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La fausse dévotion et la géométrie ont leurs façons de parler, ou ce qu'on appelle les termes de l'art : celui qui ne les sait pas, n'est ni dévot ni géomètre. Les premiers dévots, ceux même qui ont été dirigés par les Apôtres, ignoroient ces termes: simples gens qui n'avoient que la foi et les œuvres, et qui se réduisoient à croire et à bien vivre.

C'est une chose délicate à un Prince religieux de réformer la cour, et de la rendre pieuse : instruit jusques où le courtisan veut lui plaire, et aux dépens de quoi il feroit sa fortune, il le ménage avec prudence, il tolère, il dissimule, de peur de le jetter dans l'hypocrisie ou le sacrilège : il attend plus de Dieu et du temps que de son

zèle et de son industrie.

C'est une pratique ancienne dans les cours de donner des pensions, et de distribuer des graces. à un musicien, à un maître de danse, à un farceur, à un joueur de flûte, à un flatteur, à un complaisant ils ont un mérite fixe et des talens sûrs et connus qui amusent les Grands, et qui les délassent de leur grandeur. On sait que Favier est beau danseur, et que Lorenzani fait de beaux motets qui sait au contraire si l'homme dévot a de la vertu? il n'y a rien pour lui sur la cassette ni à l'épargne, et avec raison; c'est un métier aisé à contrefaire, qui, s'il étoit récompensé, exposeroit

le Prince à mettre en honneur la dissimulation et la fourberie, et à payer pension à l'hypocrite.

L'on espère que la dévotion de la cour ne laissera pas d'inspirer la résidence.

Je ne doute point que la vraie dévotion ne soit la source du repos; elle fait supporter la vie et rend la mort douce: on n'en tire pas tant de l'hypocrisie.

Chaque heure en soi, comme à notre égard, est unique: est-elle écoulée une fois, elle a péri entiérement, les millions de siècles ne la ramèneront pas. Les jours, les mois, les années s'enfoncent et se perdent sans retour dans l'abîme des temps. Le temps même sera détruit : ce n'est qu'un point dans les espaces immenses de l'éternité, et il sera effacé. Il y a de légères et frivoles circonstances du temps qui ne sont point stables, qui passent, et que j'appelle des modes, la grandeur, la faveur, les richesses, la puissance, l'autorité l'indépendance, le plaisir, les joies, la superfluité. Que deviendront ces modes, quand le temps même aura disparu? La vertu seule, si peu à la mode, va au-delà des temps.

Il

DE QUELQUES USAGES.

L y a des gens qui n'ont pas le moyen d'être nobles.

Il y en a de tels, que s'ils eussent obtenu six mois de délai de leurs créanciers, ils étoient nobles.

Quelques autres se couchent roturiers et se lèvent nobles.

Combien de nobles dont le père et les aînés sont roturiers!

Tel abandonne son père qui est connu, et dont l'on cite le greffe ou la boutique, pour se retrancher sur son aïeul, qui, mort depuis long-temps, est inconnu et hors de prise. Il montre ensuite un gros revenu, une grande charge, de belles alliances, et pour être noble, il ne lui manque que des titres.

Réhabilitations, mot en usage dans les tribunaux, qui a fait vieillir et rendu gothique celui de lettres de noblesse, autrefois si françois et si usité. Se faire réhabiliter suppose qu'un homme devenu riche, originairement est noble, qu'il est d'une nécessité plus que morale qu'il le soit, qu'à la vérité son père a pu déroger ou par la charrue, ou par la houe, ou par la malle, ou par les

de rentrer

livrées, mais qu'il ne s'agit pour lui que dans les premiers droits de ses ancêtres, et de continuer les armes de sa maison, les mêmes pourtant qu'il a fabriquées, et tout autres que celles de sa vaisselle d'étain: qu'en un mot les lettres de noblesse ne lui conviennent plus, qu'elles n'honorent que le roturier, c'est-à-dire, celui qui cherche encore le secret de devenir riche.

Un homme du peuple, à force d'assurer qu'il a vu un prodige, se persuade faussement qu'il a vu un prodige. Celui qui continue de cacher son âge, pense enfin lui-même être aussi jeune qu'il veut le faire croire aux autres. De même le rcturier qui dit par habitude qu'il tire son origine de quelque ancien baron ou de quelque châtelain dont il est vrai qu'il ne descend pas, a le plaisir de croire qu'il en descend.

Quelle est la roture un peu heureuse et établie, à qui il manque des armes, et dans ces armes une pièce honorable, des suppôts, un cimier, une devise, et peut-être le cri de guerre ? Qu'est devenue la distinction des casques et des heaumes? Le nom et l'usage en sont abolis, il ne s'agit plus de les porter de front ou de côté, ouverts ou fermés; et ceux-ci de tant ou de tant de grilles : on n'aime pas les minuties, on passe droit aux couronnes, cela est plus simple, on s'en croit digne, on se les adjuge. Il reste encore aux meilleurs

bourgeois une certaine pudeur qui les empêche de se parer d'une couronne de marquis, trop satisfaits de la comtale: quelques-uns même (1) ne vont pas la chercher fort loin, et la font passer de leur enseigne à leur carrosse.

Il suffit de n'être point né dans une ville, mais sous une chaumière répandue dans la campagne, ou sous une ruine qui trempe dans un marécage, et qu'on appelle château, pour être cru noble sur sa parole.

Un bon gentilhomme veut passer pour un petit seigneur, et il y parvient. Un grand seigneur affecte la principauté, et il use de tant de précautions, qu'à force de beaux noms, de disputes sur le rang et les préséances, de nouvelles armes, et d'une généalogie que d'Hosier ne lui a pas faite, il devient enfin un petit prince.

Les Grands en toutes choses (2) se forment et se moulent sur de plus grands, qui de leur part, pour n'avoir rien de commun avec leurs inférieurs renoncent volontiers à toutes les rubriques d'hon

(1) Allusion au pélican que porte MM. le Camus.

(2) Allusion à ce que MONSIEUR, pour s'approcher de Monseigneur le Dauphin, ne vouloit plus qu'on le traitât d'Altesse royale, mais qu'on lui parlât par Vous, comme l'on faisoit à Monseigneur et aux Enfans de France. Les autres princes, à son exemple, ne veulent plus être traités d'Altesse, mais simplement de Vous.

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