion comme esprit, et comme immortelle ?

Le docile et le foible sont susceptibles d'impressions, l'un en reçoit de bonnes, l'autre de mauvaises, c'est-à-dire, que le premier est persuadé et fidèle, et que le second est entêté et corrompu. Ainsi l'esprit docile admet la vraie religion, et l'esprit foible, ou n'en admet aucune, ou en admet une fausse: or l'esprit fort, ou n'a point de religion, ou se fait une religion; donc l'esprit fort, c'est l'esprit foible.

J'appelle mondains, terrestres ou grossiers, ceux dont l'esprit et le coeur sont attachés à une petite portion de ce monde qu'ils habitent, qui est la terre; qui n'estiment rien, qui n'aiment rien au delà , gens aussi limités que ce qu'ils appellent leurs possessions ou leur domaine que l'on mesure, dont on compte les arpens, et dont on montre les bornes. Je ne m'étonne pas que des hommes qui s'appuient sur un atome, chancèlent dans les moindres efforts qu'ils font pour sonder la véritég si avec des vues si courtes ils ne percent point à travers le ciel et les astres jusques à Dieu même ; si ne s'appercevant point ou de l'excellence de ce qui est esprit, ou de la dignité de l'ame, ils ressentent encore moins combien la terre entière est au-dessous d'elle; de quelle nécessité lui devient un être souverainement parfait qui est Dieu, et quel besoin indispensable elle a d'une religion qui le lui indique, et qui lui en est une caution sûre Je comprends au contraire fort aisément qu'il est natutel à de tels esprits de tomber dans l'incrédulité ou l'indifférence; et de faire servir Dieu et la religion à la politique, c'est-à-dire, à l'ordre et à la décoration de ce monde, la seule chose, selon eux, qui mérite qu'on y pense.

de

Quelques-uns achèvent de se corrompre par tongs. voyages, et perdent le peu de religion qui leur restoit ils voient de jour à autre un nouveau :

« PreviousContinue »