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sons, d'une ample récolte, d'une bonne vendange; il est curicux de fruits, vous n'articulez pas, vous ne vous faites pas entendre: parlez-lui de figues et de melons, dites que les poiriers rompent de fruit cette année, que les pêchers ont donné avec abondance, c'est pour lui un idiome inconnu, il s'attache aux seuls pruniers, il ne vous répond pas. Ne l'entretenez pas même de vos pruniers, il n'a de l'amour que pour une certaine espèce, toute autre que vous lui nommez le fait sourire et se moquer. Il vous mène à l'arbre, cueille artistement cette prune exquise, il l'ouvre, vous en donne une moitié, et prend l'autre : quelle chair, dit-il, goûtez-vous cela? cela est-il divin? voilà ce que vous ne trouverez pas ailleurs: et là-dessus ses narines s'enflent, il cache avec peine sa joie et sa vanité par quelques dehors de modestie. O l'homme divin en effet! homme qu'on ne peut jamais assez louer et admirer! homme dont il sera parlé dans plusieurs siècles! que je voie sa taille et son visage pendant qu'il vit, que j'observe les traits et la contenance d'un homme qui seul entre les mortels possède une telle prune!

Un troisième (*) que vous allez voir, vous parle des curieux ses confrères, et sur-tout de Diognete. Je l'admire, dit-il, et je le comprends moins que jamais: pensez-vous qu'il cherche à (*) Le père Ménestrier, jésuite.

s'instruire par les médailles, et qu'il les regarde comme des preuves parlantes de certains faits et des monumens fixes et indubitables de l'ancienne histoire? rien moins: vous croyez peut-être que toute la peine qu'il se donne pour recouvrer une tête, vient du plaisir qu'il se fait de ne voir pas une suite d'Empereurs interrompue, c'est encore moins: Diognete fait d'une médaille le frust, le feloux et la fleur de coin; il a une tablette dont toutes les places sont garnies, à l'exception d'une seule; ce vuide lui blesse la vue, et c'est précisément et à la lettre pour le remplir, qu'il emploie son bien et sa vie.

Vous voulez, ajoute Démocède (*), voir mes estampes, et bientôt il les étale et vous les montre. Vous en rencontrez une qui n'est ni noire, ni nette, ni dessinée, et d'ailleurs moins propre à être gardée dans un cabinet, qu'à tapisser un jour de fête le petit-pont ou la rue neuve: il convient qu'elle est mal gravée, plus mal dessinée, mais il assure qu'elle est d'un Italien qui a travaillé peu, qu'elle n'a presque pas été tirée, que c'est la seule qui soit en France de ce dessin, qu'il l'a achetée très-cher, et qu'il ne la changeroit pas pour ce qu'il a de meilleur. J'ai, continue-t-il, une sensible

(*) De Ganières, écuyer de Mlle de Guise: ou M. de Beringhem, premier écuyer du Roi.

affliction, et qui m'obligera de renoncer aux estampes pour le reste de mes jours: j'ai tout Calot, hormis une seule qui n'est pas à la vérité de ses bons ouvrages, au contraire, c'est un des moindres, mais qui m'acheveroit Calot? je travaille depuis vingt ans à recouvrer cette estampe, et je désespère enfin d'y réussir: cela est bien rude!

Tel autre fait la satyre de ces gens qui s'engagent par inquiétude ou par curiosité dans de longs voyages, qui ne font ni mémoires ni relations qui ne portent point de tablettes, qui vont pour voir, et qui ne voient pas, ou qui oublient ce qu'ils ont vu, qui desirent seulement de connoître de nouvelles tours ou de nouveaux clochers, et de passer des rivières qu'on n'appelle ni la Seine ni la Loire, qui sortent de leur patrie pour y retourner, qui aiment à être absens, qui veulent un jour être revenus de loin: et ce satyrique parle juste, et se fait écouter.

Mais quand il ajoute (*) que les livres en apprennent plus que les voyages, et qu'il m'a fait comprendre par ses discours qu'il a une bibliothèque, je souhaite de la voir: je vais trouver cet homme qui me reçoit dans une maison, où dès l'escalier je tombe en foiblesse d'une odeur de maroquin noir dont ses livres sont tous couverts.

(*) Moret, conseiller.

Il a beau me crier aux oreilles pour me ranimer, qu'ils sont dorés sur tranche, ornés de filets d'or, et de la bonne édition, me nommer les meilleurs l'un après l'autre, dire que sa galerie est remplie, à quelques endroits près qui sont peints, de manière qu'on les prend pour de vrais livres arrangés sur des tablettes, et que l'oeil s'y trompe; ajouter qu'il ne lit jamais, qu'il ne met pas le pied dans cette galerie, qu'il y viendra pour me faire plaisir; je le remercie de sa complaisance, et ne veut non plus que lui visiter sa tannerie, qu'il appelle bibliothèque.

Quelques-uns (*), par une intempérance de savoir, et par ne pouvoir se résoudre à renoncer à aucune sorte de connoissance, les embrassent toutes et n'en possèdent aucune. Ils aiment mieux savoir beaucoup, que de savoir bien, et être foibles et superficiels dans diverses sciences, que d'être sûrs et profonds dans une seule: ils trouvent en toutes rencontres celui qui est leur maître et qui les redresse: ils sont les dupes de leur vaine curiosité, et ne peuvent au plus, par de longs et pénibles efforts, que se tirer d'une ignorance crasse.

D'autres ont la clef des sciences, où ils n'entrent jamais ils passent leur vie à déchiffrer les langues orientales et les langues du nord, celles des deux

(*) Thevenot et la Croix..

Indes, celles des deux poles, et celle qui se parle dans la lune. Les idiomes les plus inutiles avec les caractères les plus bizarres et les plus magiques. sont précisément ce qui réveille leur passion et qui excite leur travail. Ils plaignent ceux qui bornent ingénument à savoir leur langue, ou tout au plus la Grecque et la Latine. Ces gens lisent toutes les histoires et ignorent l'histoire: ils parcourent tous les livres, et ne profitent d'aucun : c'est en eux une stérilité de faits et de principes qui ne peut être plus grande, mais à la vérité la meilleure récolte et la richesse la plus abondante de mots et de paroles qui puisse s'imaginer : ils plient sous le faix, leur mémoire en est accablée, pendant que leur esprit demeure vuide.

Un bourgeois (1) aime les bâtimens, il se fait bâtir un hôtel si beau, si riche et si orné, qu'il est inhabitable: le maître honteux de s'y loger, ne pouvant peut-être se résoudre à le louer à un prince ou à un homme d'affaires, se retire au galetas, où il achève sa vie pendant quç l'enfilade et les planchers de rapport sont en proie aux Anglois et aux Allemands qui voyagent, et qui viennent là du palais royal, du palais L... G... (2)

(1) Amelot. Sa maison étoit dans la vieille rue du Temple.

(2) L** G** Lesdiguières.

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