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figure élégante; mais, à mesure que je m'éloignerois de la maison, je serois enchanté de voir disparoître l'art par des nuances insensibles, et de ne trouver bientôt que la nature dans un négligé galant. Que ne peuton même se méprendre sur les limites d'un jardin, là où il se confond peu-à-peu dans la campagne? il n'en seroit, à mon gré, séparé que par des massifs bas d'arbrisseaux. Point de murs! Eh! la reconnoissance veillera pour la bonté.

On sent que les bosquets se rangent naturellement aux cotés ou bien autour du parterre, et qu'on doit rencontrer ensuite, je ne sais quoi, qui ne soit ni parterre ni jardin; par exemple, un terrain spacieux imitant une campagne cultivée, semblable à celles où l'industrie d'un peuple aisé a multiplié, embelli et varié les fruits de la terre, où le plaisir a semé des fleurs et s'est ménagé quelques jolis réduits : je m'y promenerai à travers les rubans citrins de la navette et les bandes azurées du lin, et j'y verrai la pourpre des pavots se déployer sur les masses ondées du froment. Aux confins de ces champs, je jetterois çà et là quelques bouquets d'arbres; leur intervalle me découvriroit des sites choisis; en dela je ferois régner une pelouse agreste où des fleurs cham pêtres croîtroient autour de buissons épars: heureux qui pourra recueillir dans cet espace un ruisseau fuyanť dans une belle prairie sous les aulries cintrés; une montagne où l'on vit briller dans l'ombre des bois les nappes argentées des cascades, un rocher d'où jailliroit en gerbes le crystal des fontaines parmi l'émail des arbustes Heuris!

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Que penser des ruines que les Anglais mettent en per spective, des tombeaux, des urnes funéraires qu tremêlent avec des cyprès? Un objet sombre ne peut pas déplaire dans un paysage de Salvator; on est trop loin du vrai pour qu'il attriste. Mais quoi! la promenade est-elle faite pour appeler la mélancolie? Oh! j'aimerois bien mieux lever les branches du lierre de dessus un fût de colonne renversé, pour y lire une ins cription touchante! Comme mon coeur s'épanouiroit à la vue d'une humble cabane remplie par des heureux de ma façon, qui bêcheroient gaiement leur petit clos, er

que

dont les troupeaux bondiroient à l'entour! Avec quelle extase j'écouterais leurs chants dans le silence d'une belle soirée ! car est-il rien de plus doux que les chants du bonheur qu'on a donné?

Même par-delà vos enceintes, laissez échapper quelques coups de pinceau; qu'un coteau vous paroisse trop nud, dispersez quelques quelques haliers sur sa crête, dessinez les prairies avec des frênes et des peupliers, et que le platane se mire dans les eaux. Offrez sur les chemins un ombrage salutaire aux passans, qu'ils puissent cueillir dans les haies la groseille et la cerise, et qu'ils y ramassent un jour des fleurs pour les répandre sur votre tombe avec leurs larmes."

Les endroits les plus réculés de mes jardins me rameneroient au milieu par des voies commodes : nulle part je ne serois arrêté, et, lorsque le soleil deviendroit trop actif, je m'enfuirois par la ligne la plus courte vers l'ombre de mes bosquets... Mais j'allois oublier ceux que l'industrie attache comme des festons sur le cercle l'année; chacun réunira ce que chaque mois, chaque saison produit de richesses végétales; je mettrai à contribution l'Amérique et l'Orient, et je commencerai l'année comme la nature, au moment qu'elle se ranime au souffle du bélier.

Après les brumes et les glaces, on jouira plus agréablement des premiers regards du soleil, s'ils éclairent dans un lieu choisi les premières fleurs qu'ils font éclorre, et les plus beaux d'entre les feuillages respectés par l'hiver. Que les verges purpurines de la Daphné s'y peignent sur les franges obscures du lauréole, et que l'or påle du cornouiller ressorte sur le verd bleuâtre des pins. Faites-y éclater les perce-neiges autour des buissons de buis éparpillez-y les prime-veres et les hépatiques; que je puisse y guetter l'abeille qui viendra bientôt bourdonner parmi les chattons des saules, y suivre de l'œil le premier papillon, y épier les premiers accents de la grive, y ouvrir mon ame aux premiers rayons de l'espérance, et respirer enfin, avec une joie douce et profonde, le souffle créateur qui va ressusciter la na

ture.

Placez auprès de ces bosquets, l'arc triomphal du

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mois d'avril; sa jeune feuillée paroitra plus fraiche encore, en l'opposant aux nuances graves des arbres toujours verds; que le doux mélese s'y élève en pyramide, et me rejouisse par l'aménité de ses nouveaux bourgeons parsemés de glands de corail: que le peuplier de la Louisiane y déploie ses feuilles transparentes, et exale l'odeur salutaire du baume dont elles sont glacées. Avec quel plaisir j'y verrois se calquer sur un fond verd, les cimes blanches des pruniers de Virginie, terrompus par le rose pâle des amandiers, et le rose animé des pêchers! Les nattes de la terre verdoient avant ses lambris; elles sont les premières caressées par les vents doux, et par les aîles agiles des hirondelles qu'ils ramènent; déjà dans ce mois un émail plus varié les décore. Que je me plairois à voir la pâquerette entourer le pied des arbres, les oreilles-d'ours disputer aux primevères leur éclat, à la violette son parfum, et la jacynthe expirer sur le sein entr'ouvert du narcisse! Dans ce lieu préféré, la parure légère du printemps flotteroit déjà dans un air adouci, lorsque le sombre manteau de l'hiver enséveliroit encore les campagnes : c'est-là que j'aimerois à entrelacer les jonquilles dans les tresses de la jeune Amynte; c'est-là aussi que je viendrois souvent attendre le rossignol qu'inviteroit une verdure si précoce. Quel charme de le voir un matin secouer la rosée en se balançant sur un frêle rameau, et d'entendre ses premiers soupirs après un si long silence, tandis que le chardonneret chante sur la flêche d'un arbre comme un bouquet harmonieux, et que l'alouette éprise d'une décoration si gaie, s'arrête au-dessus dans les airs, en battant de l'aile, et précipite les cadences de sa voix perlée.

Les mois de printemps sont, comme les Graces, unis par de fraîches guirlandes; mais c'est le mois de mai qui porte la couronne de la jeune année, et le dais nuptial de l'hymen de la nature; c'est lui sur qui l'aurore jette ses plus tendres regards, et répand ses pleurs les plus délicieux ; il éveille l'amour par une vive harmonie, et le conduit légèrement sur les traces de la beauté qui fuit pour être atteinte : quelquefois il l'enivre d'une rosée odorante, et lui offre l'asyle des berceaux

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fleuris, où un zéphir langoureux le berce doucement, l'endort sur le sein de la volupté contente, et le couvre des fleurs qu'il effeuille. Où fixer les yeux, lorsqu'ils errent éblouis et incertains sur cette foule émaillée ? Quelle sensatiou choisir, quand elles se confondent, se pressent et préviennent la pensée ? Peindrai-je les grappes citrines de ces cytises qui badinent autour des aigrettes vermeilles dont ces gainiers sont parés? ou bien dois-je admirer davantage les tendres épis des lilas, et les pétales légers des pommiers qui rougissent comme l'innocence, lorsqu'elle accorde un souris tendre ? Combien la surprise ajoute au plaisir ! Ce temple de Flore est environné de verdure; je l'apperçois et ne l'avois pas soupçonné il est terminé par un théâtre en architecture végétale, dont le fond me découvre une perspective champêtre à travers un portique de chevrefeuille. Oh! quelles délices d'y jouer le Devin du Village, une de ces belles soirées, où un jour tendre caresse la vue, où l'on entend au loin le coucou et la tourterelle, où les vapeurs odorantes ondoient mollement dans un air tiède, où le rossignol roule mieux les flots de sa voix, et lorsque le soleil qui baisse pénetre de ses rayons rasans les pétales diaphanes, et qu'un or mobile se joue et se fond dans toutes les couleurs.

Plusieurs arbustes encore, mais presque plus d'arbres fleuris, déjà des fruits, un feuillage plus riche, tels sont les dons du mois suivant. Au centre du bosquee qui les réunit, s'élèvent les arbres dont le vêtement est le plus étoffé; à peine un jour adouci peut-il pénétrer et égayer leurs ombres : plus loin je surprends la fauvette suspendue aux bouquets des cerises, où brillent le jais et le rubis: ici les fraisiers embellissent et embaument la terre: là se décèle par son parfum le framboisier caché sous l'ombrage, et la rose s'incline sur le groseiller.

Aux premières heures du monde sa parure étoit somp. tueuse, mais il lui manquoit encore les graces touchantes; le plaisir descendit du ciel sur des flots lumineux, et vint y répandre les charmes ; il vit, dit-on, s'épanouir la rose sous ses premiers regards; aussi il en couronne le front du matin, il en colore les lys de la

beauté, et quand il inspire l'amant de la nature, il ne lui permet pas de refuser son hommage à l'arbuste adoré qui la porte : il l'a varié par une culture attentive; ses fleurs différentes font paroître tour-à-tour ces nuances vives ou tendres qui passent comme des éclairs sur les joues délicates des nymphes et les odeurs qu'elles exhalent, répondent à toutes les sensations de la volupté.

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Gardez-vous d'enfermer d'un odieux treillage cette reine du printemps, et de l'assujétir au ciseau dans des figures symmetriques. Ah! qu'elle prenne plutôt l'essor du sein de la verte ramée; car jusques dans les sentiers jonchés de fleurs, l'ennui marche sur les pas de l'uniformité les Graces fuient devant la gêne. Un massif de roses étendu et isolé étonne plus qu'il n'attache ; faute d'ombres et de fonds, les couleurs absorbées par une clarté trop vive, voilées par cette gaze blanchâtre qui flotte daus le vague de l'air perdent leur plus grand éclat. Voyez au contraire ces grouppes variés de rosiers se peindre sur un lambris de feuillages: quelle fraîcheur ! c'est la magie du clair obscur.

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Nombre d'arbrisseaux ornent encore ce mois, qui se préfèrent à ceux-ci par leur forme élégante et leur taille légère; mais leurs couleurs modestes craignent l'orgueil de la rose je les aimerois assez pour les éloigner d'elle. Là se distingueroit ce cerisier, dont les foibles rameaux laissent tomber des grappes d'un blanc pur; les épis violets de l'amorpha semés de paillettes d'or, s'agiteroient au-dessus des spiroeas variés; les plumets éclatans des chionanthes; les tuyaux incarnats de l'azaléa ; les corymbes des ledons allumés de deux rouges; les trompes des chevrefeuilles qu'anime un bel aurore; les faisceaux jonquilles de genestrolles brigueroient tour à-tour les suffrages: les mignardises et les juliennes, semées sur les bords, embaumeroient la rosée! avec quelle volupté je respirerois cet encens de la nature! Hélas! Je le vais perdre; il est près de s'envoler sur les ailes du printemps: la saison qui suit, ne nourrit qu'en petit nombre les plantes parfumées; si elle accorde encore des arbres fleuris, ce n'est que d'une maiu économe;

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