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de ses parties, par exemple celles du cerveau, ne pourraient-elles pas concourir à former ces sortes de mouvements que nous appelons des pensées? Je suis, dites-vous, une chose qui pense mais que savez-vous si vous n'êtes pas aussi un mouvement corporel ou un corps en mouvement?

Je réponds, 1° qu'à la suite de la démonstration que j'ai donnée de la distinction réelle entre le corps et l'esprit, il suffit d'ajouter: Tout ce qui peut penser est esprit, ou s'appelle esprit: mais puisque le corps et l'esprit sont réellement distincts, nul corps n'est esprit donc nul corps ne peut penser.

Et certes, je ne vois rien en cela que vous puissiez nier car nieriez-vous qu'il suffit que nous concevions clairement une chose sans une autre, pour savoir qu'elles sont réellement distinctes? Donnez-nous donc quelque signe plus certain de la distinction réelle, si cependant on en peut donner quelqu'un. Car, que direz-vous? sera-ce que ces choses-là sont réellement distinctes, dont chacune peut exister sans l'autre? Mais, encore une fois, je vous demanderai d'où vous connaissez qu'une chose peut exister sans une autre? car, afin que ce soit un signe de distinction, il est nécessaire qu'il soit connu.

Peut-être direz-vous que les sens vous le font connaître, parce que vous voyez une chose en l'absence de l'autre, ou que vous la touchez, etc. Mais la foi des sens est plus incertaine que celle de l'entendement. Souvenez-vous que nous avons prouvé, à la fin de la seconde Méditation, que les corps mêmes ne sont pas proprement connus par les sens, mais par le seul entendement............

Je réponds 2° que s'il y en a qui nient qu'ils aient des idées distinctes de l'esprit et du corps, je ne puis autre chose que les prier de considérer assez attentivement les choses qui sont contenues dans la seconde Méditation, et de remarquer que l'opinion qu'ils ont, que les parties du cerveau concourent avec l'esprit pour former nos pensées, n'est fondée sur aucune raison positive, mais seulement sur ce qu'ils n'ont jamais expérimenté d'avoir été sans corps, et qu'assez souvent ils ont été troublés par lui dans leurs opérations; et c'est comme si quelqu'un, de ce que, dès son enfance, il aurait eu des fers aux pieds, estimait que ces fers fissent une partie de son corps, et qu'ils lui fussent nécessaires pour marcher.

IV.-Autre preuve de la simplicité de l'âme. (Médit. vi, p. 91. )

Il y a une grande différence entre l'esprit et le corps, en ce que le corps, de sa nature, est toujours divisible, et que l'esprit est entièrement indivisible. En effet, quand je le considère, c'est-à-dire quand je me considère moi-même, en tant que je suis seulement une chose qui pense, je ne puis distinguer en moi aucunes parties, mais je connais et conçois fort clairement que je suis une chose absolument une et entière. Et quoique tout l'esprit semble être uni à tout le corps, cepen

dant lorsqu'un pied, ou un bras, ou quelque autre partie vient à en être séparée, je connais fort bien que rien pour cela n'a été retranché de mon esprit; et les facultés de vouloir, de sentir, de concevoir, etc., ne peuvent pas non plus être dites proprement ses parties car c'est le même esprit qui s'emploie tout entier à vouloir, et tout entier à sentir et à concevoir, etc. Mais c'est tout le contraire dans les choses corporelles ou étendues car je n'en puis imaginer aucune, quelque petite qu'elle soit, que je ne mette aisément en pièces par ma pensée, ou que mon esprit ne divise fort facilement en plusieurs parties, et par conséquent que je ne connaisse être divisible, ce qui suffirait pour m'apprendre que l'esprit ou l'âme de l'homme est entièrement différente du corps, si je ne l'avais déjà d'ailleurs assez appris. V.-Comment Descartes s'est confirmé dans la connaissance de la vérité précédente.

(Médit., Rép. aux sixièmes obj., p. 546.)

Lorsque j'eus la première fois conclu, en conséquence des raisons qui sont contenues dans mes Méditations, que l'esprit humain est réellement distingué du corps, et qu'il est même plus aisé à connaître que lui....., je confesse que cependant je ne fus pas pour cela pleinement persuadé, et qu'il m'arriva presque la même chose qu'aux astronomes, qui, après avoir été convaincus par de puissantes raisons, que le soleil est plusieurs fois plus grand que toute la terre, ne sauraient pourtant s'empêcher de juger qu'il est plus petit, lorsqu'ils viennent à le regarder. Mais après que j'eus passé plus avant, et qu'appuyé sur les mêmes principes, j'eus porté ma considération sur les choses physiques ou naturelles, examinant premièrement les notions ou les idées que je trouvais en moi de chaque chose, puis les distinguant soigneusement les unes des autres, pour faire que mes jugements eussent un entier rapport avec elles, je reconnus qu'il n'y avait rien qui appartint à la nature ou à l'essence du corps, sinon qu'il est une substance étendue en longueur, largeur et profondeur, capable de plusieurs figures et de divers mouvements, et que ses figures et ses mouvements n'étaient autre chose que des modes, qui ne peuvent jamais être sans lui: mais que les couleurs, les odeurs, les saveurs, et autres choses semblables, n'étaient rien que des sentiments, qui n'ont aucune existence hors de ma pensée, et qui ne sont pas moins différents des corps, que la douleur diffère de la figure ou du mouvement de la flèche qui la cause; et enfin que la pesanteur, la dureté, la vertu d'échauffer, d'attirer, de purger, et toutes les autres qualités que nous remarquons dans les corps, consistent seulement dans le mouvement ou dans sa privation, et dans la configuration et arrangement des parties.

Toutes ces opinions étant fort différentes de celles que j'avais eues auparavant touchant les mêmes choses, je commençai ensuite à considérer pourquoi j'en avais eu

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d'autres ci-devant, et je trouvai que la principale raison était que, dès ma jeunesse, j'avais fait plusieurs jugements touchant les choses naturelles (comme celles qui devaient beaucoup contribuer à la conservation de ma vie, dans laquelle je ne faisais que d'entrer), et que j'avais toujours retenu depuis les mémes opinions que j'en avais eues autrefois. Et parce que mon esprit ne se servait pas bien en ce bas âge des organes du corps, et qu'y étant trop attaché, il ne pensait rien sans eux, aussi n'apercevait-il que confusément toutes choses. Et quoiqu'il eût connaissance de sa propre nature et qu'il n'eût pas moins en soi l'idée de la pensée que celle de l'étendue, néanmoins, parce qu'il ne concevait rien de purement intellectuel qu'il n'imaginât aussi en même temps quelque chose de corporel, il prenait l'un et l'autre pour une même chose, et rapportait au corps toutes les notions qu'il avait des choses intellectuel les. Et parce que je ne m'étais jamais depuis délivré de ces préjugés, il n'y avait rien que je connusse assez distinctement, et que je ne supposasse être corporel....

Après que j'eus considéré toutes ces choses et que j'eus soigneusement distingué l'idée de l'esprit humain des idées du corps et du mouvement corporel, et que je me fus aperçu que toutes les autres idées que j'avais eues auparavant, soit des qualités réelles, soit des formes substantielles, avaient été par moi composées ou forgées par mon esprit, je n'eus pas beaucoup de peine à me défaire de tous les doutes qui sont ici proposés.

Car, premièrement, je ne doutai plus que je n'eusse une claire idée de mon propre esprit, duquel je ne pouvais pas nier que je n'eusse connaissance, puisqu'il m'était si présent et si conjoint. Je ne mis plus aussi en doute que cette idée ne fût entièrement difterente de celles de toutes les autres choses, et qu'elle n'eût rien en soi de ce qui appartient au corps, parce qu'ayant recherché très-soigneusement les vraies idées des autres choses, et pensant même les connaître toutes en général, je ne trouvais rien en elles qui ne fût en tout différent de l'idée de mon esprit. Et je voyais qu'il y avait une bien plus grande différence entre ces choses (qui, quoiqu'elles fussent tout à la fois en ma pensée, me paraissaient néanmoins distinctes, et différentes comme sont l'esprit et le corps), qu'entre celles dont nous pouvons, à la vérité, avoir des pensées séparées, en nous arrêtant à l'une sans penser à l'autre, mais qui ne sont jamais ensemble en notre esprit, sans que nous ne voyions qu'elles ne peuvent pas subsister séparément. Ainsi, par exemple, l'immensité de Dieu peut bien être conçue, sans que nous pensions à sa justice; mais on ne peut pas les avoir toutes deux présentes à son esprit, et croire que Dieu puisse être immense, sans être juste. Et l'on peut aussi fort bien connaître l'existence de Dieu, sans que l'on sache rien des personnes de la trèssainte Trinité (qu'aucun esprit ne saurait bien entendre, s'il n'est éclairé des lumières

Enfin, je n'appréhendai plus de m'être peut-être laissé surprendre et prévenir par mon analyse, lorsque voyant qu'il y a des corps qui ne pensent point, ou plutôt concevant très-clairement que certains corps peuvent être sans la pensée, j'ai mieux aimé dire que la pensée n'appartient point à la nature du corps, que de conclure qu'elle en est un mode, sur ce que j'en voyais d'autres (savoir ceux des hommes) qui pensent: car, à dire vrai, je n'ai jamais vu ní compris que les corps humains eussent des pensées, mais seulement que ce sont les mêmes hommes qui pensent, et qui ont des corps. Et j'ai reconnu que cela se fait par la composition et l'assemblage de la substance qui pense, avec la corporelle, parce que, considérant séparément la nature de la substance qui pense, je n'ai rien remarqué en elle qui pût appar tenir au corps, et que je n'ai rien trouvé dans la nature du corps, considérée toute seule, qui pût appartenir à la pensée. Mais au contraire, examinant tous les modes tant du corps que de l'esprit, je n'en ai pas remarqué un, dont le concept ne dépendit entièrement du concept même de la chose dont il est le mode. Aussi de ce que nous voyons souvent deux choses jointes ensemble, on ne peut pas pour cela inférer qu'elles ne sont qu'une même chose; mais de ce que nous voyons quelquefois l'une de ces choses sans l'autre, on peut fort bien conclure qu'elles sont diverses.

Et il ne faut pas que la puissance de Dieu nous empêche de tirer cette conséquence: car il n'y a pas moins de répugnance à penser que des choses que nous concevons clairement et distinctement, comme deux choses diverses, soient faites une même chose en essence, et sans aucune composition, que de penser qu'on puisse séparer ce qui n'est aucunement distinct. Et par conséquent, si Dieu a mis en certains corps la faculté de penser (comme en effet il l'a mise en ceux des hommes), il peut, quand il voudra, l'en séparer; et ainsi elle ne laisse pas d'être réellement distincte de ces corps.

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VI. Défense de l'immatérialité de l'ame contre diverses objections (Médit., Rép. aux sixièmes object., page 525).

On m'objecte que lorsque je dis: Je pense, donc je suis, on pourrait me répondre: Vous vous trompez, vous ne pensez pas, vous êtes seulement mû, et vous n'êtes autre chose qu'un mouvement corporel, personne n'ayant encore pu jusqu'ici comprendre le raisonne ment par lequel vous prétendez avoir démontré qu'il n'y a point de mouvement corporel qui puisse légitimement être appelé du nom de pensée.

Je réponds qu'il est absolument impossible que celui qui, d'un côté, sait qu'il pense, el qui d'ailleurs connaît ce que c'est que d'être

mů, puisse jamais croire qu'il se trompe, et qu'en effet il ne pense point, mais qu'il est seulement mû car ayant une idée ou une notion tout autre de la pensée que du mouvement corporel, il faut nécessairement qu'il conçoive l'un comme différent de l'autre ; quoique pour s'être trop accoutumé à attribuer à un même sujet plusieurs propriétés différentes, et qui n'ont entre elles aucune affinité, il puisse se faire qu'il révoque en doute, ou même qu'il assure, que c'est en lui la même chose qui pense et qui est mue. Or il faut remarquer que les choses dont nous avons différentes idées peuvent être prises en deux façons pour une seule et même chose, c'est-à-dire ou en unité et identité de nature ou seulement en unité de composition. Ainsi, par exemple, il est bien vrai que l'idée de la figure n'est pas la même que celle du mouvement; que l'action par laquelle j'entends est conçue sous une autre idée que celle par laquelle je veux; que la chair et les os présentent des idées différentes; et que l'idée de la pensée est toute autre que celle de l'étendue. Et néanmoins nous concevons fort bien que la même substance, à qui la figure convient, est aussi capable de mouvement, de sorte qu'être figuré et être mobile, n'est qu'une même chose en unité de nature; comme aussi ce n'est qu'une même chose en unité de nature, de vouloir et d'entendre; mais il n'en est pas ainsi de la substance que nous considérons sous la forme d'un os, et de celle que nous considérons sous la forme de chair; ce qui fait que nous ne pouvons pas les prendre pour une même chose en unité de nature, mais seulement en unité de composition en tant que c'est un même animal qui a de la chair et des os.

Maintenant la question est de savoir si Rous concevons que la chose qui pense, et celle qui est étendue, soient une même chose en unité de nature; en sorte que nous trouvions qu'entre la pensée et l'étendue, il y ait une connexion et affinité pareille à celle que nous remarquons entre le mouvement et la figure, l'action de l'entendement et celle de la volonté; ou plutôt si elles ne sont pas appelées une en unité de composition, en tant qu'elles se rencontrent toutes deux dans un même animal homme, comme des os et de la chair dans un même animal; et pour moi c'est là mon sentiment : car la distinction ou diversité que je remarque entre la nature d'une chose étendue et celle d'une chose qui perse, ne me paraît pas moindre que celle qui est entre des os et de la chair.

Mais parce qu'en cet endroit on se sert d'autorités pour me combattre, je me trouve obligé, pour empêcher qu'elles ne portent aucun préjudice à la vérité, de répondre à ce qu'on m'objecte, (que personne n'a encore pu comprendre ma démonstration) que quoi qu'il y en ait fort peu qui l'aient soigneusement examinée, il s'en trouve néanmoins quelques-uns qui sont persuadés qu'ils l'entendent, et qui s'en tiennent entièrement Convaincus. Et comme on doit ajouter plus de foi à un seul témoin qui, après avoir OEUVRES COMPL. DE M. EMERY. I,

voyagé en Amérique, nous dit qu'il a vu des Antipodes, qu'à mille autres qui ont nié cidevant qu'il y en eût, sans en avoir d'autre raison, sinon qu'ils ne le savaient pas; de même ceux qui pèsent comme il faut la valeur des raisons, doivent faire plus d'état de l'autorité d'un seul homme qui dit entendre fort bien une démonstration, que de celle de mille autres qui disent sans raison qu'elle n'a pu encore être comprise de personne car quoiqu'ils ne l'entendent point, cela ne fait pas que d'autres ne la puissent entendre; et parce qu'en inférant l'un de l'autre, ils font voir qu'ils ne sont pas exacts dans leurs raisonnements, il semble que leur autorité ne doive pas être beaucoup considérée.

Enfin, à la question qu'on me propose en cet endroit, savoir si j'ai tellement coupé et divisé par le moyen de mon analyse tous les mouvements de ma matière subtile; que non seulement je sois assuré, mais même que je puisse faire connaître à des personnes trèsattentives, et qui pensent être assez clairvoyantes, qu'il y a de la répugnance que nos pensées soient répandues dans des mouvements corporels, c'est-à-dire que nos pensées ne soient autre chose que des mouvements corporels ; je réponds que pour mon particulier j'en suis très-certain, mais que je ne me promets pas pour cela de le pouvoir persua der aux autres, quelque attention qu'ils y apportent, et quelque capacité qu'ils pensent avoir, au moins tandis qu'ils n'appliqueront leur esprit qu'aux choses qui sont seulement imaginables, et non point à celles qui sont purement intelligibles; comme il est aisé de voir que font ceux qui se sont imaginés que la distinction ou la différence qui est entre la pensée et le mouvement, se doit connaître par la dissection de quelque matière subtile: car cette différence ne peut être connue, que de ce que l'idée d'une chose qui pense, et celle d'une chose étendue ou mobile, sont entièrement diverses, et mutuellement indépendantes l'une de l'autre; et qu'il répugne que des choses que nous concevons clairement et distinctement être diverses et indépendantes, ne puissent pas être séparées, au moins par la toute-puissance de Dieu de sorte que, tout autant de fois que nous les rencontrons ensemble dans un même sujet, comme la pensée et le mouvement corporel dans un même homme, nous ne devons pas pour cela estimer qu'elles soient une même chose en unité de nature, mais seulement en unité de composition.

:

On m'objecte encore que quelques pères de l'Eglise ont cru avec les platoniciens que les anges étaient corporels; d'où vient que le concile de Latran a défini qu'on pouvait les peindre; et qu'ils ont eu la même pensée de l'âme raisonnable, que quelques-uns d'entre eux ont soutenu venir de père à fils; et néanmoins ils ont tous dit que les anges et les âmes pensaient..... Les singes, les chiens et les autres animaux n'ont-ils pas aussi des pensées (page 512)?

Je réponds que ce qu'on rapporte des pia 27

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toniciens et de leurs sectateurs est aujourd'hui tellement rejeté par toute l'Eglise catholique et communément par tous les philosophes, qu'on ne doit plus s'y arrêter. Il est bien vrai que le concile de Latran a défini qu'on pouvait peindre les anges, mais il n'a pas conclu pour cela qu'ils fussent corporels. Et quand en effet on les croirait être tels, on n'aurait pas raison pour cela de penser que leurs esprits fussent plus inséparables de leurs corps que ceux des hommes; et quand on voudrait aussi feindre que l'âme humaine viendrait de père à fils, on ne pourrait pas pour cela conclure qu'elle fût corporelle; mais seulement que comme nos corps prennent leur naissance de ceux de nos parents, de même que nos âmes procèderaient de leurs âmes. Pour ce qui est des chiens et des singes, quand je leur attribuerais la pensée, il ne s'en suivrait pas de là que l'âme humaine n'est point distincte du corps, mais plutôt que, dans les autres animaux, les esprits et les corps sont aussi distingués; ce que les mêmes platoniciens, dont on nous vanlait, il n'y a qu'un moment, l'autorité, ont cru, avec Pythagore, ainsi que leur métempsycose le fait assez connaître.

VII. Réponses de Descartes aux objections de Gassendi contre la simplicité de l'âme. (Méditat. Rép. aux cinquièmes objections.)

M. Gassendi me demande de quel corps j'entends parler, quand je prouve qu'il y a une distinction entre l'âme de l'homme et son corps: si c'est du corps grossier composé de membres, ou du corps plus subtil et plus délié répandu dans le corps épais et massif, ou résidant seulement dans quelques-unes de ses partics, qui est peut-être moi-même.

A quoi je réponds que mon dessein a été d'exclure de mon essence toute espéce de corps, quelque petit et subtil qu'il puisse être, et que mes preuves se rapportent au corps subtil et imperceptible, aussi bien qu'à celui qui est plus grossier et palpable (page 493).

Il demande comment j'estime que l'idée du corps, qui est étendu, peut-être reçue en moi, c'est-à-dire dans une substance qui n'est point étendue. Car, ou cette idée, dit-il, procède du corps, et pour lors il est certain qu'elle est corporelle et qu'elle a ses parties les unes hors des autres, et par conséquent qu'elle est étendue, ou bien elle vient d'ailleurs et se fait sentir par une autre voie; cependant, parce qu'il est toujours nécessaire qu'elle représente le corps qui est étendu, il faut aussi qu'elle ait des parties, et ainsi qu'elle soit étendue : autrement si elle n'a point de parties, comment en pourrat-elle représenter? si elle n'a point d'étendue, comment pourra-t-elle représenter une chose qui en a? si elle est sans figure, comment fera-t-elle sentir une chose figurée? si elle n'a point de situation, comment nous ferat-elle concevoir une chose qui a des parties les unes hautes, les autres basses, les unes à droite, les autres à gauche, les unes devant,

les autres derrière, les unes courbées, les autres droites? Si elle est sans variété, comment représentera-t-elle la variété des couleurs, etc. Donc l'idée du corps n'est pas tout à fait sans étendue; mais si elle en a, et que vous n'en ayez point, comment est-ce que vous la pourrez recevoir? comment pourrez-vous vous l'ajuster et appliquer ? comment vous en servirez-vous? et comment enfin la sentirez-vous peu à peu s'effacer et s'évanouir (page 433).

Je réponds (p. 494) que la conception ou intellection des choses, soit corporelles, soit spirituelles, se fait sans aucune image ou espèce corporelle; que quand j'ai prouvé que l'esprit n'était pas étendu, je n'ai point prétendu expliquer par là quel il était, et faire connaître sa nature.....; (p. 495) que, quoique l'esprit soit uni à tout le corps, il ne sentait pas qu'il soit étendu par tout le corps, parce que le propre de l'esprit n'est pas d'être étendu, mais de penser; enfin, qu'il n'est pas nécessaire que l'esprit soit de l'ordre et de la nature du corps, pour avoir la force ou la vertu de mouvoir le corps (page 496.)

Vous me faites plusieurs observations sur l'union de l'âme avec le corps, qui tendent à prouver qu'elle est étendue ce sont des doutes qui vous paraissent suivre de mes conclusions, mais qui, dans le vrai, ne vous viennent dans l'esprit que parce que vous voulez soumettre à l'examen de l'imagination, des choses qui, de leur nature, ne sont point sujettes à sa juridiction. Ainsi, quand vous voulez comparer ici le mélange qui se fait du corps et de l'esprit, avec celui de deux corps mêlés ensemble, il me suffit de répondre qu'on ne doit faire entre ces choses aucune comparaison, parce qu'elles sont de deux genres totalement différents; et qu'il ne faut pas s'imaginer que l'esprit ait des parties quoiqu'il conçoive des parties dans le corps: car qui vous a appris que tout ce que l'esprit concoit, doive être réellement en lui? Certaine ment, si cela était, lorsqu'il conçoit la grandeur de l'univers, il aurait aussi en lui cette grandeur; et ainsi il ne serait pas seulement étendu, mais il serait même plus grand que tout le monde...

Dans les instances que vous avez faites contre mes réponses, vous m'objectez surtout que, quoique je ne trouve pas d'étendue dans ma pensée, il ne s'ensuit pas qu'elle ne soit point étendue, parce que ma pensée n'est pas la règle de la vérité des choses; qu'il se peut faire que la distinction que je trouve par ma pensée, entre la pensée et le corps, soit fausse (page 503.) Mais il faut particulièrement ici remar quer l'équivoque qui est en ces mots, ma pensée n'est pas la règle de la vérité des choses: car si vous voulez dire que ma pensée ne doit pas être la règle des autres, pour les obliger à croire une chose à cause que je la pense vraie, j'en suis entièrement d'accord. Loin d'avoir jamais voulu obliger personne à suivre mon autorité, au contraire, j'ai averti en divers lieux qu'on ne se devait laisser persuader que par la seule évidence des raisons. De plus, si on

prend indifféremment le mot de pensée pour toute sorte d'opérations de l'âme, il est certain qu'on peut avoir plusieurs pensées, dont on ne doit rien inférer touchant la vérité des choses qui sont hors de nous; mais aussi cela ne vient point à propos en cet endroit, où il n'est question que des pensées qui sont des perceptions claires et distinctes et des jugements que chacun doit faire à part soi, en suite de ces perceptions. C'est pourquoi je dis que la pensée d'un chacun, c'est-à-dire la perception ou connaissance qu'il a d'une chose, doit être pour lui la règle de la vérité de cette chose, c'est-à-dire que tous les jugements qu'il en fait doivent être conformes à cette perception, pour être bons; même touchant les vérités de la foi, nous devons apercevoir quelque raison qui nous persuade quelles ont été révélées de Dieu, avant que de nous déterminer à les croire; et quoique les ignorants fassent bien de suivre le jugement des plus capables touchant les choses difficiles à connaître, il faut néanmoins que ce soit leur perception qui leur enseigne qu'ils sont ignorants, et que ceux dont ils veulent suivre les jugements ne le sont peut-être pas autant autrement, ils feraient mal de les suivre, et ils agiraient plutôt en automates, ou en bêtes, qu'en homme (page 504).

J'oubliais de remarquer que vous avancez hardiment et sans aucune preuve que l'esprit croît et s'affaiblit avec le corps; mais de ce que l'esprit n'agit pas si parfaitement dans le corps d'un enfant que dans celui d'un homme parfait, et de ce que souvent ses actions peuvent être empêchées par le vin et par d'autres choses corporelles, il s'ensuit seulement que, tandis qu'il est uni au corps, il s'en sert comme d'un instrument pour faire ces sortes d'opérations qui l'occupent ordinairement, mais non pas que le corps le rende plus ou moins parfait qu'il est en soi : et la conséquence que vous tirez de là n'est pas meilleure, que si, de ce qu'un artisan ne travaille pas bien, toutes les fois qu'il se sert d'un mauvais outil, vous infériez qu'il emprunte son adresse et la science de son art, de la bonté de son instrument.....

Quelle que soit l'union de l'esprit et du corps, j'ai souvent fait voir dans mes méditations, que l'esprit peut agir indépendamment du cerveau car il est certain qu'il est de nul usage lorsqu'il s'agit de former des actes d'une pure intellection, mais seulement quand il est question de sentir ou d'imaginer quelque chose; et quoique, lorsque le sentiment ou l'imagination est fortement agitée (comme il arrive quand le cerveau est trouble), l'esprit ne puisse pas facilement s'appliquer à concevoir d'autres choses, nous expérimentons néanmoins que, lorsque notre imagination n'est pas si fortement émue, nous ne laissons pas souvent de concevoir quelque chose d'entièrement différent de ce que nous imaginons; comme lorsque, au milieu de nos songes, nous apercevons que nous rêvons : car alors nos rêves sont bien un effet de notre imagination, mais il n'appartient qu'à l'enten

dement seul de nous faire apercevoir de nos rêveries. (Page 454, 460.) (1)

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VIII. Méthode qu'a suivie Descartes pouf prouver l'immortalité de l'âme.

(Abrégé des méditations.)

Pour prouver l'immortalité de l'âme, j'ai

(1) Descartes termine ainsi sa réponse aux objections de Gassendi, qui dans l'ordre suivi dans les méditations, sont les cinquièmes : Jusqu'ici l'esprit s'est entretenu avec la chair, etc. Pour entendre cette

phrase, il faut savoir que Gassendi, dans le cours de ses objections, adressant la parole à Descartes, l'appelle souvent, ô esprit! Descartes, qui ne trouvait pas apparemment la plaisanterie fort bonne, lui répond, chair!

Il paraît par la lettre LV du second tome (p. 298), que Gassendi avait été un peu affecté de la réponse de Descartes. Il me semble, dit Descartes au P. Mer

senne, que M. Gassendi serait fort injuste s'il s'offensait de la réponse que je lui ai faite car j'ai eu soin de ne lui rendre que la pareille, tant à ses compliments qu'à ses attaques, nonobstant que j'ai (toujours oui dire que le premier coup en vaut deux; en sorte que, bien que je lui eusse rendu le double, je ne l'aurais pas justement payé. Mais peut-être il est touché de mes réponses, parce qu'il y reconnaît la vérité; et moi je ne l'ai point été de ses ob<jections, par une raison toute contraire.

Dans le vrai, quoique Descartes et Gassendi débutent dans leurs écrits avec beaucoup d'honnêteté et les terminent de même, on y aperçoit cependant un fond d'aigreur réciproque. Et il est encore très-vrai que Gassendi parait combattre les arguments de Descartes avec une sorte d'animosité; qu'il emploie, à faire valoir les objections des athées et des matérialistes, toute la subtilité et toute la force de son esprit, et que jamais la cause de ceux-ci n'a été plus vigoureusement défendue.

M. Arnauld, qui avait, immédiatement avant Gassendi, proposé ses objections à Descartes, s'en était bien aperçu, et en était mécontent, jusqu'au point de suspecter la religion de ce philosophe. Il s'en explique plus d'une fois dans ses écrits, et particulièrement dans sa Lettre CCCCLVIII, à M. du Vaucel: Ce que je vous ai marqué de la doctrine de M. Descartes, me paraît fort solide. Ceux qui ont contesté ce qu'il a dit de la distinction de l'âme et du corps, étaient entêtés de la philosophie d'Epicure, et n'avaient guère de religion. Je sais bien ce que je vous ‹ dis. >

Il existe une vie de Gassendi, imprimée à Paris en 1731, et dont il paraît, par le privilége, que l'auteur est un M. de Warde. Le père Bougerel y a joint une espèce d'approbation, dans laquelle il cherche à justifier Gassendi de l'imputation qui lui est faite par T. Arnauld; et il remarque avec sagesse que, dans sa philosophie, ouvrage postérieur aux instances, Gasssendi à prouvé de la manière la plus claire et la plus précise l'immortalité de l'âme.

Dans une lettre critique et historique, adressée à l'auteur de la vie de Gassendi, on assure (p. 66) que M. Gassendi ne faisait aucun cas de ses instances; qu'il a avoué plusieurs fois à François Henri, que cette production était de tous ses écrits le plus faible et le plus médiocre. En effet, dit-il, s'il eût été moins

doux et moins complaisant, elle n'aurait jamais vu ‹ le jour. Mais ses amis le contraignirent à l'envoyer à Descartes, et le violentèrent encore plus pour la faire imprimer. ›

Nous ignorons quel est ce M. François Henri dont parle l'auteur de la lettre. Il paraft avoir écrit en latin des mémoires sur Gassendi, que cite l'auteur de celle lettre

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