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6° Quant à sa manière de procéder dans les causes et les jugements ecclésiastiques, si une fois l'union était faite, il serait facile de s'accorder parce que la plupart des points de jurisprudence canonique dans l'Eglise romaine ne sont que de droit humain, et par conséquent sont susceptibles de changement.

lorsque Leibnitz a dit que Dieu ne punissait pas le crime dans cette vie, il est bien manifeste qu'il voulait dire qu'il ne le punissait pas toujours. Et quand on admettrait avec Bierlingius qu'il y a toujours quelque peine, quoique non toujours évidente, qui accompagne le crime dans cette vie, il est au moins bien certain que cette peine secrète n'est pas toujours proportionnée à la gravité des crimes.

Leibnitz loue le traité de l'Existence de Dieu, par Fénélon.

T. 3 op. p. 71, 1712

J'ai lu avec plaisir le beau livre de M. l'archevêque de Cambrai sur l'existence de Dieu : il est fort propre à toucher les esprits; et je voudrais qu'il fit un ouvrage semblable sur l'immortalité de l'âme. S'il avait vu ma Théodicée, il aurait peut-être trouvé quelque chose à ajouter à son bel ouvrage.

Pensées de Leibnitz sur la réunion des catholiques et des luthériens.

T. 5 collect. epist. ad Fabricium 53, p. 219, et t. 6. epist. ad Ludolfum 46, p 157.

1. Il est bien vrai qu'on ne peut rien statuer de la part des catholiques sur l'union, sans l'approbation du souverain pontife: cependant on peut toujours établir des conférences préliminaires sur ce sujet, et savoir ce qu'en pensent des catholiques doctes et pieux. Mais, de notre côté même, on ne pourrait espérer aucun succès des démarches qui seraient faites pour la réunion, si un grand nombre de nos souverains ne concouraient à ce pieux dessein.

2 Il est juste ensuite que des deux côtés on prenne les moyens les plus propres à faciliter la réunion.

3° Il serait nécessaire encore d'établir des principes d'après lesquels on pût reconnaître ce qui est de foi et ce qui ne l'est pas; car je crains que les catholiques ne regardent comme appartenant à la foi ou comme étant de droit divin certains points à l'égard desquels nous ne penserions pas de même.

4 Je ne sais si de ce que l'Ecriture sainte n'est point opposée à certains articles qu'ordonnent les catholiques, on est en droit de conclure que nous ne devons pas les contester; car c'est à celui qui affirme, de fournir la preuve de ce qu'il avance et on ne peut nier qu'un article appartienne à la foi jusqu'à ce qu'on prouve qu'il a été révélé par

Dieu.

5o Je crois me souvenir que le concile de Trente ou la profession de foi du pape Pie IV

7 J'avoue que les espérances d'une réunion des catholiques et des protestants sont éloignées et cependant tout consiste dans le concours de la volonté de quatre, cinq ou six personnes. Car supposé que le pape, l'empereur et le roi de France d'un côté, et quelques grands princes de l'autre, veuillent sincèrement la réunion, nous devons la re

garder déjà comme faite et ne savons-nous pas, ainsi que nous l'apprend la sainte Ecriture, que les cœurs des rois sont dans la main de Dieu ? mais notre siècle qui tend vers sa fin (Leibnitz écrivait en 1698) ne sera pas assez heureux pour voir ce grand événement: et je ne sais si le siècle suivant sera plus heureux que le nôtre.

Origine de l'ouvrage de Leibnitz, qui a pour titre : Théodicée (1).

T. 6 de la collect. p. 181 et 28. lett. à Th. Burnet, 1710.

On aura bientôt achevé d'imprimer à Amsterdam mon livre intitulé: Essais de Théodicée sur la bonté de Dieu, la liberté de l'homme et l'origine du mal. La plus grande partie de cet ouvrage avait été faite par lambeaux, quand je me trouvais chez la feue reine de Prusse où ces matières étaient souvent agitées nime des pères. Mais cette unanimité se prend moralement et M. Leibnitz se trompe quand il met en fait que dans les controverses des catholiques avec son parti, les catholiques ne peuvent pas toujours prouver qu'ils ont pour eux le consentement unanime.

(1) Nous avons cru devoir faire connaftre celle anecdote:

1° Pour montrer avec quelle application et quelle constance Leibnitz avait étudié tout ce qui appartient à la religion, parce que son autorité en acquiert plus de force;

2° Pour avoir occasion de conseiller la lecture de la Théodicée et de répéter ce qu'avait coutume de dire l'illustre Charles Bonnet de Genève, que la Théodicée devait être le manuel du philosophe chrétien : et c'est pour ne point détourner de lire en entier cet admirable ouvrage que nous en avons extrait si peu de chose;

3° Pour montrer de plus en plus ce que nous avons déjà fait dans le iscours préliminaire, combien M. Psaft avait été mal fondé à soutenir que M. Leibnitz n'avait prétendu dans sa Théodicée que faire un jeu d'esprit, et que M. Leibnitz m'en avait assuré luiinėme.

Nous croyons convenable de placer une apostille

que nous avions cru devoir négliger, parce qu'ele était étrangère au but de la lettre. Elle confirme notre observation sur M. Psaft.

en appelle au consentement unanime des pè- qui se trouve dans la lettre de Leibnitz à Toland, et res. Ce point, s'il était vrai, serait pour nous d'un grand avantage, car dans la plupart des controverses que nous avons avec les catholiques, il leur serait bien difficile de prouver qu'ils ont pour eux le consentement unanime des pères (1).

(1) Effectivement, dans la profession de foi de Pie IV, on s'engage à n'entendre et à n'interpréter la sainte Ecriture que conformément au sentiment una

Mes amis m'ont pressé de mettre au net mes Considérations sur la liberté de l'homme et la justice de Dieu par rapport à l'origine du mal, dont une bonne partie avait été autrefois couchée sur le papier pour le faire lire à la reine de Prusse qui le désirait. Jy examine toutes les difficultés de M. Bayle, et tâche de les résondre en même temps que je rends justice à sou mérite.

à l'occasion du dictionnaire et des autres ouvrages de M. Bayle, qu'on y lisait beaucoup. J'avais coutume, dans les discours, de répondre aux objections de Bayle, et de faire voir à la reine qu'elles n'étaient pas aussi fortes que certaines gens, peu favorables à la religion, voulaient le faire croire. Sa majesté m'ordonnait assez souvent de mettre mes réponses par écrit, afin qu'on pût les considérer avec attention. Après la mort de cette grande princesse, mes amis m'ont exhorté à réunir et à fortifier ces réponses: et il est résulté de mon travail l'ouvrage dont je viens de parler. Comme j'ai médité sur cette matière depuis ma jeunesse, je crois l'avoir discutée à fond.

Ouvrage de Julien contre la religion chrétienne, conservé par saint Cyrille : vérité de la religion, objet de sermon.

T. 6, lett. à Th. Burnet, p. 242.

Le second tome des ouvrages de Julien, que M. Spanheim se prépare à nous donner, contiendra ses remarques sur le livre de cet empereur apostat contre les chrétiens, et sur la réponse de saint Cyrille, archevêque d'Alexandrie. C'est la réponse de saint Cyrille qui nous a conservé l'ouvrage de Julien : ces ouvrages des païens contre les chrétiens sont presque tous perdus. Cet ouvrage viendra bien à propos dans un temps où il est besoin d'écrire sur la vérité de la religion chrétienne, pour fermer la bouche à ses ennemis.

On a envoyé à madame l'électrice le livre de M. Jaquelot sur la religion : mais comme le prédicateur de la cour a annoncé qu'il prêcherait sur la vérité de la religion, elle lui a envoyé ce livre ainsi au lieu de le lire pendant quelques heures, elle l'entendra toute l'année.

:

Langage du P. Mallebranche sur les idées et la

vision en Dieu, favorable à la piété. Recueil de pièces, lett. à M. Remond, t. 2, P. 545.

Il n'y a aucune nécessité de prendre avec le père Mallebranche les idées pour quelque chose qui soit hors de nous. Il suffit de les considérer comme des notions, c'est-à-dire comme des modifications de notre âme. C'est ainsi que l'école et M. Descartes les prennent. Mais, comme Dieu est la source des possibilités et par conséquent des idées, on beut excuser et même louer ce père d'avoir changé de termes et d'avoir donné aux idées une signification plus relevée, en les distinguant des notions et en les prenant pour des perfections qui sont en Dieu, auxquelles nous participons par nos connaissances. Ce langage mystique du père n'était donc point. nécessaire; mais je trouve qu'il est utile, car il nous fait mieux envisager notre dépen dance de Dieu. Il semble même que Platon parlant des idées, et saint Augustin parlant de la vérité, ont eu des pensées approchantes, que je trouve fort raisonnables, et c'est la partie du système du père Mallebranche, que je serais bien aise qu'on conservât avec

les phrases et formules qui en dépendent; comme je suis bien aise qu'on conserve la partie la plus solide de la théologie des mystiques. Et bien loin de dire, avec l'auteur de la réfutation du père Malebranche, que le système de saint Augustin est un peu infecté du langage et des opinions platoniciennes, je dirais qu'il en est enrichi et qu'elles lui donnent du relief.

J'en dis presque autant du sentiment du père Mallebranche, quand il assure que nous voyons tout en Dieu que c'est une expression qu'on peut excuser et même louer. Car il est bon de considérer que non seulement dans le système du père Mallebranche, mais encore dans le mien, Dieu seul est l'objet immédiat externe des âmes, exerçant sur elles une influence réelle. Et quoique l'ecole vulgaire semble admettre d'autres influences par le moyen de certaines espèces, qu'elle croit que les objets envoient dans l'âme, elle ne laisse pas de reconnaitre que toutes nos perfections sont un don continuel de. Dieu et une participation bornée de sa perfection infinie. Ce qui suffit pour juger que ce qu'il y a de vrai et de bon dans nos connaissances est encore une émanation de la lumière de Dicu, et que c'est dans ce sens qu'on peut dire que nous voyons les choses en Dieu.

Bonheur des saints dans la vue de Dieu et de l'univers (1).

Otium hanoveranum, p. 10.

Les saints, dans la vie éternelle, jouiront de la vue de Dieu mais il y a divers degrés et diverses perfections dans cette vue. C'est ainsi que lorsque plusieurs personnes contemplent un seul et même objet, les unes le voient avec des yeux plus clairvoyants, les autres avec des yeux un peu troubles; les unes le voient de plus près, et les autres de plus loin. Toutes aperçoivent la même image; mais la vue de l'une est, quant à la lumière et aux rayons qui pénètrent dans les yeux, distincte de la vue d'une autre.

Tandis que nous sommes sur la terre nous ne sommes point dans notre véritable centre et par conséquent dans notre véritable point de vue nous voyons, il est vrai, les créatures et les œuvres admirables de Dieu; mais nous les voyons comme un homme placé entre les scènes d'un théâtre peintes suivant les règles de l'optique. Cet homme voit des figures, mais des figures grossières, informes el incohérentes, ce qui ne l'empêche pas cependant de reconnaître l'art du peintre ou de l'architecte. Ainsi dans notre position actuel le, quoique nous ayons toujours lieu d'admirer les œuvres de Dieu, nous ne pouvons pourtant pas jouir du beau spectacle de leur ensemble. Il en serait autrement si nous

étions transportés dans le soleil, ou plutôt, dans le lieu qu'habitent les bienheureux :

(1) Quoique Dutens ajt eu sous les yeux l'onvrage qui a pour titre, Otium hanoveranum, et qu'il en ait fait grand usage, cette lettre ne se trouve poin dans sa collection.

c'est là que, placés comme dans le véritable rentre de tout l'univers, la vue de sa beauté nous remplira d'un plaisir ineffable.

But principal de Leibnitz dans son travail sur les connaissances naturelles.

T. 6, lett. 9, à Th. Burnet, p. 251.

J'ai lu les discours de Ch. Bentley. Je vois en lui une combinaison bien rare de deux avantages très-grands: l'érudition et la solidité. MM. Saumaise, Isaac Vossius, Gudius

et quelques autres de cette sorte, étaient d'une grande érudition; mais ou ils ne mé ditaient guère, ou ils méditaient superficiellement et avec peu d'exactitude. Mais Grotius, Gassendi et quelque peu d'autres, ont montré qu'ils excellaient dans l'un et l'autre genre; et j'approuve surtout le dessein de Ch. Bentley de se servir des connaissances naturelles pour faire admirer la sagesse et la puissance du Créateur : c'est aussi mon but principal.

EXTRAITS DES LETTRES DE LA COLLECTION DE FEDER.

Invitation inutilement faite aux jansénistes. Collection de M. Feder, lettre de M. Amillon, p. 2, 1708.

M. de Joncourt (1) a bien fait de rétracter ce qu'il avait dit un peu légèrement, et d'imiter M. l'archevêque de Cambrai, qui préche en vain aux jansénistes de faire comme lui.

Immortalité de l'âme. Fondement du droit naturel.

Collect. de Feder, lett. à M. de Reauval, p. 95, sans date. Je suis de ce sentiment que la justice est imparfaite sans la religion, et qu'on ne pourrait jamais prouver qu'il faut toujours garder la promesse donnée, s'il n'y avait cette souveraine puissance qui la maintient et qui fait enfin passer tout le droit en fait par un redressement immanquable. J'en ai touché quelque chose dans la préface de mon Codex juris gentium. Il y aura des gens si bien nés ou si bien élevés, que l'injustice leur paraitra hideuse et qu'ils s'en abstiendront, comme on s'abstient d'une viande qu'on abhorre: et il serait à souhaiter que tous les hommes fussent de cette trempe; mais cela n'étant point, il faut quelque autre raison que le goût pour convaincre tout le monde de son obligation. C'est pourquoi j'ai toujours désapprouvé les principes de M. de Pufendorf, qui pensait que la considération de l'immortalité de l'âme ne devait point entrer dans les fondements du droit naturel.

Fable de la papesse Jeanne.

Collect. de Feder, lett. à M. de Beauval, p. 97. Je suis entièrement du sentiment de ceux qui tier.nent l'histoire de la papesse Jeanne pour une fable ridicule et qui n'a pour elle aucun auteur ancien. Les meilleurs manuscrits des auteurs tant soit peu anciens qu'on cite ordinairement n'en disent mot. D'ailleurs, après avoir approfondi la chose autrefois, je l'ai trouvée détruite par des raisons qui peuvent passer pour incontestables (2).

(1) Prédicateur à La Haye, déchaîné contre les coccéiens.

(2) Leibnitz l'a détruite dans une dissertation à laquelle il avait donné pour titre : Fløres sparsi in tu

Sur les mystères et la manière d'engager M. Bayle à écrire en faveur de la religion. Collect. de Feder, lett. à M. de Beauval. p. 109, 1706.

Dans les mystères, je distingue trois points. 1° les expliquer pour en lever l'obscurité; 2° les prouver par des raisons naturelles ; 3o les soutenir contre les objections. Nous ne pouvons pas toujours satisfaire au premier point, et encore moins au second, au lieu que nous pouvons toujours satisfaire au troisième ; et il n'y a point d'objection insoluble contre la vérité, autrement le contraire se

rait démontré.

Mais entreprendre de satisfaire tout exprès aux difficultés de M. Bayle, comme il semble que vous me le conseillez, monsieur, c'est ce que j'appréhenderais de ne pouvoir faire sans faire du tort à la religion. Car je ne ferais qu'exciter un si habile homme à mettre ses difficultés dans un jour plus beau, s'il est possible, sans pouvoir me flatter de remédier au mal que j'aurais causé. Pour réfuter M. Bayle utilement, je proposerais l'invention que voici : Je voudrais que quelqu'un entreprît de combattre les raisonnements qu'il fait de temps en temps en faveur de la religion : par ce moyen en l'obligeant à les soutenir, on l'engagerait à dire mille belles choses qui seraient avantageuses à la religion et à luimême par exemple, lorsqu'il dispute contre M. Bernard touchant la simplicité de Dieu, il montre très-bien qu'un composé n'est pas un être doué d'une véritable unité. Il montre aussi excellemment, dans plus d'un endroit, qu'un être qui pense doit être une substance simple et sans parties, et qui par conséquent n'est point sujette à la destruction.

mulum Joanna papissæ. Cette dissertation, que Leib. nitz avait laissée manuscrite, a été imprimée dans Bibliotheca hist. gotlingensis, t. 1. C'est un des ouvrages les plus considérables de Leibnitz, et qui fait le plus d'honneur à la sagesse de sa critique et à l'étendue de son érudition Elle est comme ensevelie dans cette bibliothèque historique de Gotlingue, ouvrage trèsPeu connu. M. Dutens n'en a point eu de connaissance: voilà pourquoi on ne la trouve pas dans la colJection des œuvres de Leibnitz. Ceite dissertation n'était pas encore tombée sous nos yeux lorsque nous publiâmes la seconde édition des Pensées. Voyes L 1, p. 417.

La matière ne peut pas penser.

ollect. de Feder, lettre à M. Bayle, du 5 décembre 1702, P. 125.

Je suis de votre sentiment (il parle à Baye). Je crois que la matière ne peut pas deveir pensante comme elle peut devenir ronle: j'ai montré, comme vous savez, monsieur, que la matière peut devenir propre à donner des pensées bien distinctes quand elle est Dien organisée; mais non pas à en faire naîIre où il n'y en a point du tout. C'est comme un essayeur ne fait point naître de l'or, mais il le développe. Il est vrai que si le dérangement de la matière était capable de faire cesser les pensées, son arrangement serait aussi capable d'en faire naître. Mais tout cela ne doit s'entendre que des pensées distinctes, qui attireraient assez notre attention pour qu'on puisse s'en souvenir.

Constitution de l'âme.

Collect. de Feder, lett. à Bayle, p. 124, 1702.

Je ne sais s'il est possible d'expliquer mieux la constitution de l'âme qu'en disant :

1°Qu'elle est une substance simple, ou bien ce que j'appelle une vraie unité;

2° Que cette unité pourtant est expressive de la multitude, c'est-à-dire des corps, et qu'elle l'est le mieux qu'il est possible, selon son point de vue ou rapport;

3° Qu'ainsi elle est expressive des phénomènes selon les lois métaphysico-mathématiques de la nature, c'est-à-dire selon l'ordre le plus conforme à l'intelligence et à la raison; d'où il s'ensuit enfin :

4 Que l'âme est une imitation de Dieu, le plus qu'il est possible aux créatures; qu'elle est, comme lui,simple et pourtant infinie aussi, et enveloppe tout par des perceptions confuses; mais qu'à l'égard des perceptions distinctes, elle est bornée; au lleu que tout est distinct à la souveraine substance, de qui tout émane et qui est cause de l'existence et de l'ordre, et en un mot la dernière raison des choses.

Dieu contient l'univers éminemment, et l'âme ou l'unité le contient virtuellement, étant un miroir central, mais actif et vital,

pour ainsi dire.

On peut même dire que chaque âme est un monde à part, mais que tous ces mondes s'accordent et sont représentatifs des mêmes phénomènes différemment rapportés, et que c'est la plus parfaite manière de multiplier les ètres autant qu'il est possible et le mieux qu'il est possible.

Sur l'activité de l'âme et le franc arbitre. Collect. de Feder, lettre à Bayle, sans date, p. 126. Vous remarquez que les esprits forts s'at tachent aux difficultés du franc arbitre de l'homme, et qu'ils disent ne pouvoir comprendre que si l'âme est une substance créée, elle puisse avoir une véritable force propre et intérieure d'agir. Je souhaiterais qu'ils fissent entendre plus distinctement pourquoi ls prétendent que la substance créée ne sau

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Quant au franc arbitre, je suis du sentiment des thomistes et des autres philosophes qui croient que tout est prédéterminé ; et je ne vois pas lieu d'en douter. Cela n'empêche pourtant pas que nous n'ayons une liberté exempte non seulement de la contrainte, mais encore de la nécessité et en cela il en est de nous comme de Dieu lui-même, qui est aussi toujours déterminé dans ses actions; car il ne peut manquer de choisir le meilleur. Mais s'il n'avait pas de quoi choisir, et si ce qu'il fait était seul possible, il serait soumis á la nécessité. Plus on est parfait, plus on est déterminé au bien, et aussi plus libre en même temps; car on a une faculté et une connaissance d'autant plus étendue et une volonté d'autant plus resserrée dans les bornes de la parfaite raison.

Sur la nature de l'esprit humain, que Fontenelle croit incompréhensible.

Collect. de Feder, p. 289, 1702.

LETTRE A M. DE FONTENELLE.

Puisque vous pensez à ce qui regarde l'in fini, que vous enrichissez par de belles réflexions à votre ordinaire, je souhaiterais apprendre votre jugement sur mes essais philosophiques, et particulièrement sur ce qui regarde l'union et le commerce de l'âme et du corps. Car la considération de l'infini entre extrêmement dans mon système; mais un peu autrement pourtant que de la manière dont on le prend dans les infiniment petits, que je considère comme quelque chose de plus idéal. M. Bayle ayant marqué qu'il serait bien aise de voir ce que je répondrais aux objections qu'il a insérées dans la seconde édition de son dictionnaire, article Rorarius, j'ai dressé une réponse que je veux lui envoyer, mais non encore pour être imprimée, afin que je puisse profiter auparavant des sentiments des personnes qui me peuvent donner des lumières.

RÉPONSE DE M. DE Fontenelle.

Si je n'ai pas eu l'honneur de répondre plus tôt à votre dernière lettre, prenez-vousen à la promesse dont vous m'aviez flatté de m'envoyer votre réponse à M. Bayle sur votre système de l'âme. J'ai toujours cru la voir arriver de jour en jour, et j'attendais que je l'eusse reçue pour répondre à tout en même temps. Je l'attendrais plus longtemps inutilement; vous aurez sans doute fait réflexion qu'il n'était pas raisonnable de me l'envoyer comme pour m'en demander mon sentiments certainement cela n'était nullement dans l'or dre; et je le sentis d'abord, malgré l'amour.

proprc. Cependant ma vanité n'eût pas laissé de profiter d'une méprise où vous seriez tombé par pure bonté. Je connais déjà votre système de l'âme il est très-ingénieux; et le moyen qu'un système qui vient de vous ne le fût pas?

:

Mais je vous avouerai que je crois la nature de l'esprit humain incompréhensible à l'esprit humain. I ne connaît que ce qui est d'un ordre inférieur, que l'étendue et ses propriétés; encore qui le pousserait bien sur cela, il ne s'en tirerait peut-être pas à son honneur. Je croirais plutôt que l'on pourrait démontrer l'impossibilité d'acquérir jamais ces sortes de connaissances métaphysiques, ce qui serait une solution du problème à contre-sens, comme la démonstration de l'impossibilité de la quadrature du cercle, qu'on dit que M. le marquis de l'Hôpital a trouvée. Il me semble, monsieur, que je vous parle avec une étrange liberté; il est vrai qu'elle doit être permise entre philosophes; mais il ne faut pas que ce soient des philosophes J'un ordre aussi différent que vous et moi.

Tout est éminemment renfermé en Dieu, et les choses inférieures le sont dans les supé

rieures.

Collect. de Feder, lett. à M. de Boinebourg, p. 391, 169 k

J'ai eu quelque commerce de lettres autrefois avec le feu père Kircher. Son passage que vous m'avez communiqué, monsieur, est d'un style des cabalistes. Il y a là-dedans quelque chose de solide (1). Car il est très-vrai que

tout est éminemment en Dieu comme dans sa cause, dépouillé de l'imperfection qu'il a dans les créatures. Mais quant à ce qu'il dit du monde angélique, il y a un peu plus à dire. Cependant on peut dire en général que les corps sont représentés dans les esprits, l'étendu dans l'indivisible, témoin ce qui se passe dans nos âmes, ce qui doit avoir lieu encore à plus forte raison dans les esprits plus élevés que les nôtres. Il est donc vrai, dans le fond, que les choses inférieures se trouvent dans les supérieures d'une manière plus noble que dans elles-mêmes. Les rayons de lumière d'une infinité d'objets passant par

() Voici le passage: In mundo angelico, seu intellectuali, eadem sunt certentia que in ista visibili machina, sed spiritualiter et invisibiliter. In supremo mundo ideali increato, infinito, incomprehensibili, archetypo, tam angeli quam mundus unum sunt, et simul modo divino perfectissimo. Omnia igitur sunt in omnibus cœlum supra, cœlum infra; astra supra, astra infra, et, ut bene Mercurius (Sc. Helmontius), semen est arbor complicata, arbor est semen evolutum et explicatum; unitas est numerus, juxta Platonem, complicatus, numerus est uni1as evoluta; angelus est astra complicata, astra sunt angelus evolutus. Deus est, in quo ceu archetypo mundas est, Deus, si ita dixerim, evolutus. Sic in microcesmo quinque sensus sunt in imaginatione, imaginatio in ratione, ratio in mente, mens in Deo, Deus in nullo nisi se ipso.

un petit trou sans se confondre, comme on peut le voir dans l'expérience de la chambre obscure, nous donnent un avant-goût de la subtilité des choses spirituelles: ces rayons dans le fond n'étant que corporels, puisqu'ils peuvent être réfléchis.

Prophétie impossible au démon.

M. de Feder, lett. à un ami, p. 463.

Le diable peut contrefaire des miracles; mais il y a une espèce de miracle que le diable ne saurait imiter, tout puissant et tout éclai ré qu'il est : c'est la prophétie; car si une personne peut me dire beaucoup de particularités véritables sur les affaires générales qui doivent arriver, par exemple, dans un an d'ici, je tiendrai pour assuré que c'est Dieu qui l'éclaire: car il est impossible à tout autre qu'à Dieu de voir l'enchainement général des choses qui doivent concourir à la production des choses contingentes.

Leibnitz approuve dans mademoiselle Bouri

gnon les exhortations véhémentes à lavertu; il loue ceux qui, dans le service de Dieu, se mettent au-dessus des considérations hrmaines.

Collect. de Feder, lett. à un ami, p. 460, 463.

Si mademoiselle Bourignon (1) ne faisait que prêcher la foi et la piété comme elle est enseignée clairement dans l'Ecriture et dans l'Eglise, on aurait tort de lui demander des signes de sa mission: mais elle avance des particularités qu'on ne saurait savoir que par révélation: par exemple, que l'antechrist est déjà né, qu'il détruira l'Eglise romaine, que Jésus-Christ viendra bientôt commencer son règne visible. Le reste de sa doetrine me parait bon et digne d'être lu avec application car tout ne va qu'à tirer les hommes de leur léthargie. Il faut presque un coup de foudre pour les éveiller et cela fait que j'excuse d'autant plus aisément le styla trop aigre de cette demoiselle; car je vois que les hommes n'ont pas assez d'attention quand on ne leur parle pas d'un ton de voix un peu fort. Nous reconnaissons tous nos faiblesses, mais nous ne prenons pas des résolutions vigoureuses pour les corriger, et nous traitons les affaires du salut trop cavalièrement. Cela fait que j'estime beaucoup ceux qui font des efforts pour rompre les liens du monde, et qui se mettent au-dessus des considérations du siècle. Je reconnais en eux une gran de force d'esprit, et je leur souhaite de la prudence à proportion. J'entends cette prudence que Jésus-Christ même nous recommande, qui a pour but la gloire de Dieu et la perfection des âmes, et qui choisit de bonnes voies pour y réussir.

(1) Antoinette Bourignon.

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