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en termes formels. C'est encore une doctrine étrange, que de dire qu'on peut vivre saintement sans connaître Dieu. Je veux croire qu'on peut avoir quelque vertu apparente, qui n'ait aucun rapport à Dieu : mais la sainteté renferme, proprement parlant, ce rapport des vertus à celui qui est la source de toute pureté et de toute perfection. D'ailleurs un athée peut être homme de bien, moralement parlant, soit par tempérament, soit par coutume ou par un heureux préjugé; mais il ne saurait l'être entièrement par un principe solide de la droite raison, à moins d'avoir obtenu ce grand point, de trouver un plaisir dans la vertu, et une laideur dans le vice, qui surpassent tous les autres plaisirs on déplaisirs de cette vie, ce qui paraît bien rare et bien difficile, quoiqu'il ne soit pas tout à fait impossible qu'une heureuse éducation, une conversation, une méditation et une pratique proportionnée puissent mener un homme jusque-là, mais on y arrivera tous les jours plus aisément avec la piété. Hors de cette situation d'esprit extraordinaire, quand notre raisonnement n'est borné qu'aux commodités de cette vie, il ne saurait inspirer des sentiments assez nobles, ni enseigner à l'homme ses principaux devoirs, qui se rapportent au souverain Seigneur de l'univers dont la connaissance nous fait comprendre que son service nous peut obliger en bien des rencontres à préférer le bien d'autrui à nos intérêts présents, et à prendre un parti que la prudence n'approuverait pas toujours si ce grand motif cessait, et si nous n'avions le meilleur et le plus grand de tous les maîtres, que l'on est heureux de servir, et qui met le bien commun sur le compte. De sorte que les sociniens semblent ravaler la religion tant naturelle que révélée, dans la théorie et dans la pratique, et lui ôter une bonne partie de ses beautés.

MODESTIE A OBSERVER DANS LE LANGAGE.

(T. VI, part. 1, p. 6.)

Je ne peux me dispenser de blâmer le défaut où sont tombés plusieurs Italiens, et dont jusqu'à nos jours quelques écrivains allemands ne se sont pas corrigés. Je veux parler de leur goût à se servir dans leurs écrits de quelques manières de parler peu honnêtes; en quoi je ne peux assez louer la modestie des écrivains français, qui évitent dans tous leurs ouvrages, non-seulement ces sortes de mots et d'expressions, mais en fuient jusqu'au sens; les Français ne souffrent pas même volontiers de ces équivo

ques dans leurs amusements et dans leurs badinages, qu'on pourrait interpréter dans un sens indécent (61). Suivre leur exemple dans une si louable conduite, est assurément une marque de pureté dans le langage et dans le cœur.

LOI DE LA RÉPUTATION. (Nouveaux essais sur l'entendement humain, p. 211.)

Si personne à qui il peut rester quelque sentiment de sa propre nature, ne peut vivre en société, constamment méprisé, ce n'est pas la force de ce qu'on appelle la loi de la réputation, c'est une peine naturelle que l'action s'attire d'elle-même. Il est vrai cependant que bien des gens ne s'en soucient guère, parce qu'ordinairement s'ils sont méprisés des uns à cause de quelque action blâmée, ils trouvent des complices, ou du moins des partisans qui ne les méprisent point, s'ils sont tant soit peu recommandables par quelque autre côté. On oublie même les actions les plus infâmes, et il suffit souvent d'être hardi et effronté comme ce Phormion de Térence, pour que tout passe... Il serait à souhaiter que le public s'accordât avec soi-même et avec la raison dans les louanges et dans les blâmes; et que les grands surtout ne protégeassent point les méchants, en riant des mauvaises actions où il semble le plus souvent que ce n'est pas celui qui les a faites, mais celui qui en a souffert, qui est puni par le mépris et tourné en ridicule.

On verra aussi généralement que les hommes méprisent non pas tant le vice que la faiblesse et le malheur. Ainsi la loi de la réputation aurait besoin d'être bien réformée, et aussi d'être mieux observée.

SIMPLICITÉ DES MOEURS, au siècle de gré

GOIRE VII.

(T. VI, p. 322, Observationes Leibnizianæ.)

Baronius raconte que Pierre Damien fit présent au Pape Grégoire VII de quelques cuillers de bois. On peut à ce sujet faire plusieurs observations. 1° On voit qu'anciennement les moines (tels qu'était Pierre Damien, quoiqu'il eût été cardinal) s'occupaient du travail des mains. Ainsi l'abbé de la Trappe, dans sa dispute avec le P. Mabillon, aurait pu se prévaloir de cet exemple. 2o Ce trait montre aussi combien les anciens étaient éloignés de notre luxe car qui oserait aujourd'hui faire un semblable présent à un Pape; et quel est le particulier qui voulût faire servir à sa table de la vaisselle de bois ?... 3° On peut encore en conclure que ces mêmes anciens n'étaient pas fort délicats car on sait que le suc des aliments pénètre assez avant dans le bois ordinaire, et que celui-ci en contracte si bien le goût, qu'on a bien de la peine à le faire passer

avec des frottements redoublés.

SPECTACLES ET FÊTES.

(T. V, p. 279, epist. 85, Ad Fabricium.) J'ai assisté à la plupart des spectacles et des festins qu'on vient de donner à la cour.

(61) Les mœurs des Français ont donc bien dégénéré depuis cent ans?

Il l'a fallu pour ne point paraître sauvage ni singulier car ce n'est pas que je prenne grand plaisir à ces fêtes, quelque brillantes et magnifiques qu'elles puissent être. Cependant le temps s'écoule, qui est la plus précieuse de toutes les choses; et on ne fait rien de ce qu'il importerait le plus de faire.

MORALE DES SAUVAGES DU CANADA.

(T. V, p. 562, Epist. ad Bierlingium.) Je sais, à n'en pouvoir douter, que les sauvages du Canada vivent ensemble et en paix, quoiqu'il n'y ait parmi eux aucune espèce de magistrat. On ne voit jamais, ou presque jamais, dans cette partie du monde, de querelles, de haines et de guerres, sinon entre hommes de différentes nations et de différentes langues. J'oserais presque appeler cela un miracle politique, inconnu à Aristote, et que Hobbes n'a point remarqué. Les enfants mêmes, jouant ensemble, en viennent rarement aux altercations; et lorsqu'ils commencent à s'échauffer un peu trop, ils sont aussitôt retenus par leurs camarades. C'es peuples ont une horreur naturelle de l'inceste; aussi la chasteté, dans les familles, est admirable et un frère n'oserait prononcer, en présence de sa sœur, une parole un peu trop libre. Au reste, qu'on ne s'imagine point que la paix dans laquelle ils vi

vent soit l'effet d'un caractère lent et insensible car rien n'égale leur activité contre l'ennemi; et le sentiment d'honneur est, chez eux, au dernier degré de vivacité; ainsi que le témoigne l'ardeur qu'ils montrent pour la vengeance, et la constance avec laquelle ils meurent au milieu des tourments. Si ces peuples pouvaient, à de si grandes qualités naturelles, joindre un jour nos arts et nos connaissances, nous ne serions, auprès d'eux, que des avortons.

COMPARAISON DES SAUVAGES ET DES HOMMES POLICÉS.

(Nouveaux essais sur l'entendement humain, p. 55.)

Il faut avouer qu'il y a des points importants où les Barbares nous passent, surtout à l'égard de la vigueur du corps; et à l'égard de l'ane même, on peut dire qu'à certains égards leur morale pratique est meilleure que la nôtre, parce qu'ils n'ont point l'avarice d'amasser, ni l'ambition de dominer. Et on peut même ajouter que la conversation des Chrétiens les a rendus pires en bien des choses. On leur a appris l'ivrognerie (en leur apportant de l'eau-de-vie), les jurements, les blasphèmes et d'autres vices qui leur étaient peu connus. Il y a chez nous plus de bien et plus de mal que chez eux. Un méchant Européen est plus méchant qu'un sauvage: il raffine sur le mal. Cepen

(62) On agitait alors avec beaucoup de chaleur la question si toutes les actions des infidèles sont des péchés et si toutes leurs vertus ont été des

dant rien n'empêcherait les hommes d'unir les avantages que la nature donne à ces peuples, avec ceux que nous donne la raison.

LES INFIDÈLES PÈCHENT-ILS DANS TOUTES LEURS ACTIONS?

(T. V, p. 185, ex Epist. ad P. Desbosses.)

Voici ce que je pense sur les vertus ou les bonnes œuvres des païens (62). Je crois que plusieurs de leurs actions qui ne sont pas dirigées vers le souverain bien, n'en sont pas moins formellement, si je peux m'exprimer ainsi, des actions bonnes et innocentes, en observant cependant qu'elles sont toutes affectées, mais d'une manière seulement virtuelle, de la teinture d'une certaine faute. J'entends cela absolument dans le même sens que les théologiens catholiques attribuent une intention virtuelle au prêtre qui consacre, quoique au moment de la consécration il pense peut-être à toute autre chose; et de la même manière encore que votre confrère le P. Spée (il parle au P. Desbosses, Jésuite) enseigne, dans son bel ouvrage, le moyen de louer Dieu sans cesse, moyen qui consiste à se proposer une bonne fois, sérieusement et fortement, de diriger toutes ses actions, et plus spécialement encore quelques unes d'entre elles vers la gloire divine, ou de les rendre significatives de la louange de Dieu; et de plus encore, à renouveler de temps en temps cette espèce de protestation, suivant que les occasions s'en présentent dans le cours de la vie. Ainsi, l'action de quelque philosophe ou de quelque héros païen, pourra être assez bonne, pour que toutes les choses qu'elle renferme formellement, puissent, sans être accompagnées d'aucune faute, se rencontrer dans un Chrétien fort pieux; mais, la différence, entre l'action de l'infidèle et celle du pieux Chrétien, viendra de ce que le virtuel, ou pour mieux dire, l'intention et l'imputatif manquent dans l'action de l'infidèle, en ce qu'il n'a pas auparavant dirigé son intention vers le souverain bien, et ne s'était point proposé de rapporter, dans la suite, toutes ses actions à ce but, au lieu que ce virtuel, cet imputatif ne manque point dans l'action du fervent Chrétien qui avait formé l'intention et le propos dont nous parlons.

Ainsi, comme l'intention virtuelle rend certaines actions recommandables et profitables, la continuation d'un défaut d'intention vicie d'autres actions et les rend répréhensibles.

Mais quel est le degré de ce vice, ou du moins de cette imperfection? Il faut, à mon avis, le mesurer d'après le degré de malice ou de faute, et sur la vincibilité de l'erreur ou de l'ignorance: et quelle est la peine que ce défaut mérite? C'est ce que je laisse au jugement de Dieu.

vices. Plusi urs théologiens, faisant profession d'être attachés à la doctrine de saint Augustin, soutenaient l'affirmative.

CRUAUTÉ DE L'HOMME ENVERS LES BÊTES.

(T. V, p. 550, epist. 27, Ad Kortholtum.)

Sur ce qui regarde les devoirs de l'homme envers les bêtes, je dirai qu'il y a plusieurs années que je composai, à la prière d'un ami, un petit Traité sur l'éducation d'un prince, où je conseillais, entre autres choses, qu'on ne permit point, lorsqu'il était enfant, qu'il s'accoutumât à tourmenter les animaux, parce qu'il pouvait contracter, de là, une véritable dureté à l'égard des hommes. Le P. Vota, Italien, ayant fait voir mon Traité au roi de Pologne, cet endroit fut un de ceux qui lui plurent davantage.

CLERGÉ, PAPE, RELIGIEUX.

Autorité des ecclésiastiques.

(T. VI, p. 277, Treizième lettre à M. Thomas
Burnel.)

Quand il s'agit des droits de l'Eglise chrétienne, je préfère les livres d'érudition aux livres de raisonnements d'autrui là-dessus. Selou le droit divin naturel, les ecclésiastiSelou le droit divin naturel, les ecclésiastiques sont comme les médecins ils sont conseillers, mais ils ne sont point juges. Selon le droit divin révélé, ils sont quelque chose de plus. Le reste dépend des peuples, et par conséquent du fait, de l'histoire, de l'érudition.

Origine de l'autorité du clergé.

(T. V, p. 143, Annotatiunculæ subitaneæ, ad Tolandi librum.)

Les erreurs et les abus qui se sont glissés dans l'Eglise, ne doivent pas tant être attribués à l'ambition du clergé qu'au malheur des temps et il est même constant que la puissance des évêques n'est montée peu à peu à un trop grand degré qu'à la faveur des circonstances et par le concours du hasard, comme il arrive toujours en semblable cas. Il y a plus: c'est que dans des siècles où les seuls ecclésiastiques cultivaient les lettres, et où tous les autres hommes libres faisaient profession des armes, il était convenable que le gouvernement militaire fût tempéré par l'autorité des sages, c'est-à-dire des ecclésiastiques.

Abus et avantages de l'autorité ecclésias

tique.

(T. IV, part. n, Dissertatio prima de actorum publicorum usu, p. 299.)

Nous avons jugé à propos d'insérer dans notre Code du droit des gens, quelques pièces concernant le Pape et les conciles: parce que leur juridiction était autrefois tellement reconnue de tout le monde, que ceux même qui déclinaient le jugement du Pape, en appelaient cependant au concile. Et il faut convenir que la vigilance des Papes,

pour l'observation des canons et le maintien de la discipline ecclésiastique, a produit de temps en temps de très-bons effets, et qu'en agissant à temps et à contre-temps auprès des rois, soit par la voie des remontrances que l'autorité de leur charge les mettait en droit de faire, soit par la crainte des censures ecclésiastiques, ils arrêtaient beaucoup de désordres. Rien alors n'était plus commun que de voir les rois, dans leurs traités, se soumettre à la censure et à la correction des Papes, comme dans le traité de Bretigni, en 1360, et dans le traité d'Etaples, en 1492. Mais comme les choses humaines, sans en excepter les meilleures, sont sujettes à dégénérer, les Papes commencèrent à porter trop haut leurs prétentions et à user de leur autorité avec trop peu de discrétion. Innocent III défendit à Philippe Auguste de faire la guerre au roi d'Angleterre; et quand ce prince allégua le jugement rendu par les pairs contre le roi d'Angleterre, son vassal, le Pape répondit qu'il ne prétendait pas connaître du fief, mais du péché. Or qui ne voit que sous ce prétexte, il aurait soumis à sa révision toutes les sentences de tous les juges? Je ne parlerai point du denier SaintPierre, en Angleterre, de l'ile. Mona donnée en fief à l'Eglise romaine par le roi Renaud, la princesse Mathilde, demembrée de l'emdu royaume de Sicile, de la succession de pire. Les prétentions du Pape en étaient venues au point qu'il soutenait que l'exercice de tous les droits de l'empire lui appartenait pendant la vacance. C'est sur ce fondement qu'il nomma vicaire de l'empire, en Italie, Charles d'Anjou, roi de Sicile, et qu'il crut pouvoir confirmer à la place de l'empereur, ce que la reine Jeanne, dans l'adoption de du comté de Provence, qui reconnaissait Louis d'Anjou, avait réglé sur la succession évêques et les autres juges ecclésiastiques, encore l'empire. Les officiaux mêmes des ainsi que nous l'apprenons par les plaintes de Philippe de Valois et des barons de France, rappelaient à leur tribunal, nonseulement les causes où il s'agissait de parjure et de mariage, mais encore sous le préjuger des affaires purement pécuniaires et texte général du péché, ils s'immiscaient de débattues entre les laïques et ils étaient tellement entêtés de leur prétendu droit sur cet article, qu'ils soutenaient qu'en le renversant on renversait tous les droits de l'Eglise... Or qu'est-il arrivé de toutes les entreprises du clergé? C'est que ceux qui s'arrogeaient des droits qui ne leur appartenaient pas, ont perdu ceux mêmes qui leur étaient légitimement acquis, et qu'il aurait été de l'intérêt de la chrétienté qu'ils conservassent toujours.

La primauté du Pape.

(T. V, p. 228, epist. 8, Ad Fabricium.)

Puisque Dieu est le Dieu de l'ordre, et que le corps de l'Eglise une, catholique et apostolique, sous un gouvernement qui soit un et avec une hiérarchie qui comprenne

tous les membres, est de droit divin; il s'ensuit qu'il y a aussi de droit divin dans le même corps un souverain magistrat spirituel, se contenant dans de justes bornes, pourvu d'une puissance directorale et de la faculté de faire tout ce qui est nécessaire pour remplir sa charge par rapport au salut de l'Eglise; quoique ce ne soit que par des Considérations humaines (63) que le siége et le lieu de cette puissance ont été établis à Rome, métropole du monde chrétien.... Effectivement il est de plein droit qu'il y ait dans toute république, et par conséquent dans l'Eglise chrétienne, un souverain magistrat, soit que toute son autorité réside dans une seule personne, soit qu'elle soit partagée entre plusieurs. Et, dans ce dernier cas même, il est naturel qu'un des membres du collége, ait le droit de directeur, ou, ce qui revient au même, de souverain magistrat, quoique avec une autorité limitée.

Infaillibilité du Pape.

(T. V, p. 250, epist. 54, Ad Fabricium.) J'avoue que la réunion des protestants à l'Eglise romaine est fort difficile mais je n'oserais pas dire qu'elle est impossible; car enfin le bras de Dieu n'est pas raccourci. Il serait à souhaiter sans doute que le Pape, non seulement n'exigeât pas qu'on crût son infaillibilité, mais encore ne la soutînt pas, et même y renonçât expressément. Mais cette renonciation est-elle une condition sans laquelle la réunion ne puisse et ne doive être faite ? C'est encore ce que je n'oserais dire.

Réunion de l'Eglise romaine et des
protestants.

(T. V, p. 259, epist. 53, Ad Fabricium.) Un Polonais attaché à l'Eglise romaine a prétendu que la réunion de cette Eglise avec les protestants était impossible. Il fonde cette impossibilité sur trois points, le gouvernement de l'Eglise, les Messes privées, le culte des images et des saints, Mais 1° on peut admettre un gouvernement monarchique, tempéré par l'aristocratie, comme l'admettent les Catholiques eux-mêmes. 2 On peut tolérer les Messes privées. 3° Le culte des saints et des images a besoin, il est vrai, d'une grande réforme, mais cette réforme, les Catholiques même la désirent.

Constitution de la république chrétienne. (T. IV, Cæsarini Furstenerii Tractatus de jure suprematus, part. 111, p. 330.)

Je pense que la dignité d'empereur est un peu plus élevée qu'on ne pense communément; que l'empereur est l'avoué ou plutôt le chef, ou, si l'on aime mieux, le bras séculier de l'Eglise universelle; que toute la

(63) Cela peut être dit en un sens, pourvu qu'on reconnaisse que l'autorité de chef de l'Eglise ap

chrétienté forme une espèce de république, dans laquelle l'empereur a quelque autorité, d'où vient le nom de saint-empire, qui doit en quelque sorte s'étendre aussi loin que l'Eglise catholique; que l'empereur est le commandant, imperator, c'est-à-dire le chefné des Chrétiens contre les infidèles; que c'est à lui qu'il appartient principalement d'éteindre les schismes, de procurer la célébration des conciles, d'y maintenir le bon ordre, enfin d'agir par l'autorité de sa place, pour que l'Eglise et la république chrétienne ne souffrent point de dommage. Il est constant que plusieurs princes sont feudataires ou vassaux de l'empire romain, ou du moins de l'Eglise romaine; qu'une partie des rois et des ducs ont été créés par l'empereur ou par le Pape; et que les autres ne sont pas sacrés rois, sans faire en même temps hommage à Jésus-Christ, à l'Eglise, duquel ils promettent fidélité, lorsqu'ils reçoivent l'onction par la main de l'évêque. Et c'est ainsi que se vérifie cette formule: Christus regnat, vincit, imperat; puisque toutes les histoires témoignent que la plupart des peuples de l'Occident se sont soumis à l'Eglise avec autant d'empressement que de piété.

Je n'examine point si toutes ces choses sont de droit divin. Ce qu'il y a de constant, c'est qu'elles ont été faites avec un consentement unanime, qu'elles ont très-bien pu se faire, qu'elles ne se sont point opposées au bien commun de la chrétienté: car souvent le salut des âmes et le bien public sont l'objet du même soin. Et je ne sais pas si, avec leur conscience, les sceptres des rois ne sont pas aussi soumis à l'Eglise universelle, non pour diminuer la considération qui leur est due, et lier aux princes des mains qui doivent toujours être libres pour administrer la justice et gouverner heureusement les peuples; mais pour contenir, par une plus grande autorité, ces hommes turbulents, qui, sans égard à ce qui est permis ou ne l'est pas, sont disposés à sacrifier à leur ambition particulière le sang des innocents, et poussent souvent les princes à des actions criminelles pour les contenir, disje, par cette autorité que je crois résider en quelque sorte dans l'Eglise universelle, ou dans le saint-empire, et ses deux chefs, l'empereur et un Pape légitime, usant légitimement de sa puissance. Ainsi, à considérer le droit, on ne peut pas refuser à l'empereur quelque autorité dans une grande partie de l'Europe, et une espèce de primauté analogue à la primauté ecclésiastique. Et de même que dans notre empire il y a des réglements généraux qui concernent le maintien de la paix publique, la levée des subsides contre les infidèles, l'administration de la justice entre les princes eux-mêmes; nous savons aussi que l'Eglise universelle a souvent jugé les causes des princes, que les princes ont appelé aux conciles; qu'on a prononcé dans les conciles sur leur rang et leur préséance, que des conciles partient de droit aux divius successeurs de saint Pierre.

ont, au nom de toute la chrétienté, déclaré la guerre aux ennemis du nom chrétien. Et si le concile était perpétuel, ou s'il existait un sénat général des Chrétiens établi par son autorité, ce qui se fait aujourd'hui par des traités, el comme on dit, par des médiations et des garanties, se terminerait alors par l'interposition de l'autorité publique, émanée des chefs de la chrétienté, le Pape et l'empereur, par amiable composition, il est vrai, mais avec bien plus de solidité que n'en ont aujourd'hui tous les traités et toutes les garanties.

Autorité du Pape dans la république chrétienne.

(T. IV, part. I, Cæsarini Furstenerii Tractatus, p. 401.)

Nos ancêtres regardaient l'Eglise univer

selle comme formant une espèce de république gouvernée par le Pape, vicaire de Dieu dans le spirituel, et l'empereur, vicaire de Dieu dans le temporel. L'empereur est effectivement appelé dans la bulle d'Or le chef' temporel de l'Eglise; et il n'y a rien de plus connu et de plus fréquemment supposé dans les actes publics et les histoires, que sa qualité d'avoué de l'Eglise romaine, c'est-à-dire de l'Eglise universelle. Il n'y a rien non plus dans cette qualité qui puisse révolter les protestants et leur faire ombrage, parce que l'avoué de l'Eglise ne doit sa protection que pour des choses justes et honnêtes; et s'il s'est par hasard glissé des abus, on peut toujours y remédier. Au contraire, il est de son devoir d'empêcher de toutes ses forces que la véritable Eglise catholique ne souffre quelque dommage. C'est pourquoi ceux qui s'efforcent d'enlever à l'empereur une si belle prérogative, détruisent ce qu'il y a de principal dans la puissance impériale. Et les savants qui font consister la puissance de l'empereur des Romains dans le droit qu'il a sur la ville de Rome et sur quelques petites souverainetés contigues, se trompent sans doute. Le droit temporel de l'empereur s'étend au contraire aussi loin que le droit spirituel de l'évêque de Rome, c'est-à-dire par toute l'Eglise, dans laquelle les anciens mêmes ont reconnu que le Pape a quelque primauté, non-seuleinent de rang, mais en quelque sorte de juridiction (64). Peu importe ici que le Pape ait cette primauté de droit divin ou de droit humain, pourvu qu'il soit constant que pendant plusieurs siècles il a exercé dans l'Occident, avec le consentement et l'applaudissement universel, une puissance assurément très-étendue. Il y a même plusieurs hommes célèbres parmi les protestants qui

(64) Le fondement que Leibnitz assigne à l'autorité que les Papes ont prétendu sur le temporel des reis, est plus imposant et plus coloré que celui que les ultra montais lui donnent. On ne saurait trop observer que le respect avec lequel Leibnitz a toujours parlé des évêques de Rome, tout protestant qu'il était, le soin qu'il a pris de les disculper, sout

ont cru qu'on pouvait laisser ce droit au Pape, et qu'il était utile à l'Eglise, si on retranchait quelques abus. Il y a plus: Philippe Mélanchton, homme d'une prudence et d'une modération reconnues de tous les partis, lorsqu'il souscrivit aux articles de Smalcade, osa bien y joindre une protestation, dans laquelle il déclarait qu'il était d'avis qu'on pourrait rendre aux évêques leur juridiction spirituelle, s'ils voulaient remédier aux autres maux de l'Eglise. Tel a été encore le sentiment de George Calixte, cet excellent homme, dont le savoir et le jugement sont au-dessus des éloges. Assurément on ne peut pas nier que l'Eglise romaine n'ait été longtemps regardée en Occident comme la maîtresse des autres Eglises; ce qui est d'autant moins étonnant, qu'elle a été réellement leur Mère: car on sait que ce sont des hommes apostoliques envoyés de Rome en Irlande, en Angleterre, en Gaule et en Gerinanie, qui ont porté la foi dans ces régions, et avec elle le respect pour l'Eglise romaine. C'est à cette Eglise cais, ou, pour parler avec saint Remi, que les Lombards et les Saxons, les Franles Sicambres se sont soumis; et les évêques et les moines ont reconnu d'autant plus volontiers la juridiction du Pape, qu'il les délivrait de l'oppression des princes et des rois première férocité, et qu'il les rendait sacrés qui retenaient encore quelque chose de leur et inviolables aux Barbares. Ainsi les Barbares ayant reçu d'eux la foi, qui leur était si avantageuse, il n'est pas surprenant que la puissance de l'Eglise romaine ait été en regardé comme l'évêque œcuménique. Enfin même temps reconnue, et l'évêque de Rome il est arrivé par la connexion étroite qu'ont entre elles les choses sacrées et les profanes, qu'on a cru que le Pape avait reçu quelque autorité sur les rois eux-mêmes. Et l'on peut juger quelle était cette autorité, et jusqu'où elle s'étendait déjà dans les premiers temps, par le trait du Pape Zacharie, qui, consulté par l'assemblée générale de la nation française, décida que le roi Childéric était indigne de la couronne, et ordonna qu'elle passât sur la tête de Pepin, avec l'applaudissement de tous les ordres de l'Etat. Déjà auparavant le roi Clotaire ayant, dans un premier mouvement de colère, massacré au pied des autels, un jour solennel, Vautier, seigneur d'Yvetot, qui lui demandait grâce, il fut excommunié par le Pape Agapet, et n'obtint son absolution qu'après avoir déclaré tous les descendants du défunt totalement indépendants du royaume de France. C'est pour une cause à d'Arthur, duc de Bretagne, que le royaume peu près semblable, c'est-à-dire le meurtre d'Angleterre, sous le roi Jean, devint tribu

une leçon à quelques Catholiques qui s'appliquent au contraire à charger ce qu'il y a eu d'odieux daus la conduite ou les entreprises des Papes, et qui oublient, en s'expliquant sur cette matière, toutes les règles de cette décence et de cette modération dont on ne doit jamais s'écarter, même lorsqu'on défend la vérité la plus importante.

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