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réglât au contraire les bureaux comme les audiences, et qu'on cherchât une fin aux écritures (*), comme on a fait aux plaidoyers.

Le devoir des juges est de rendre la justice; leur métier est de la différer: quelques-uns savent leur devoir, et font leur métier.

Celui qui sollicite son juge ne lui fait pas honneur: car, ou il se défie de ses lumières, et même de sa probité, ou il cherche à le prévenir, ou il lui demande une injustice.

Il se trouve des juges auprès de qui la faveur, l'autorité, les droits de l'amitié et de l'alliance nuisent à une bonne cause; et qu'une trop grande affectation de passer pour incorruptibles, expose à être injustes.

Le magistrat coquet ou galant est pire dans les conséquences que le dissolu: celui-ci cache son commerce et ses liaisons, et l'on ne sait souvent par où aller jusqu'à lui: celui-là est ouvert par mille foibles qui sont connus; et l'on y arrive par toutes les femmes à qui il veut plaire.

Il s'en faut peu que la religion et la justice n'aillent de pair dans la république, et que la magistrature ne consacre les hommes comme la prêtrise. L'homme de robe ne sauroit guère danser au bal, paroître aux théâtres, renoncer aux habits simples et modestes, sans consentir à son propre (*) Procès par écrit.

avilissement; et il est étrange (1) qu'il ait fallu une loi pour régler son extérieur, et le contraindre ainsi à être grave et plus respecté.

Il n'y a aucun métier qui n'ait son apprentissage; et en montant des moindres conditions jusques aux plus grandes, on remarque dans toutes un temps de pratique et d'exercice, qui prépare aux emplois, où les fautes sont sans conséquence, et mènent au contraire à la perfection. La guerre même qui ne semble naître et durer que par la confusion et le désordre, a ses préceptes: on ne se massacre pas par pelotons et par troupes en rase campagne, sans l'avoir appris, et l'on s'y tue méthodiquement: il l'école de la guerre. Où est l'école du magistrat ? Il y a un usage, des loix, des coutumes: où est le temps, et le temps assez long que l'on emploie à les digérer et à s'en instruire? L'essai et l'apprentissage d'un jeune adolescent qui passe de la férule à la pourpre, et dont la consignation a fait un juge, est de décider (2) souverainement des vies et des fortunes des hommes.

y a

(1) Il y a un arrêt du conseil qui oblige les conseillers à être en rabat. Ils étoient avant ce temps-là presque toujours en cravate. Il fut rendu à la requête de M. de Harlay, alors procureur - général, et qui a été depuis premier président.

(2) Le châtelet.

La

La principale partie de l'orateur, c'est la probité: sans elle il dégénère en déclamateur, il déguise ou il exagère (1) les faits, il cite faux, il calomnie, il épouse la passion et les haines de ceux pour qui il parle; et il est de la classe des ces avocats dont le proverbe dit, qu'ils sont payés pour dire des injures.

Il est vrai, dit-on, cette somme lui est due, et ce droit lui est acquis: mais je l'attends à cette petite formalité s'il l'oublie; il n'y revient plus, et conséquemment il perd sa somme, ou il est incontestablement déchu de son droit or il oubliera cette formalité. Voilà ce que j'appelle une conscience de praticien.

Une belle maxime pour le palais, utile au public, remplie de raison, de sagesse et d'équité, ce seroit précisément la contradictoire de celle qui dit, que la forme emporte le fond.

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La question est une invention merveilleuse et tout-à-fait sûre, pour perdre un innocent qui a la complexion foible, et sauver un coupable qui est né robuste.

Un coupable puni est un exemple pour la canaille: un innocent condamné (2) est l'affaire de tous les honnêtes gens.

(1) Fautrier, avocar.

(2) Le marquis de Langlade, innocent, condamné aux galères, où il est mort, Le Brun, appliqué à la question, Tome II.

M

Je dirai presque de moi, je ne serai pas voleur ou meurtrier; je ne serai pas un jour puni comme tel: c'est parler bien hardiment.

Une condition lamentable est celle d'un homme innocent à qui la précipitation et la procédure ont trouvé un crime, celle même de son juge peutelle l'être davantage ?

Si l'on me racontoit (*) qu'il s'est trouvé autrefois un prévôt ou l'un de ces magistrats créé pour poursuivre les voleurs et les exterminer, qui les connoissoit tous depuis long-temps de nom et de visage, savoit leurs vols, j'entends l'espèce, le nombre et la quantité, pénétroit si avant dans toutes ces profondeurs, et étoit si initié dans tous ces affreux mystères, qu'il sut rendre à un homme de crédit un bijou qu'on lui avoit pris dans la foule au sortir d'une assemblée, et dont il étoit sur le point de faire de l'éclat, que le parlement intervint dans cette affaire, et fit le procès à cet

où il est mort. Le premier avoit été accusé d'un vol fait à M. de Mongommery; et le voleur, qui étoit son aumônier,` fut trouvé depuis, et pendu. Le second fut accusé d'avoir assassiné madame Mazel, et pour cela mis à la question. L'assassin, nommé Berri, qui étoit fils na turel de ladite dame Mazel, parut depuis, et a été puni.

(*) De Grand-Maison, grand-prévôt de l'hôtel, a fait rendre à M. de S. Pouange une boucle de diamans qui lui avoit été dérobée à l'opéra.

officier, je regarderois cet événement comme l'une de ces choses dont l'histoire se charge, et à qui le temps ôte la croyance: comment donc pourrois-je croire qu'on doive présumer par des faits récens, connus et circonstanciés, qu'une connivence si pernicieuse dure encore, qu'elle ait même tourné en jeu et passé en coutume?

Combien d'hommes (1) qui sont forts contre les. foibles, fermes et inflexibles aux sollicitations du simple peuple, sans nuls égards pour les petits, rigides et sévères dans les minuties, qui refusent les petits présens, qui n'écoutent ni leurs parens ni leurs amis, et que les femmes seules peuvent corrompre !

Il n'est pas absolument impossible qu'une personne qui se trouve dans une grande faveur perde un procès.

Les mourans qui parlent dans leurs testamens. peuvent s'attendre à être écoutés comme des oracles: chacun les tire de son côté, et les interprète à sa manière, je veux dire selon ses desirs ou ses intérêts.

Il est vrai (2) qu'il y a des hommes dont on peut dire que la mort fixe moins la dernière volonté, qu'elle ne leur ôte avec la vie l'irrésolution

(1) Le présidient de Mesme et le lieutenant-civil.
(2) L'abbé de la Rivière, évêque de Langres.

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