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dans tout l'homme l'emporte sur le souverain. Un prince délivroit l'Europe (1), se délivroit luimême d'un fatal ennemi, alloit jouir de la gloire d'avoir détruit un grand empire (2): il la néglige pour une guerre douteuse. Ceux qui sont nés (3) arbitres et médiateurs, temporisent; et lorsqu'ils pourroient avoir déjà employé utilement leur médiation, ils la promettent. O pâtres, continue Héraclite! ô rustres qui habitez sous le chaume et dans les cabanes! si les événemens 'ne vont point jusqu'à vous, si vous n'avez point le cœur percé par la malice des hommes, si on ne parle plus d'hommes dans vos contrées, mais seulement de renards et de loups cerviers, recevez-moi parmi vous à manger votre pain noir, et à boire l'eau de vos cîternes !

Petits hommes (4), hauts de six pieds, tout au plus de sept, qui vous enfermez aux foires comme géans, et comme des pièces rares dont il faut acheter la vue, dès que vous allez jusques à huit pieds, qui vous donnez sans pudeur de la hautesse et de l'éminence, qui est tout ce que l'on pourroit accorder à ces montagnes voisines du ciel, et qui voient les nuages se former au

(1) L'Empereur.

(2) Le Turc.

(3) Le pape Innocent XI. (4) Les Anglois.

dessous d'elles espèce d'animaux glorieux et superbes, qui méprisez toute autre espèce, qui ne faites pas même comparaison avec l'éléphant et la baleine, approchez, hommes, répondez un peu à Démocrite. Ne dites-vous pas en commun proverbe, des loups ravissans, des lions furieux malicieux comme un singe? et vous autres, qui êtes-vous ? J'entends corner sans cesse à mes oreilles, l'homme est un animal raisonnable : qui vous a passé cette définition? sont-ce les loups, les singes et les lions, ou si vous vous l'êtes accordée à vous-mêmes? C'est déjà une chose plaisante, que vous donniez aux animaux, vos confrères, ce qu'il y a de pire, pour prendre pour vous ce qu'il y a de meilleur; laissez-les un peu se définir eux-mêmes, et vous verrez comme ils s'oublieront, et comme vous serez traités. Je ne parle point, ô hommes, de vos légéretés, de vos folies et de vos caprices qui vous mettent au-dessous de la taupe et de la tortue, qui vont sagement leur petit train, et qui suivent, sans varier, l'instinct de leur nature: mais écoutez-moi un moment. Vous dites d'un tiercelet de faucon qui est fort léger, et qui fait une belle descente sur la perdrix, voilà un bon oiseau; et d'un lévrier qui prend un lièvre corps corps, c'est un bon lévrier: je consens aussi que vous disiez d'un homme qui court le sanglier, qui le met aux abois, qui l'atteint

à

et qui le perce: voilà un brave homme. Mais si vous voyez deux chiens qui s'aboient, qui s'affrontent, qui se mordent et se déchirent, vous dites: voilà de sots animaux, et vous prenez un bâton pour les séparer. Que si l'on vous disoit que tous les chats d'un grand pays se sont assemblés par milliers dans une plaine, et qu'après avoir miaulé tout leur saoul, ils se sont jettés avec fureur les uns sur les autres, et ont joué ensemble de la dent et de la griffe, que de cette mêlée il est demeuré de part et d'autre neuf à dix mille chats sur la place, qui ont infecté l'air à dix lieues de-là par leur puanteur, ne diriez-vous pas : voilà le plus abominable sabbat dont on ait jamais oui parler? Et si les loups en faisoient de même, quels hurlemens, quelle boucherie! Et si les uns ou les autres vous disoient qu'ils aiment la gloire, concluriez-vous de ce discours, qu'ils la mettent à se trouver à ce beau rendez-vous, à détruire ainsi et à anéantir leur propre espèce; ou après l'avoir conclu, ne ririez-vous pas de tout votre cœur de l'ingénuité de ces pauvres bêtes? Vous avez déjà, en animaux raisonnables, et pour vous distinguer de ceux qui ne se servent que de leurs dents et de leurs ongles, imaginé les lances, les piques, les dards, les sabres et les cimetères, et à mon gré fort judicieusement, car avec vos seules mains que pouviez-vous vous faire les uns aux autres

que vous arracher les cheveux, vous égratigner au visage, ou tout au plus vous arracher les yeux de la tête: au lieu que vous voilà munis d'instrumens commodes, qui vous servent à vous faire réciproquement de larges plaies d'où peut couler votre sang jusqu'à la dernière goutte, sans que vous puissiez craindre d'en échapper. Mais comme vous devenez d'année à autre plus raisonnables, vous avez bien enchéri sur cette vieille manière de vous exterminer: vous avez de petits globes (1) qui vous tuent tout d'un coup, s'ils peuvent seulement vous atteindre à la tête ou à la poitrine: vous en avez d'autres (2) plus pesans et plus massifs, qui vous coupent en deux parts ou qui vous éventrent, sans compter ceux (3) qui, tombant sur vos toits, enfoncent les planchers, vont du grenier à la cave, en enlèvent les voûtes, et font sauter en l'air avec vos maisons, vos femmes qui sont en couche, l'enfant et la nourrice; et c'est là encore où gît la gloire, elle aime le remue-ménage, et elle est personne d'un grand fracas. Vous avez d'ailleurs des armes défensives, et dans les bonnes règles vous devez en guerre être habillés de fer, ce qui est sans mentir

(1) Les balles de mousquet.
(2) Les boulets de canon.
(3) Les bombes.

une jolie parure, et qui me fait souvenir de ces quatre puces célèbres que montroit autrefois un charlatan subtil ouvrier, dans une fiole où il avoit trouvé le secret de les faire vivre: il leur avoit mis à chacune une salade en tête, leur avoit passé un corps de cuirasse, mis des brassards, des genouillères, la lance sur la cuisse, rien ne leur manquoit, et en cet équipage elles alloient par sauts et par bonds dans leur bouteille. Feignez un homme de la taille du mont Athos, pourquoi non, une ame seroit-elle embarrassée d'animer un tel corps? elle en seroit plus au large: si cet homme avoit la vue assez subtile pour vous découvrir quelque part sur la terre avec vos armes offensives et défensives, que croyez-vous qu'il penseroit de petits marmousets ainsi équipés, et de ce que vous appellez guerre, cavalerie, infanterie, un mémorable siège, une fameuse journée? n'entendrai - je donc plus bourdonner d'autre chose parmi vous ? le monde ne se divise-t-il plus qu'en régimens et en compagnies ? tout est-il devenu bataillon ou escadron? Il a pris une ville, il en a pris une seconde, puis une troisième; il a gagné une bataille, deux batailles il chasse l'ennemi, il vainc sur la mer, il vainc sur terre; est-ce de quelques-uns de vous autres, est-ce d'un géant, d'un Athos que vous me parlez? Vous avez sur-tout un homme pâle (*) (*) Le prince d'Orange.

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