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L'on voit des clercs revenir de quelques provinces où ils n'ont pas fait un long séjour, vains des conversions qu'ils ont trouvées toutes faites comme de celles qu'ils n'ont pu faire, se comparer déjà aux Vincens et aux Xaviers, et se croire des hommes apostoliques: de si grands travaux et de si heureuses missions ne seroient pas à leur gré payées d'une abbaye.

Tel, tout d'un coup, et sans y avoir pensé la veille, prend du papier, une plume, dit en soimême, je vais faire un livre, sans autre talent pour écrire, que le besoin qu'il a de cinquante pistoles. Je lui crie inutilement, prenez une scie, Dioscore (*), sciez, ou bien tournez ou faites une jante de roue, vous aurez votre salaire. Il n'a point fait d'apprentissage de tous ces métiers: copiez donc, transcrivez, soyez au plus correcteur d'Imprimerie, n'écrivez point. Il veut écrire et faire imprimer; et parce qu'on n'envoie pas à l'Imprimeur un cahier blanc, il le barbouille de ce qui lui plaît, il écriroit volontiers que la Seine coule à Paris, qu'il y a sept jours dans la semaine, ou que le temps est à la pluie; et comme ce discours n'est ni contre la religion ni contre l'Etat, et qu'il ne fera point d'autre désordre dans le public que de lui gâter le goût et l'accoutumer aux choses fades et insipides, il passe à l'examen,

(*) Gedeon Pontier, auteur du cabinet des Grands,

Il est imprimé; et à la honte du siècle, comme pour l'humiliation des bons auteurs, réimprimé. De même, un homme dit en son cœur, je prê cherai, et il prêche le voilà en chaire, sans autre talent ni vocation que le besoin d'un bénéfice.

Un clair mondain ou irréligieux, s'il monte en chaire, est déclamateur.

Il y a au contraire des hommes saints, et dont lé seul caractère est efficace pour la persuasion : ils paroissent, et tout un peuple qui doit les écouter est déjà ému et comme persuadé par leur présence: le discours qu'ils vont prononcer, fera le resté.

L'évêque de Meaux (*) et le père Bourdaloue, me rappellent Démosthène et Cicéron. Tous deux maîtres dans l'éloquence de la chaire, ont eu le destin des grands modèles : l'un a fait de mauvais censeurs, l'autre de mauvais copistes.

L'éloquence de la chaire, en ce qui y entre d'humain et du talent de l'orateur, est cachée, connue de peu de personnes et d'une difficile exécution: quel art en ce genre pour plaire en persuadant! Il faut marcher par des chemins battus,

(*) Bossuet, évêque de Meaux, qui avoit été précepteur de Monseigneur, grand prédicateur et controver siste, peu aimé des jésuites, qui l'ont traversé en toutes occasions.

dire ce qui a été dit, et ce que l'on prévoit que vous allez dire les matières sont grandes, mais usées et triviales: les principes sûrs, mais dont les auditeurs pénètrent les conclusions d'une seule vue: il y entre des sujets qui sont sublimes; mais qui peut traiter le sublime? Il y a des mystères que l'on doit expliquer, et qui s'expliquent mieux par une leçon de l'école que par un discours oratoire. La morale même de la chaire, qui comprend une matière aussi vaste et aussi diversifiée que le sont les mœurs des hommes, roule sur les mêmes pivots, retrace les mêmes images, et se prescrit des bornes bien plus étroites que la satyre. Après l'invective commune contre les honneurs, les richesses et le plaisir, il ne reste plus à l'ora-. teur qu'à courir à la fin de son discours et à congédier l'assemblée. Si quelquefois on pleure, si on est ému, après avoir fait attention au génie et au caractère de ceux qui font pleurer, peutêtre conviendra-t-on que c'est la matière qui se prêche elle-même, et notre intérêt le plus capital qui se fait sentir; que c'est moins une véritable éloquence, que la ferme poitrine du missionnaire qui nous ébranle et qui cause en nous ces mouvemens. Enfin le prédicateur n'est point soutenu comme l'avocat par des faits toujours nouveaux, par de différens événemens, par des aventures inouies, il ne s'exerce point sur les questions

douteuses, il ne fait point valoir les violentes. conjectures et les présomptions; toutes choses. néanmoins qui élèvent le génie, lui donnent de la force et de l'étendue, et qui contraignent bien moins l'éloquence qu'elles ne la fixent et ne la dirigent: il doit au contraire tirer son discours d'une source commune, et où tout le monde puise; et s'il s'écarte de ces lieux communs, il n'est plus populaire, il est abstrait ou déclamateur, il ne prêche plus l'évangile il n'a besoin que : d'une noble simplicité, mais il faut l'atteindre; talent rare, et qui passe les forces du commun des hommes: ce qu'ils ont de génie, d'imagination, d'érudition et de mémoire, ne leur sert souvent qu'à s'en éloigner.

La fonction de l'avocat est pénible, laborieuse et suppose dans celui qui l'exerce, un riche fond et de grandes ressources. Il n'est pas seulement chargé comme le prédicateur d'un certain nombre d'oraisons composées avec loisir, récitées de mémoire, avec autorité, sans contradicteurs, et qui avec de médiocres changemens lui font honneur plus d'une fois : il prononce de graves plaidoyers devant des juges qui peuvent lui imposer silence, et contre des adversaires qui l'interrompent; if doit être prêt sur la replique, il parle en un même jour, dans divers tribunaux, de différentes affaires. Sa maison n'est pas pour lui un lieu de repos et

de retraite, ni un asyle contre les plaideurs : elle est ouverte à tous ceux qui viennent l'accabler de leurs questions et de leurs doutes: il ne se met pas au lit, on ne l'essuie point, on ne lui prépare point de rafraîchissemens, il ne se fait point dans sa chambre un concours de monde de tous les états et de tous les sexes, pour le féliciter sur la politesse de son langage, lui remettre l'esprit sur un endroit où il a couru risque de demeurer court, ou sur un scrupule qu'il a sur le chevet d'avoir plaidé moins vivement qu'à l'ordinaire. Il se délasse d'un long discours par de plus longs ecrits, il ne fait que changer de travaux et de fatigues: j'ose dire qu'il est dans son genre, ce qu'étoient dans le leur les premiers hommes apostoliques.

Quand on a ainsi distingué l'éloquence du barreau. de la fonction de l'avocat, et l'éloquence de la chaire du ministère du prédicateur, on croit voir qu'il est plus aisé de prêcher que de plaider, et plus difficile de bien prêcher que de bien plaider.

Quel avantage n'a pas un discours prononcé sur un ouvrage qui est écrit ! Les hommes sont les dupes de l'action et de la parole, comme de tout l'appareil de l'auditoire: pour peu de prévention qu'ils aient en faveur de celui qui parle, ils l'admirent, et cherchent ensuite à le comprendre: avant qu'il ait commencé ils s'écrient qu'il va bien

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