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d'années, il est encore dans toute sa fraîcheur, et ne fait presque que commencer : nous-mêmes nous touchons aux premiers hommes et aux patriarches, et qui pourra ne nous pas confondre avec eux dans des siècles si reculés ? Mais si l'on juge par le passé de l'avenir, quelles choses nouvelles nous sont inconnues dans les arts, dans les sciences, dans la nature, et j'ose dire dans l'histoire! quelles découvertes ne fera-t-on point! quelles différentes révolutions ne doivent pas arriver sur toute la face de la terre, dans les états et dans les empires! quelle ignorance est la nôtre ! et quelle légère expérience que celle de six ou sept mille ans !

Il n'y a point de chemin trop long à qui marche lentement et sans se presser : il n'y a point d'avantages trop éloignés à qui s'y prépare par la patience.

Ne faire sa cour à personne, ni attendre de quelqu'un qu'il vous fasse la sienne, douce situation, âge d'or, état de l'homme le plus naturel!

Le monde est pour ceux qui suivent les cours ou qui peuplent les villes: la nature n'est que pour ceux qui habitent la campagne, eux seuls vivent, eux seuls du moins connoissent qu'ils vivent.

Pourquoi me faire froid, et vous plaindre de ce qui m'est échappé sur quelques jeunes gens qui peuplent les cours? êtes-vous vicieux, ô Thrasille? je ne le savois pas, et vous me l'apprenez: ce que je sais est que vous n'êtes plus jeune.

Et vous qui voulez être offensé personnellement de ce que j'ai dit de quelques Grands, ne criez-vous point de la blessure d'un autre? êtesvous dédaigneux, mal-faisant, mauvais plaisant, flatteur, hypocrite? je l'ignorois, et ne pensois pas à vous, j'ai parlé des Grands.

L'esprit de modération et une certaine sagesse dans la conduite, laissent les hommes dans l'obscurité: il leur faut de grandes vertus pour être connus et admirés, ou peut-être de grands vices. Les hommes sur la conduite des grands et des petits indifféremment, sont prévenus, charmés enlevés la réussite il s'en faut peu que le crime heureux ne soit loué comme la vertu même, et que le bonheur ne tienne lieu de toutes les vertus. C'est un noir attentat, c'est une sale et odieuse entreprise, que celle que le succès ne sauroit justifier.

par

Les hommes séduits par de belles apparences et de spécieux prétextes, goûtent aisément un projet d'ambition que quelques grands ont médité, ils en parlent avec intérêt, il leur plaît même par la hardiesse ou par la nouveauté que l'on lui impute, ils y sont déjà accoutumés, et n'en attendent que le succès, lorsque venant au contraire à avorter, ils décident avec confiance et sans nulle crainte de se tromper, qu'il étoit téméraire et ne pouvoit

réussir..

Il y a de tels projets (1), d'un si grand éclat et d'une conséquence si vaste, qui font parler les hommes si long-temps, qui font tant espérer, ou tant craindre, selon les divers intérêts des peuples, que toute la gloire et toute la fortune. d'un homme y sont commises. Il ne peut pas avoir paru sur la scène avec un si bel appareil, pour se retirer sans rien dire, quelques affreux périls qu'il commence à prévoir dans la suite de son entreprise, il faut qu'il l'entame, le moindre mal pour lui, est de la manquer.

Dans un méchant homme il n'y a pas de quoi faire un grand homme, Louez ses vues et ses projets, admirez sa conduite, exagerez son habileté à se servir des moyens les plus propres et les plus courts pour parvenir à ses fins si ses fins sont mauvaises, la prudence n'y a aucune part; et où manque la prudence, trouvez la grandeur si vous le pouvez.

Un ennemi est mort (2), qui étoit à la tête d'une armée formidable, destinée à passer le Rhin: il savoit la guerre, et son expérience pouvoit être secondée de la fortune, quels feux de joie

(1) Guillaume de Nassau, prince d'Orange, qui entreprit de passer en Angleterre, d'où il a chassé le Roi Jacques II, son beau-père. Il étoit né le 13 novembre 1650.

(2) Le duc Charles de Lorraine, beau-frère de l'empereur Léopold premier.

a-t-on vus, quelle fête publique? Il y a des hommes au contraire naturellement odieux, et dont l'aversion devient populaire : ce n'est point précisément par les progrès qu'ils font, ni par la crainte de ceux qu'ils peuvent faire, que la voix du peuple (1) éclate à leur mort, et que tout tressaille, jusqu'aux enfans, dès que l'on murmure dans les places, que la terre enfin en est délivrée.

O temps! ô moeurs! s'écrie Héraclite, ô malheureux siècle! siècle rempli de mauvais exemples, où la vertu souffre, où le crime domine, où il triomphe. Je veux être un Lycaon, un Egiste, l'occasion ne peut être meilleure, ni les conjonctures plus favorables, si je desire du moins de fleurir et de prospérer. Un homme dit (2), je passerai la mer, je dépouillerai mon père de son patrimoine, je le chasserai lui, sa femme, son héritier, de ses terres et de ses états, et comme il l'a dit, il l'a fait. Ce qu'il devoit appréhender, c'étoit le ressentiment de plusieurs Rois qu'il outrage en la personne d'un seul roi: mais ils tiennent pour lui; ils lui ont presque dit, passez la mer, dépouillez votre père (3), montrez à tout l'Univers qu'on

(1) Le faux bruit de la mort du prince d'Orange, qu'on croyoit avoir été tué au combat de la Boyne. (2) Le prince d'Orange.

(3) Le roi Jacques II.

peut chasser un Roi de son royaume, ainsi qu'un petit seigneur de son château, ou un fermier de sa métairie: qu'il n'y ait plus de différence entre de simples particuliers et nous, nous sommes las de ces distinctions apprenez au monde que ces peuples que Dieu a mis sous nos pieds, peuvent nous abandonner, nous trahir, nous livrer, se livrer eux-mêmes à un étranger; et qu'ils ont moins à craindre de nous, que nous d'eux, et de leur puissance. Qui pourroit voir des choses si tristes avec des yeux secs et une ame tranquille! Il n'y a point de charges qui n'aient leurs privilèges: il n'y a aucun titulaire qui ne parle, qui ne plaide, qui ne s'agite pour les défendre: la dignité royale seule n'a plus de privilèges, les Rois eux-mêmes y ont renoncé. Un seul toujours bon (*) et magnanime ouvre ses bras à une famille malheureuse. Tous les autres se liguent comme pour se venger de lui, et de l'appui qu'il donne à une cause qui lui est commune: l'esprit de pique et de jalousie prévaut chez eux à l'intérêt de l'honneur, de la religion, et de leur état; est-ce assez, à leur intérêt personnel et domestique; il y va, je ne dis pas de leur élection, mais de leur succession, de leurs droits comme héréditaires, enfin

(*) Louis XIV, qui donna retraite à Jacques II et à toute sa famille, après qu'il eut été obligé de se retirer d'Angleterre.

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