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entre une autre fois dans un lieu saint, perce la foule, choisit un endroit pour se recueillir, et où tout le monde voit qu'il s'humilie: s'il entend des courtisans qui parlent, qui rient, et qui sont à la chapelle avec moins de silence que dans l'antichambre, il fait plus de bruit qu'eux pour les faire taire: il reprend sa méditation, qui est toujours la comparaison qu'il fait de ces personnes avec lui-même, et où il trouve son compte. Il évite une église déserte et solitaire, où il pourroit entendre deux messes de suite, le sermon, vêpres et complies, tout cela entre Dieu et lui, et sans que personne lui en sût gré: il aime la paroisse, il fréquente les temples où se fait un grand concours, on n'y manque point son coup, on y est vu. Il choisit deux ou trois jours dans toute l'année, où à propos de rien il jeûne ou fait abstinence: mais à la fin de l'hiver il tousse, il a une mauvaise poitrine, il a des vapeurs, il a eu la fièvre : il se fait prier, presser, quereller pour rompre le carême dès son commencement, et il en vient là par complaisance. Si Onuphre est nommé arbitre dans une querelle de parens ou dans un procès de famille, il est pour les plus forts, je veux dire pour les plus riches, et il ne se persuade point que celui ou celle qui a beaucoup de bien puisse avoir tort. S'il se trouve bien d'un homme opulent, à qui il a su imposer, dont il

est le parasite, et dont il peut tirer de grands secours il ne cajole point sa femme, il ne lui fait du moins ni avance ni déclaration; il s'enfuira, il lui laissera son manteau, s'il n'est aussi sûr d'elle que de lui-même : il est encore plus éloigné d'employer pour la flatter et pour la séduire le jargon de la fausse dévotion: ce n'est point par habitude qu'il le parle, mais avec dessein, et selon qu'il lui est utile, et jamais quand il ne serviroit qu'à le rendre très-ridicule. Il sait où se trouvent des femmes plus sociables et plus dociles que celle de son ami, il ne les abandonne pas pour long-temps, quand ce ne seroit que pour faire dire de soi dans le public qu'il fait des retraites : qui en effet pourroit en douter, quand on le revoit paroître avec un visage exténué et d'un homme qui ne se ménage point. Les femmes d'ailleurs qui fleurissent et qui prospèrent à l'ombre de la fausse dévotion, lui conviennent, seulement avec cette petite différence qu'il néglige celles qui ont vieilli, et qu'il cultive les jeunes, et entre celles-ci les plus belles et les mieux faites, c'est son attrait: elles vont, et il

va; elles reviennent, et il revient; elles demeurent, et il demeure; c'est en tous lieux et à toutes les heures qu'il a la consolation de les voir qui pourroit n'en être pas édifié? elles sont dévotes, et il est dévot. Il n'oublie pas de tirer avantage de l'aveuglement de son ami et de la prévention

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où il l'a jetté en sa faveur: tantôt il lui emprunte de l'argent, tantôt il fait si bien que cet ami lui en offre il se fait reprocher de n'avoir pas recours à ses amis dans ses besoins. Quelquefois il ne peut pas recevoir une obole sans donner un billet qu'il est bien sûr de ne jamais retirer. Il dit une autre fois et d'une certaine manière, que rien ne lui manque, et c'est lorsqu'il ne lui faut qu'une petite somme: il vante quelque autre fois publiquement la générosité de cet homme pour le piquer d'honneur et le conduire à lui faire une grande largesse: il ne pense point à profiter de toute sa succession, ni à attirer une donation générale de tous ses biens, s'il s'agit sur-tout de les enlever à un fils, le légitime héritier. Un homme dévot n'est ni avare, ni violent, ni injuste, ni même intéressé: Onuphre n'est pas dévot, mais il veut être cru tel, et par une parfaite, quoique fausse imitation de la piété, ménager sourdement ses intérêts: aussi ne se joue-t-il pas à la ligne directe, et il ne s'insinue jamais dans une famille où se trouvent tout à la fois une fille à pourvoir et un fils à établir, il y a là des droits trop forts et trop inviolables, on ne les traverse point sans faire de l'éclat, et il l'appréhende, sans qu'une pareille entreprise vienne aux oreilles du Prince, à qui il dérobe sa marche, par la crainte qu'il a d'être découvert et de paroître ce qu'il est. Il en veut à la ligne collatérale, on

l'attaque plus impunément: il est la terreur des cousins et des cousines, du neveu et de la nièce, le flatteur et l'ami déclaré de tous les oncles qui ont fait fortune. Il se donne pour l'héritier légitime de tout vieillard qui meurt riche et sans enfans, et il faut que celui-ci le déshérite, s'il veut que ses parens recueillent sa succession: si Onuphre ne trouve pas jour à les en frustrer à fond, il leur en ôte du moins une bonne partie : une petite calomnie, moins que cela, une légère médisance lui suffit pour ce pieux dessein, c'est le talent qu'il possède à un plus haut degré de perfection: il se fait même souvent un point de conduite de ne le pas laisser inutile, il y a des gens, selon lui, qu'on est obligé en conscience de décrier, et ces gens sont ceux qu'il n'aime point, à qui il veut nuire, et dont il desire la dépouille. Il vient à ses fins sans se donner même la peine d'ouvrir la bouche: on lui parle d'Euxode, il sourit, ou il soupire: on l'interroge, on insiste, il ne répond rien, et il a raison, il en a assez dit.

Riez, Zélie (*), soyez badine et folâtre à votre ordinaire, qu'est devenue votre joie? Je suis riche, dites-vous, me voilà au large, et je commence à respirer riez plus haut, Zélie, éclatez, que sert une meilleure fortune, si elle amène avec soi le sérieux et la tristesse ? Imitez les Grands (*) Madame de Pontchartrain.

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qui sont nés dans le sein de l'opulence, ils rient quelquefois, ils cèdent à leur tempérament, suivez le vôtre: ne faites pas dire de vous qu'une nouvelle place ou que quelque mille livres de rente de plus ou de moins vous font passer d'une extrémité à l'autre. Je tiens, dites-vous, à la faveur par un endroit je m'en doutois Zélie; mais croyez-moi, ne laissez pas de rire, et même de me sourire en passant comme autrefois ne craignez rien, je n'en serai ni plus libre ni plus familier avec vous: je n'aurai pas une moindre opinion de vous et de votre poste, je croirai également que vous êtes riche et en faveur. Je suis dévote, ajoutez-vous: c'est assez, Zélie, et je dois me souvenir que ce n'est plus la sérénité et la joie que le sentiment d'une bonne conscience étale sur le visage, les passions tristes et austères ont pris le dessus et se répandent sur les dehors; elles mènent plus loin, et l'on ne s'étonne plus de voir que la fausse dévotion sache encore mieux que la beauté et la jeunesse rendre une femme fière et dédaigneuse.

L'on a été loin depuis un siècle dans les arts et dans les sciences, qui toutes ont été poussées à un grand point de raffinement, jusques à celle du salut que l'on a réduit en règle et en méthode, et augmentée de tout ce que l'esprit des hommes pouvoit inventer de plus beau et de plus sublime.

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